Vincent Lacoste et Thomas Lilti : « Être prof ? C’est épuisant en fait »
12 sept. 2023
7min
Ils ont forcément marqué votre vie, sont indispensables à notre société mais bien trop mal considérés. Ils travaillent « trop » ou « pas assez », et ne sont jamais remplacés. Oui, les profs. En cette rentrée scolaire, le réalisateur Thomas Lilti (Hippocrate, Première année...) leur rend hommage avec “Un métier sérieux”. Rencontre avec le réalisateur et son acteur principal, Vincent Lacoste, qui passe lui, de l’autre côté du bureau.
C’est quoi pour vous, un métier sérieux ?
Thomas Lilti : C’est le titre du film mais c’est avant tout un peu ironique. Ça fait référence à la réflexion de mon père quand je lui disais que je voulais faire du cinéma et qu’il me répondait que ça serait mieux que je fasse un métier sérieux. Dans l’esprit de mon père c’était faire médecine, donc je suis devenu médecin. Mais ma mère était prof et parfois je me disais que c’était peut-être celui-là, finalement, le métier sérieux… Ça m’est revenu quand j’ai voulu faire ce film. Ça devient surtout ironique quand on constate que la société actuelle a oublié à quel point le professorat est un métier sérieux…
Vincente Lacoste : Les profs sont un des socles de notre société. Et pourtant, ils s’en prennent toujours un peu plein la gueule. On entend dire qu’ils sont « toujours en vacances » alors que c’est un métier qui peut être ingrat, solitaire. Il faut faire face à trente, quarante élèves, et être intéressant, se renouveler, devant des jeunes qui ont parfois juste envie d’être ailleurs…
Thomas Lilti : C’est pour ça que c’est un métier sérieux. Parce que c’est un métier d’engagement, d’utilité publique, où les rapports humains sont au cœur de tout. C’est aussi un métier qui donne du sens à l’existence. Et puis, on a tous un prof qui nous a marqué et a fait que les choses ont été un peu différentes…
Thomas Lilti, c’est la première fois que vous vous penchez sur cette profession, après avoir réalisé de nombreux films et séries sur la médecine (Hippocrate, Médecin de campagne…). Pourquoi cet intérêt et pourquoi maintenant ?
Thomas Lilti : J’avais envie de changer tout en gardant mes obsessions, à savoir : la question de l’engagement dans nos vies, à travers un métier notamment, et la question du collectif. Soignant, enseignant, ce sont des métiers très solitaires et pour les rendre plus facile à vivre, la réponse est d’abord collective. D’où le choix de raconter la vie d’un groupe d’enseignants.
Vous venez de le dire, Un métier sérieux est un film choral. Il suit plusieurs professeurs à des moments charnières de leurs carrières. Mais il y a tout de même un fil rouge : l’arrivée du personnage de Vincent Lacoste, Benjamin, dans ce collège, pour sa première année en tant qu’enseignant… Pourquoi avoir choisi de placer votre caméra à cet endroit-là ?
Thomas Lilti : Contrairement à mes autres films, j’ai voulu que celui-ci s’intéresse aux points de vues de différents personnages. Mais pour ça, j’avais besoin d’un élément scénaristique que je connais bien : utiliser un « Candide », joué par Vincent Lacoste. C’est ce « Benjamin » du groupe qui nous amène à découvrir les histoires de tous les autres personnages. Et ça me permet aussi d’éviter le piège de la grosse intrigue, en racontant par exemple LE prof extraordinaire, celui qui révolutionne tout. Le syndrome « Cercle des poètes disparus » un peu… Ce qui m’intéressait, c’était de raconter le quotidien, de montrer des professeurs qui ne font pas toujours bien les choses, mais qui essaient de bien les faire avec les moyens qu’on leur donne.
Qu’est-ce que le travail sur ce film vous a tous les deux appris sur le métier d’enseignant ?
Vincent Lacoste : Personnellement, je n’avais pas conscience du côté extrêmement théâtral du métier. On est seul, face à une classe, et qu’est-ce qu’on en fait ? Comment on fait pour être intéressant ? Pour être ludique et pédagogique en même temps ? C’est comme un spectacle en fait, et c’est vachement dur ! Dans le film par exemple, il y a une scène où je devais donner un cours sur les sphères avec une orange, mais la scène n’était pas écrite. Et Thomas m’a dit : « Vas-y, improvise un cours de math ». Sauf que déjà, va expliquer ce qu’est une sphère (rires). Et une fois que t’as compris, va synthétiser l’idée, va la transmettre en étant simple, clair et un brin fantaisiste pour capter et garder l’attention des élèves ! C’est épuisant en fait.
Thomas Lilti : Il y aussi la difficulté voire la violence d’une heure de cours. On entend souvent : « Les profs, ils travaillent 17h par semaine, ça va quoi… » Mais non, ces 17h du ne sont pas comparables aux heures de travail de la majorité des salariés. Ça n’a rien à voir. Vincent vient de le dire mais une heure en classe, c’est une heure d’une immense intensité. Cette difficulté à devoir capter l’attention des élèves, je l’ai vraiment expérimentée en cours de tournage… Et pourtant, moi, mes élèves étaient payés pour jouer dans le film !
« Ce qui m’intéressait, c’était de raconter le quotidien, de montrer des professeurs qui ne font pas toujours bien les choses, mais qui essaient de bien les faire avec les moyens qu’on leur donne » - Thomas Lilti, cinéaste
Comment avez-vous travaillé en amont pour préparer ce film ? Vous avez rencontré des profs, discuté avec des syndicats ?
Thomas Lilti : J’ai commencé par tout un travail solitaire, en puisant dans mes souvenirs d’élèves ainsi que ceux de mes proches. J’ai également lu énormément de témoignages, regardé des reportages télé… Exclusivement des travaux journalistiques, pour coller au plus près du réel. J’ai emmagasiné énormément d’informations et de sensations. Ensuite, j’ai traîné dans des collèges pour rencontrer des CPE, les gens de l’entretien, de la cantine, les surveillants… C’est hyper instructif de parler avec tout ces gens-là.
Avant le film, à quel imaginaire vous renvoyait le métier de prof ?
Vincent Lacoste : Un prof pour moi, ça me rappelle mes années collège et lycée, c’est vraiment des souvenirs lointains puisque je n’ai pas fait d’études supérieures. Et c’est vrai que je n’ai jamais trop aimé l’école, surtout arrivé au lycée où je savais déjà que je voulais être comédien. Donc j’avais juste envie de me barrer. J’étais respectueux avec les profs hein, attention… Mais je m’en désintéressais complètement… D’ailleurs aujourd’hui je le regrette un peu parce que j’aurais moins de lacunes ! (Il rit)
Thomas Lilti : Moi le souvenir que j’aie, c’est un peu celui du mystère. Le prof, il arrive dans votre classe et ensuite il disparaît. Qui est cet homme ou cette femme ? (rires) Il est dans notre quotidien, il fait autorité sur nous, on peut avoir de l’affection pour lui, mais au fond on ne le connaît pas. C’est pour ça que quand on croise son prof au supermarché, enfant, on a l’impression de croiser Mick Jagger ! On est surpris qu’il existe dans la vraie vie ! C’est ça le premier rapport que j’avais avec mes profs : je me demandais toujours ce que pouvait bien être leur vie.
« Le prof, il arrive dans votre classe et ensuite il disparaît. Qui est cet homme ou cette femme ? Il est dans notre quotidien, il fait autorité sur nous, on peut avoir de l’affection pour lui, mais au fond on ne le connaît pas » - Thomas Lilti, cinéaste
En cette rentrée scolaire, les deux revendications principales des professeurs sont la hausse des salaires et les problèmes d’effectifs, qui sont liés. Pourtant, ce ne sont pas les deux difficultés qui ressortent le plus de votre film, pourquoi ?
Thomas Lilti : Je n’ai pas eu envie de faire un film militant. Un film politique oui, mais pas militant. Avec ce film j’avais plutôt envie de dire : arrêtons de dire aux profs ce qu’ils doivent faire - le gouvernement, les parents… -, parce qu’ils le savent très bien ! Ma manière à moi de parler des salaires, ce sont mes personnages : on voit bien que ce sont des gens de la petite classe moyenne pour qui un sou est un sou.
Vincent, outre la principale difficulté qu’est d’apprendre à être pédagogue, votre personnage rencontre aussi la violence, avec un élève qui l’attend en bas de chez lui pour le menacer… Ça vous a surpris ?
Vincent Lacoste : Pas vraiment parce que j’étais dans un collège où il y avait pas mal de violences… Pour les professeurs, ce genre de situation est extrêmement dure à gérer parce que ça demande un calme, un tact, un sang-froid énorme… Et d’ailleurs, Benjamin est face à cette violence-là et en même temps il s’en veut d’avoir humilié le jeune homme devant la classe. Il comprend la violence de l’échec que vit cet élève-là, il a peur de son exclusion… Le problème c’est qu’après un tel acte, est-ce qu’il faut encore lui redonner une chance ? Ce sont de vraies questions que les profs se posent.
Une de tes collègues dans le film, jouée par Louise Bourgoin, tombe elle a contrario dans la violence…
Vincent Lacoste : Bien sûr oui. Des profs qui font des burn-out, il y en a plein. Elle travaille trop, à la maison ça ne va pas… C’est un autre fait : il y a très peu d’accompagnement dans ce métier.
Le film montre la porosité, très forte, entre la vie personnelle et la vie professionnelle de ces enseignants. Mais tous les métiers vivent cette porosité aujourd’hui, non ? Et vous peut-être particulièrement dans vos métiers de notoriété ?
Vincent Lacoste : Alors oui mais je crois que la grande différence entre acteur et prof c’est que les professeurs ont beau avoir des problèmes personnels, les élèves face à eux n’en ont pas conscience. Et probablement qu’ils s’en fichent pas mal… Ils doivent faire le même cours dans tous les cas, avoir la pêche, captiver les gens. Acteur, oui allez, tu dois parfois tourner des scènes même si tu as mal dormi. Mais la grosse différence, c’est que quand on est acteur sur un film, on est vachement chouchouté. Ça ou réalisateur, ce sont des métiers qui sont très valorisés…
« La grande différence entre acteur et prof c’est que les professeurs ont beau avoir des problèmes personnels, les élèves face à eux n’en ont pas conscience » - Vincent Lacoste, comédien
On ressort du film avec un vrai élan positif… Est-ce que c’est pour vous une réalité retranscrite, un espoir que vous formulez, ou finalement une image un peu trop naïve de la réalité ?
Thomas Lilti : J’ai conscience que je fais un cinéma de divertissement. J’ai envie qu’on passe un bon moment, et j’ai besoin d’aimer mes personnages pour les raconter. Et au fond ce que j’aimerais vraiment - même si c’est très prétentieux de ma part - ce serait de croiser ne serait-ce qu’une personne dans quelques années qui me dise : « J’ai vu votre film et c’est ça qui m’a donné envie d’être prof ».
Article édité par Matthieu Amaré - Photos Thomas Decamps / Le Pacte
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