« Je suis dans la même entreprise depuis 20 ans, et alors ? »

18 févr. 2019

4min

« Je suis dans la même entreprise depuis 20 ans, et alors ? »
auteur.e
Géraldine Baraud

Journaliste - consultante éditoriale @rubrik-communication.com

On dit terminée l’époque où nos parents et grands-parents effectuaient toute leur carrière dans la même entreprise. Vraiment ? À contre-courant des discours actuels prônant de multiplier les expériences en changeant régulièrement d’entreprise, des salariés continuent de rester fidèles à leur employeur pendant 15, 20 ans, parfois plus… Est-ce forcément par confort ? Quels sont les avantages à ne pas chercher à pousser d’autres portes ? Peut-on s’épanouir dans la même boîte pendant des années ? Thierry, 45 ans, directeur d’établissement dans un grand groupe hôtelier, et Laurent, 45 ans, responsable de magasin au sein du premier groupe mondial de confection textile, nous livrent leurs témoignages.

Quels sont vos postes actuels ?

Thierry : Je suis directeur, depuis 2016, d’un centre de vacances de 80 logements à Trégastel, dans les Côtes-d’Armor, sur la côte de granit rose. J’encadre une équipe de 25 personnes.

Laurent : Je viens d’être nommé directeur d’une des principales enseignes de prêt-à-porter femme et homme à Caen.

Quand et comment avez-vous intégré l’entreprise ?

Thierry : Après l’obtention de mon Brevet Tourisme et Hôtellerie et une première expérience de serveur pour Eurodisney, j’ai répondu à une annonce diffusée par un des leaders des clubs de vacances en France, pour un poste saisonnier de serveur dans la Manche. C’était il y a 20 ans. Même si l’expérience m’a plu et qu’elle s’est bien passée, j’étais, à l’époque, à mille lieues de penser que je ferais ma carrière dans le groupe.

Laurent : Diplômé d’une maîtrise en arts du spectacle, je cherchais du travail. Je suis tombé sur une annonce, il y a 19 ans, pour un poste de vendeur de prêt-à-porter au sein d’un grand groupe de confection textile. J’étais attiré par la mode. Mais je me suis surtout découvert une vraie passion pour la relation avec le client, moi qui étais pourtant très timide.

Comment y avez-vous évolué ?

Thierry : Après cette première expérience, on m’a proposé d’effectuer une nouvelle saison, cette fois-ci l’hiver, dans les Alpes. Rapidement, ma hiérarchie m’a fait confiance et m’a nommé responsable de salle. Un poste s’est ensuite libéré à Limoges, où je supervisais le bar, la salle, la cuisine, la plonge… J’ai découvert tous les métiers d’un centre de vacances, et il me semble que c’est fondamental dans la perspective de diriger une équipe et un site. Après cette expérience, j’ai souhaité postuler à la direction d’un établissement. Le groupe a pris en compte ma demande en m’offrant d’abord un poste de directeur délégué pour faire mes preuves, puis de directeur aujourd’hui.

Laurent : Ma curiosité, mon envie d’apprendre de nouvelles choses en permanence, et la confiance mutuelle entre le groupe et moi, m’ont rapidement amené à évoluer : de vendeur à caissier, et de responsable adjoint à directeur de magasin.

Quels avantages voyez-vous à rester fidèles à votre employeur ?

Thierry : Je suis passé de serveur à directeur de site en 20 ans. Je ne suis pas sûr que cela aurait été possible en changeant d’entreprise tout le temps. J’ai eu la chance de rencontrer, au sein du groupe, des personnes qui m’ont fait confiance, qui m’ont aidé à progresser. J’ai pu saisir les opportunités qu’un groupe de cette envergure peut offrir, en multipliant les expériences et les régions. J’ai également bénéficié de formations. Et j’ai toujours apprécié le climat de l’entreprise, les rapports entre les gens. Quand on se sent bien quelque part, ça n’encourage pas à partir.

Laurent : Je n’ai jamais été très attiré par l’inconnu. Le confort et la stabilité me conviennent bien et dans mon cas, cela ne m’a jamais empêché d’évoluer, bien au contraire. Rester fidèle à son entreprise présente aussi un avantage financier : celui de l’ancienneté.

Quelles en sont, en revanche, les limites ?

Thierry : Je n’en vois pas forcément, mais je pense qu’il est malgré tout intéressant de pouvoir comparer différentes façons de faire, selon les entreprises. Vous pouvez être bon dans votre métier dans telle boîte parce que vous êtes à l’aise avec la méthode et les outils qu’elle vous propose et totalement mauvais dans une autre.

Laurent : Il peut être certainement intéressant de voir comment les choses se passent ailleurs, mais personnellement, ça ne me manque pas. Je me sens très bien comme ça.

N’éprouve-t-on pas une lassitude à un moment donné ?

Laurent : Avec de nouvelles collections tous les mois et des process qui évoluent régulièrement, l’ennui n’a pas le temps de s’installer.

N’avez-vous jamais été tenté d’aller voir ailleurs ?

Thierry : Si bien sûr. Et je l’ai fait d’ailleurs : à deux reprises. Une première fois en postulant dans un restaurant gastronomique, où je ne suis resté que trois mois. Une deuxième fois pour faire tout autre chose. Mais je suis revenu dans le groupe dans les deux cas, lorsque les opportunités se sont présentées.

Laurent : Et bien non, jamais.

Comment voyez-vous la suite de votre parcours ?

Thierry : Franchement, je n’y pense pas. Je n’ai pas de feuille de route. Je veux me concentrer sur le défi qu’on m’a confié. Nous verrons ensuite en fonction des opportunités.

Laurent : Est-ce que je pourrais toujours faire partie d’un groupe qui s’adresse principalement aux jeunes lorsque j’aurai 60 ans ? Je n’en sais rien. Ce n’est pas un sujet pour l’instant.

Votre message, en conclusion ?

Thierry : Il est possible, encore à l’heure actuelle, de trouver l’épanouissement, de se sentir bien et d’évoluer dans la même entreprise pendant longtemps. Je ne dis pas que c’est ce qu’il faut faire ; je dis bien que c’est possible.

Laurent : Travailler depuis 19 ans pour la même entreprise a tendance à susciter l’étonnement. Ce n’est pas très courant, notamment dans la mode. Mais on ne me pose pas de questions pour autant. Aujourd’hui, les salariés changent régulièrement de postes et je trouve ça très bien dans la mesure où cela permet de découvrir d’autres façons de faire. Mais personnellement, je suis heureux comme cela. Je ne regrette rien. Quand on partage un minimum les valeurs et l’esprit de l’entreprise, qu’on s’implique à bien faire son travail, il est tout à fait possible de s’y épanouir. C’est mon cas.

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Photo by WTTJ

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