Recruteurs : où se situe la limite dans la recherche d’infos sur un candidat ?
11 sept. 2024
5min
Le processus de recrutement peut sembler intrusif, à la lisière du respect de la vie privée. À l’ère des réseaux sociaux qui laissent entrevoir quelques bribes personnelles, jusqu’où les recruteurs peuvent-ils aller dans leurs recherches ? Quels sont les droits des candidats et les limites à respecter ?
Lors d’un processus de recrutement, les candidats disposent de droits spécifiques en ce qui concerne leurs données personnelles, imposant des limites strictes que les recruteurs doivent respecter. En effet, la protection des informations personnelles est régie par des lois qui encadrent les pratiques des employeurs, leur interdisant de poser des questions inappropriées ou d’exiger des documents ou informations non pertinents.
Ces limites se résument en deux grands axes : la collecte et l’utilisation des données personnelles des candidats, qui doivent notamment respecter le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), une réglementation européenne en vigueur depuis mai 2018. Léo Bernard, expert recrutement et Elise Fabing, avocate spécialisée en droit du travail, nous aiguillent sur le cap à garder quant à vos recherches, afin de rester en conformité avec le droit et l’éthique.
Informations des candidats : quelle éthique pour les recruteurs ?
Selon une étude réalisée en 2022, deux tiers des candidats avouent mettre des informations erronées dans leur CV. Face à ces petits arrangements, les recruteurs sont tentés de sécuriser leur décision en jouant la carte des références, ou en menant quelques recherches complémentaires, quitte à franchir parfois le Rubicon éthique. D’après Léo Bernard, il existe quelques nuances à prendre en considération à ce sujet. « Il faut distinguer la recherche d’informations qui vise à mieux connaître un candidat et l’espionnage, plaide-t-il. Par exemple, écouter un podcast réalisé par le candidat pour comprendre ses idées est acceptable. De même, utiliser LinkedIn pour envoyer un message d’approche afin de le convaincre de rejoindre l’entreprise est légitime, car cela aide à mieux présélectionner les candidats. »
Selon l’expert, « la recherche doit être proportionnelle à l’importance du poste ». Ce qui signifie qu’en cours de processus, pour certains postes stratégiques, il peut être pertinent de mener des recherches plus approfondies, mais uniquement sur des informations professionnelles. « En tant que recruteur, il faut se demander si, éthiquement, aller sur Instagram est utile pour le poste en question. » Ces réflexions incitent les candidats à la prudence : « Ils doivent veiller à ce qu’ils publient sur leurs comptes personnels, car bien que les recruteurs n’aient pas le droit de s’en servir pour évaluer les compétences professionnelles, cela peut les influencer. »
Collecte et utilisation des données des candidats : zoom sur la législation
Selon Élise Fabing, les règles en matière de collecte et d’utilisation des données des candidats doivent respecter les principes de finalité et de minimisation. « La finalité de la récolte de l’information doit être strictement professionnelle », confirme-t-elle. Cette finalité professionnelle est évaluée en fonction des compétences et connaissances techniques des candidats, ainsi que de leur capacité d’adaptation, leur aptitude à s’intégrer dans une équipe et leur potentiel d’évolution vers d’autres postes.
La minimisation des données signifie que seules les informations strictement nécessaires au recrutement doivent être collectées, « excluant par exemple des questions trop larges comme la santé, la vie sexuelle, le logement ou les loisirs ». Élise Fabing insiste également sur l’obligation de loyauté et de transparence : « La personne doit être informée des méthodes de recrutement. La loi dit qu’aucune information pour collecter de l’information ne doit être utilisée par un dispositif qui n’a pas été porté à sa connaissance. » Par exemple, dans le cadre d’un datacheck (une étape visant à valider certaines informations) ou d’un appel à un ex-employeur, le candidat doit en être informé et donner son consentement.
Élise Fabing précise que la collecte d’informations sur les réseaux sociaux constitue un recueil de données à caractère personnel selon le RGPD, impliquant une protection de la vie privée des candidats. Cette réglementation -dans son article 4- définit les données à caractère personnel comme « toute information qui se rapporte à une personne physique identifiée ou identifiable ». Leur traitement inclut toute opération réalisée à l’aide de procédés automatisés, comme la modification, l’extraction et l’utilisation des informations. « Ceci enjoint les personnes à être prudentes par rapport aux publications sur leurs réseaux personnels ou professionnels comme LinkedIn », précise notre experte.
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Recruteurs : comment « borner » sa recherche d’informations ?
Un guide du RGPD clé-en-main
Pour assurer la conformité à l’embauche, la CNIL a publié un guide intitulé « Le guide du recrutement ». Il est composé de 19 fiches qui détaillent les principes à appliquer à chaque étape, en matière de collecte de données personnelles via divers canaux (réseaux sociaux, publicités, moteurs de recherche…), des outils de communication (visioconférence, chatbot…), d’intelligence artificielle ou d’évaluations. Les entreprises ont aussi accès à une synthèse de questions/réponses incontournables en matière de recrutement, ainsi qu’un questionnaire d’auto-évaluation : Recrutement et données personnelles dans les TPE/PME : cinq questions incontournables à se poser | CNIL.
Les questions à blacklister
La loi stipule que les questions posées lors du recrutement doivent avoir pour seul but d’évaluer les aptitudes professionnelles du candidat. Donc, « exit » les questionnaires sur l’état de santé, la situation familiale, les opinions politiques et même les hobbies. À cet égard, Élise Fabing souligne les dérives possibles des méthodes de recrutement fondées sur les soft skills. « Même si c’est tentant de s’intéresser aux compétences sociales et comportementales, c’est la porte ouverte à des allusions qui peuvent être à la limite du légal », pose l’avocate en droit du travail.
Des documents minimalistes
Lors des premières étapes du processus, les recruteurs ne devraient demander que des documents nécessaires pour évaluer les compétences, tels que le CV, la lettre de motivation et les copies de diplômes. Les informations sensibles comme les anciennes fiches de paie sont proscrites. « Sur certains documents tels que les bulletins de paie, on voit les arrêts maladie, les congés maternité… Or, il s’agit d’informations confidentielles », avertit Élise Fabing. Lors de la phase avancée du recrutement ou de l’onboarding, des documents tels que la carte d’identité peuvent être requis uniquement dans le cadre de la préparation à l’embauche.
Une prise de références raisonnée
La prise de références est une pratique légale. Comme le stipule la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés), « le recueil de références auprès de l’environnement professionnel du candidat (supérieurs hiérarchiques, collègues, maîtres de stages, clients, fournisseurs…) est permis dès lors que le candidat en a été préalablement informé ». En effet, selon les articles L. 1221-8 et L. 1221-9 du Code du travail, « tout employeur souhaitant s’enquérir des références d’un candidat doit préalablement lui demander l’autorisation ». De plus, cette pratique doit être menée dans la discrétion et la confidentialité la plus totale. En effet, un candidat ne souhaite pas nécessairement que son employeur actuel soit informé de sa participation à un processus de recrutement, surtout s’il s’agit d’un concurrent !
Des données « dégradables »
Même si la personne n’est pas retenue pour un poste, un employeur a l’autorisation de conserver ses données jusqu’à deux ans, avec son consentement. En effet, le candidat détient des droits spécifiques en matière de données personnelles, notamment le droit à l’information ainsi que le droit d’accès, de portabilité, de rectification, de limitation et à l’oubli, toujours en vertu du RGPD.
Information candidat : et si on changeait de prisme ?
Et si les prises de références servaient à mieux connaître ou à mieux intégrer un candidat ? C’est ce que propose Léo Bernard. Au lieu de juger un candidat ou de vérifier la véracité de ses dires, l’expert encourage les recruteurs à recueillir des informations visant à mieux le ou la comprendre, dans l’optique d’améliorer son onboarding ou de mieux préparer les entretiens de recrutement. Cette approche positive enrichit la connaissance du candidat et favorise une intégration plus harmonieuse et humaine. C’est une démarche qui, tout en respectant l’éthique et les régulations, pourrait bien redéfinir les standards du recrutement de demain.
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Article rédigé par Laure Girardot et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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