Partir à la retraite à 30 ans : la tendance du « early retirement »

11 mai 2020

6min

Partir à la retraite à 30 ans : la tendance du « early retirement »

Ils ont 40, 35, voire même 30 ans et ont tout simplement décidé d’arrêter de travailler. Non, ils n’ont pas pris cette résolution sur un coup de tête. C’est même tout l’inverse. Depuis leur entrée dans le monde du travail et leurs premiers salaires, ils ont soigneusement préparé leur sortie - ou retraite anticipée - avec de solides plans d’épargne et d’investissement, afin de pouvoir vivre de leur rente. Derrière cette extravagance, l’objectif est clair : retrouver un mode de vie plus sain loin de la société de consommation et profiter de la vie sans respecter l’injonction du travailler toujours plus pour gagner plus. Si cette forme de liberté peut faire rêver, elle a aussi ses contraintes. Décryptage du « early retirement »

Dans nos sociétés, la retraite évoque le juste repos après une vie de labeur. Oui, mais pas toujours. Certains ont décidé de tout envoyer valser et de ne pas attendre la soixantaine pour mettre un terme à leur carrière. Particulièrement en vogue aux États-Unis depuis le milieu des années 2000, le “early retirement” ou retraite précoce ne concerne pas seulement des milliardaires rentiers qui ont décroché le jackpot en vendant leur start-up, mais bien des travailleurs lambda qui s’obstinent avec beaucoup d’organisation, d’anticipation et de rigueur, à entretenir leur indépendance financière loin du monde du travail. Cette retraite ne se caractérise d’ailleurs pas par des journées à ne rien faire, planté dans son salon devant la télé, ou à enchaîner les verres dans le bar du coin, mais plutôt à profiter de la vie, de chaque instant, de chaque opportunité et à prendre le temps d’assouvir ses passions. Outre-Atlantique, ils sont déjà nombreux à s’être lancés à l’instar de Justin McCurry, Mr Money Mustache, Mr Tako ou encore JW Brooks, fondateur de The Green Swan.

Qui sont ces trentenaires à la retraite ?

« Au-delà des besoins primaires en nourriture, logement et sécurité, les hommes ont besoin d’avoir des amis, d’être entourés et reconnus par leurs pairs. Afin d’y parvenir, la plupart des individus se conforment à des normes sociales et à des pressions que la société leur impose », écrit Mr Tako en préambule de son son blog précisant que le travail « permet de s’intégrer dans un groupe social et de trouver une place dans la machine capitaliste. » Si beaucoup s’accommodent de cette organisation, ce père de famille estime lui que ces normes l’empêchent de se réaliser autrement. Il admet volontiers, « ne jamais avoir été très à l’aise avec le conformisme. » Dès l’âge de 20 ans, il a tout organisé pour devenir libre financièrement.

« Je n’ai pas travaillé à Wall Street et n’ai pas gagné des millions en stock-options, explique-t-il. Je n’ai pas fait de gros coups dans l’immobilier, je n’ai touché aucun héritage, je n’ai pas revendu une entreprise des millions ». Il assure s’être constitué son patrimoine jour après jour, en travaillant dur et en prenant les bonnes décisions financières. Au plus haut de sa carrière, Mr Taku gagnait un peu moins de 100.000 dollars par an et tout en voyageant avec sa famille en Australie, au Japon ou au Mexique, il s’est organisé pour mettre de côté au moins la moitié de ses revenus. En 2015, il a réussi à épargner plus de deux millions de dollars avec son épouse, une somme qu’il estimait suffisante pour s’échapper définitivement du monde professionnel. En veillant scrupuleusement à chacune de leurs dépenses et en plaçant intelligemment leur argent, le couple profite aujourd’hui d’une retraite au long cours.

« Je n’ai pas travaillé à Wall Street et n’ai pas gagné des millions en stock options. Je n’ai pas fait de gros coups dans l’immobilier, je n’ai touché aucun héritage, je n’ai pas revendu une entreprise des millions » - Mr Tako, jeune retraité

Mr Taku n’est pas le seul à avoir sauté le pas. Après des études d’ingénieur et en sciences informatiques au Canada, mais aussi une dizaine d’années dans le milieu de la tech, Peter Adeney, plus connu sous le nom de Mr Money Mustache, s’est lui aussi retiré du monde du travail. Comme Mr Taku, il n’a pas reçu d’héritage, ni tiré de ticket gagnant à la loterie ou de stocks-options. Une fois encore son rêve s’est concrétisé en épargnant la moitié de ses revenus, et en plaçant son argent dans des fonds et dans l’immobilier. Money Mustache estime que le mode de vie des classes moyennes aux États-Unis n’est qu’un gaspillage. « Si vous parvenez à mettre la moitié de vos revenus de côté et ce dès l’âge de 20 ans, vous serez en mesure de prendre votre retraite à 37 ans », assure-t-il. Et de préciser, qu’en épargnant 75% de ses revenus, il est même possible de mettre un terme à sa carrière au bout de 7 ans d’activité.

Pour y parvenir, il suffirait de se focaliser sur ce qui nous rend vraiment heureux plutôt que de vouloir toujours plus de luxe ou de se laisser tenter par les produits des publicités qui défilent à la télévision. « Le bonheur est multiple, mais ce qui est sûr, c’est qu’il n’implique pas de nouvelles voitures, ni de plus joli sac à main, dit-il. Pour économiser, vivez proche de votre travail, n’empruntez pas de l’argent pour une voiture, déplacez-vous à vélo quand cela est possible, résiliez votre abonnement télé, ne gaspillez plus votre argent dans les petites épiceries, ne choisissez pas le téléphone portable dernier cri, apprenez à vous servir de vos mains et entraînez-vous à l’optimisme. De cette façon, la moitié de vos dépenses disparaîtront. »

« Si vous parvenez à mettre la moitié de votre salaire de côté à partir de l’âge de 20 ans, vous serez en mesure de prendre votre retraite à 37 ans » - Mr Money Mustache, jeune retraité

Une vie d’ascète

À la retraite depuis 2016, Brandon raconte qu’il n’a jamais voulu arrêter de travailler, mais a toujours souhaité avoir plus de temps, de liberté pour se concentrer sur l’essentiel. De cette façon, je suis plus productif « et mon impact sur le monde est meilleur […] », expliquait-il à la revue économique Business Insider. Pour parvenir à ses fins, l’ingénieur retraité de 36 ans s’est imposé une vie d’ascète pendant des années. Hyper organisé, il a conçu un tableur de gestion financière (disponible sur son blog) qu’il remplit rigoureusement chaque mois. Solde de ses comptes courants, de ses livrets d’épargne, détails des plans de retraite, valorisation de sa maison, dépenses quotidiennes… Tout y est.

En publiant toutes ces données et en multipliant les conseils pratiques pour réduire ses dépenses et faire fructifier ses placements aux lecteurs de son blog Mad Fientist, il montre ainsi qu’avec un peu de volonté cette vie est possiblement accessible à tous. JM Brooks, l’auteur du site The Green Swan en est convaincu : « Il y a toujours quelque chose à optimiser ! » Il raconte par exemple qu’il se fait désormais couper les cheveux par sa femme, en niant l’idée que sa retraite anticipée le prive de tout petit plaisir ou extra non prévu sur sa liste. Il se séparerait ou renoncerait seulement à des choses ou activités qui n’ont pas d’importance. « Mais, je suis décidé à dépenser mon argent durement gagné pour celles que je chéris, après avoir trouvé le meilleur prix possible évidemment ! », reconnaît-il.

C’est toute la complexité de ses jeunes retraités : ils sont loin d’être des marginaux allergiques à l’argent, bien au contraire. Sur son blog Root of Good, Justin Mc Curry confirme d’ailleurs que c’est bien là, la source de tout bien matériel. L’argent est aussi l’un des principaux sujets du site Jeune retraité animé par le Canadien Jean-Sébastien Pilotte. Quant à Mr Moustache, il avoue gagner de l’argent avec son blog, en multipliant publicités et placement de produits.

Une liberté retrouvée ?

« J’aime l’argent non pas pour ce qu’il me permet d’acheter, mais pour la liberté de pouvoir faire ce que je veux, explique Jean-Sébastien Pilotte. Par-dessus tout, je veux être libre de vivre pleinement, c’est-à-dire posséder le moins possible de matériel à entretenir (maison, jardin, piscine, voiture) et avoir le plus de temps possible pour vivre des expériences vivifiantes (voyages, spectacles, projets personnels, rencontres avec des amis, sport, temps de qualité en famille). »

S’il est facile de comprendre cette volonté de se débarrasser du superflu pour se concentrer uniquement sur l’essentiel, tous ces jeunes retraités ont également en commun de ne pas rejeter la valeur travail, qu’ils considèrent comme un passage obligé pour parvenir à leurs fins. Seulement, ils refusent de la considérer comme une contrainte immuable que rien ne pourrait abroger. Dans une publication du 15 avril 2015 et intitulée La retraite précoce ne signifie pas la fin de toute activité professionnelle, Mr Money Mustache précise sa pensée : la retraite telle qu’il l’entend ne signifie pas un abandon de toute activité rémunérée, mais le fait de pouvoir choisir ce qu’il veut faire ou non, loin de toutes considérations financières. Comme ses placements et son épargne lui suffisent pour subvenir à ses besoins, il n’accepte que ce qui l’intéresse vraiment et n’oublie pas de se poser la question suivante : “Est-ce que j’accepterais ce boulot s’il était bénévole ?” Si c’est le cas il se lance, sinon il refuse considérant que cela contribuerait à le remettre dans le cercle infernal du travail traditionnel.

Ces jeunes retraités restent toutefois réalistes et considèrent que leur mode de vie n’est pas à la portée de tous. « Comment une famille américaine avec deux profs, dont chaque membre gagne 60 000 dollars par an et qui a déjà du mal à s’en sortir pourrait tranquillement mettre 5000 dollars de côté chaque mois ? », concède Mr Money Mustache. A défaut de pouvoir suivre leurs exemples jusqu’au bout, la lecture de leurs parcours a au moins le mérite de nous rappeler qu’une autre voie est possible.

Photo by WTTJ