IA et expérience candidat : automatiser sans déshumaniser
08 oct. 2025
6min
Plus besoin de la présenter, l’IA aka l’intelligence artificielle s’est immiscée dans quasi tous les pans de nos vies, persos comme pros. Côté RH, et particulièrement côté recrutement, l’IA pourrait faire des miracles : gain de temps, de productivité, d’efficacité… On voit déjà nombre de process de recrutements optimisés et personnalisés, boostés par l’IA. La promesse est belle et ce serait bien dommage de s’en priver. Reste une question centrale pourtant : comment automatiser l’expérience candidat sans perdre la dimension humaine qui fait toute la différence ? Car dans RH, il y a le H.
Pour tenter de répondre à cette grande question, nous avons rencontré Bernard Blottin, expert IA et membre du pôle HR Tech chez Ideuzo, agence de communication RH qui accompagne les entreprises dans leur stratégie de recrutement, marque employeur et communication RH.
Recruter à l’ère de l’IA
Pour bien comprendre l’impact de l’IA sur le marché du recrutement, il faut faire un pas de côté et se pencher sur le marché en tant que tel. Selon Bernard Blottin, il existe 2 grands défis pour les équipes RH : recruter reste difficile tout comme le maintien et même - soyons fous ! - la réduction du turnover.
S’ajoute à ces défis, l’enjeu des compétences qui a pris une place considérable dans les discussions RH. Et oui, l’écart entre les compétences disponibles sur le marché et celles attendues par les entreprises se creuse, accéléré par les nouveaux outils dont l’IA. Certains métiers changent même du tout au tout et on ne recrute plus de la même façon. Les équipes RH doivent donc à la fois prendre en main elles-mêmes ces nouveaux outils pour leur propre travail et leur propre employabilité mais elles ont aussi un rôle très important à jouer dans la transformation de l’entreprise.
Bernard Blottin observe d’ailleurs un sursaut dans l’usage de l’IA ces derniers mois dans la sphère RH : plus de solutions et d’outils à disposition des équipes, de nouveaux acteurs qui voient le jour, des équipes RH beaucoup moins frileuses à l’idée de s’emparer de ce sujet… Si l’IA explose et cartonne, son encadrement reste bien moins maîtrisé. Pour notre expert, cela illustre parfaitement le marché du recrutement en France : une adoption massive mais anarchique de l’IA, qu’il appelle “shadow AI”, sans accompagnement, sans garde-fous et avec une expérience candidat qui peut se dégrader.
Cependant notre expert insiste : “ce n’est pas l’usage des nouveaux outils et de l’IA en tant que tel qui peut s’avérer problématique mais bien la manière de l’implémenter”. Un point à bien garder en tête, l’IA est un outil mis à disposition des équipes. Charge à elles et aux entreprises d’en faire un usage humanisé et raisonné.
Expérience candidat & IA : l’essayer, c’est l’adopter ?
Bien pensée, bien utilisée, l’IA peut compenser nombre de points de frictions dans les expériences et les parcours candidat.
“La vraie grande révolution de l’IA, ce n’est pas l’IA générative, c’est le traitement des données”, insiste Bernard Blottin. Avec l’IA, ce sont des possibilités inédites et infinies de personnalisation qui peuvent être envisagées :
- des programmes d’onboarding sur mesure en fonction des typologies de métiers,
- des analyses prédictives pour anticiper un turnover,
- des parcours de formation individualisés,
- un suivi des candidatures dédié et individuel…
Les possibilités qu’offre l’IA aux équipes de recrutement sont immenses. Elles varient en fonction des équipes, de leur maturité, de leur vision et peuvent être adaptées. Dans son étude “HR Reimagined - Agentic AI for HR”, Deloitte identifie d’ailleurs trois niveaux d’intégration de l’IA :
- AI-Assisted : l’humain reste aux commandes avec un support modéré de l’IA (exemple : récolter les besoins de recrutement)
- AI-Augmented : collaboration étroite entre humain et IA avec des allers-retours fréquents (exemple : sourcing de candidat·es)
- AI-Powered : l’IA gère principalement les tâches, les humains interprètent et supervisent (exemple : création de rapports analytics)
Ainsi, chaque entreprise peut choisir son niveau d’automatisation, en fonction de son degré de maturité technologique, de sa culture et de son positionnement vis-à-vis de l’IA.
Et les candidat·es dans tout ça ? Sont-ils pour ou contre ? Bernard Blottin rappelle un point important. Selon le baromètre 2024 de Yaggo x IFOP, 62% des candidat·es ne reçoivent jamais de réponse après avoir postulé à un job. Un “vide sidéral”, qualifie-t-il.
On imagine très bien comment l’IA peut venir résoudre ce point avec, par exemple, des séquences e-mailings automatiquement envoyées en fonction des profils et des critères auxquels les talents répondent ou non. Bien sûr ce n’est pas parfait, mais au moins, on leur répond.
Contrairement aux idées reçues, les candidat·es ne rejettent pas en bloc l’usage de l’IA. “Entre ne pas avoir de réponse et avoir une réponse par une IA, les candidat·es préfèrent l’IA”, observe Bernard. Une étude de Capterra menée auprès de 3 000 personnes dans le monde à la recherche d’un job montre que 57% de ces personnes ont un avis plutôt positif sur l’usage de l’IA dans le recrutement. Parmi les répondants français, 58% pensent même que l’IA pourrait être plus impartiale qu’un humain.
L’IA Act comme accélérateur de bonnes pratiques
Paradoxalement, c’est la réglementation qui pourrait accélérer l’humanisation d’un recrutement automatisé. En effet, d’ici août 2026, les “high-risk AI systems” - catégorie dans laquelle tombent la majorité des solutions RH utilisant l’IA - devront respecter des obligations strictes :
- Évaluer régulièrement les risques et créer un système de gestion continue,
- Mettre en place des normes strictes sur la gouvernance des données pour atténuer les biais,
- Respecter les obligations de divulgation : les utilisateurs doivent savoir quand ils ont affaire à de l’IA,
- Assurer une supervision humaine à toutes les étapes de prise de décisions,
- Documenter en détails les étapes techniques de la conception du système implémenté et de ses capacités.
Cette réglementation va transformer la communication avec les candidat·es en imposant davantage de transparence et de suivi. “Aux entreprises d’être proactives sur comment et où nous utilisons l’IA, et rassurer sur le fait que la supervision humaine reste clé à chaque étape”, explique Bernard.
Transparence et choix : les indispensables
Selon Bernard, une bonne adoption et une bonne intégration de l’IA dans les parcours de recrutement réside dans trois éléments :
- La transparence : informer clairement les candidats de l’usage de l’IA devient d’ailleurs une obligation légale avec l’IA Act.
- Le choix : proposer systématiquement l’alternative d’un traitement humain.
- L’accompagnement : former candidat·es et clients à l’interprétation des résultats IA, que ce soit par le produit, les équipes ou des communications dédiées.
Les garde-fous nécessaires pour automatiser intelligemment
Sur la question sensible des biais, Bernard propose une approche nuancée : “Les humains ont autant de biais que les machines. Si les IA en ont, c’est bien parce que ce sont nous qui leur transmettons.” Mais il y a une différence cruciale : “Il est plus facile de reprogrammer une IA dont on se rend compte qu’elle comporte des biais que de changer les perspectives d’une personne qui fait du recrutement depuis 15 ans.”
D’où l’importance de maintenir cette supervision humaine que l’IA Act rendra obligatoire. Selon Andreea Lungulescu, dans son article “AI for Recruiters in 2025”, les humains doivent conserver quatre compétences essentielles :
- la réflexion stratégique,
- la création de relations,
- la compréhension contextuelle,
- et le jugement éthique.
Ces compétences sont précisément celles que l’automatisation ne peut pas reproduire - et qu’elle peut même libérer en déchargeant les RH des tâches répétitives.
Retrouver le “H” des ressources humaines
C’est peut-être là le véritable enjeu de cette révolution IA : utiliser la technologie pour redonner du sens au métier RH. “Ces dernières années, il y a eu une course folle à la digitalisation. La promesse était de libérer du temps pour que les RH puissent passer plus de temps avec les individus. On se rend compte que ce n’est absolument pas ce qui s’est passé”, constate Bernard.
L’IA offre une seconde chance. En automatisant intelligemment les tâches chronophages - avec des gains de productivité pouvant atteindre 30 à 40% pour la fonction RH selon une étude d’Emerton Data - elle pourrait enfin permettre aux RH de se recentrer sur l’accompagnement humain.
Mais cela nécessite un choix stratégique de la part des entreprises : que faire de ces gains de productivité ? Réduire les effectifs, faire encore plus ou réinvestir ce temps dans la relation humaine ? “C’est tout le défi des RH de fixer leurs limites auprès de leur direction pour dire : maintenant, on va s’occuper de l’humain”, plaide Bernard.
Conseils pratiques pour équipes RH avisées
Pour les équipes qui hésitent encore à franchir le pas, Bernard Blottin recommande une approche progressive : “Ne pas voir l’IA comme une montagne infranchissable, mais analyser, faire un diagnostic précis de là où ils ont besoin de gagner en efficacité, et ne choisir que deux ou trois points précis.”
L’erreur serait de chercher l’outil miracle qui résoudrait tous les problèmes. “Ça, ça n’existe pas”, insiste-t-il, rappelant que 95% des projets IA échouent selon une étude du MIT, principalement par manque de pragmatisme.
L’IA comme révélateur d’authenticité
Finalement, l’intelligence artificielle dans le recrutement agit comme un révélateur : elle amplifie les bonnes comme les mauvaises pratiques. Utilisée intelligemment, dans le respect de la réglementation et avec une supervision humaine constante, elle peut effectivement améliorer l’expérience candidat. Mal employée, elle risque de déshumaniser encore davantage un processus déjà défaillant.
“Il faut bien avoir conscience que l’IA, c’est d’abord et avant tout un outil”, rappelle Bernard Blottin. Un outil puissant, certes, mais qui ne vaut que par l’usage qu’on en fait. L’enjeu n’est donc pas de choisir entre automatisation et humanisation, mais de les réconcilier intelligemment. Car au bout du compte, derrière chaque candidature se cache une personne avec ses aspirations, ses craintes et ses espoirs. Et ça, aucune IA ne pourra jamais l’oublier à notre place.
Bernard Blottin est expert IA chez Ideuzo, agence de communication ressources humaines, où il accompagne les entreprises dans l’adoption d’outils IA appliqués aux RH.
Article écrit par Wendy Carré, photo : Lisa Jacquemin pour Welcome to the Jungle
Inspirez-vous davantage sur : Inspirations pour les Decision Makers
Insufflez un vent nouveau dans votre organisation avec nos articles inspirationnels.
Best of : les 12 actus qui ont fait le taf en 2024
De la transformation de Pôle Emploi à la semaine de 4 jours à Tokyo, zoom sur les événements qui ont marqué le monde du travail en 2024.
23 déc. 2024
Best of : les 12 actus qui ont fait le taf en 2023
Et vous, quelle actu boulot vous a marqué en 2023 ?
20 déc. 2023
Nos astuces pour dénicher LE bon livre sur le management
Welcome to the jungle of books ! Voici un petit précis d’investigation littéraire afin de trouver le bouquin de management qui vous correspond.
30 nov. 2023
Ménopause : ce tabou qui pénalise toujours la carrière des femmes
« Si on a fait exploser le tabou des règles, on peut le faire aussi avec la ménopause. C’est juste une question de temps. »
02 nov. 2023
Turn-over : le départ d'un collaborateur vous coûte plus que vous ne l'imaginez
Impacts budgétaires, déperdition des savoirs, baisse de l’engagement… Quels sont les coûts réels du turnover ?
22 juin 2023
Inside the jungle : la newsletter des RH
Études, événements, analyses d’experts, solutions… Tous les 15 jours dans votre boîte mail.