Mercato LinkedIn : pourquoi tant de louanges à nos ex et nos futurs jobs ?

15 sept. 2022

5min

Mercato LinkedIn : pourquoi tant de louanges à nos ex et nos futurs jobs ?
auteur.e
Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

Depuis quelques semaines, les publications enjouées de salariés annonçant leur prise de fonctions dans une nouvelle entreprise inondent nos fils d’actualité. Que cache ce raz-de-marée ?

« Après avoir passé six belles années au sein cette super entreprise qu’est XXXX, je suis très heureux de rejoindre aujourd’hui XXXX au poste de XXXX. Je tenais ici à remercier tous mes anciens collègues et responsables du groupe XXXX. Ce fut un réel plaisir d’évoluer à vos côtés et de grandir aussi bien professionnellement qu’humainement. J’ai hâte de rencontrer… » Ces dernières semaines, vous avez vu passer ce genre de message sur LinkedIn ? Rassurez-vous, vous êtes loin d’être un cas isolé. Depuis que l’été a sonné son glas, les membres du premier réseau social professionnel au monde semblent s’être lancés dans un mercato géant. Et chacun y va de son petit message pour annoncer son changement d’employeur. Un trait que l’on retrouve dans toutes ces publications ? Une anecdote un peu triste ou nostalgique pour expliquer en quoi leur ancienne équipe va leur manquer et bien évidemment une phrase pour montrer à quel point ils sont enthousiastes (fonctionne également avec les synonymes motivés, euphoriques, bouillants, emballés…) à l’idée de commencer une « nouvelle aventure ». Hashtag nouveau challenge.

En soit il n’y a rien d’extraordinaire à annoncer un changement de situation professionnelle sur une plateforme de networking. Simplement, il y a quelques années, n’était-il pas d’usage d’attendre la fin de sa période d’essai pour louer les mérites d’une entreprise (entre nous personne n’est parfait et surtout pas un endroit où l’on va travailler à mettre à jour des fichiers Excel) et dire à quel point c’était vraiment génial comme changement de cap ? Deuxième point, comment se fait-il que tant de salariés soient si tristes quand ils évoquent la fin de leur contrat et le départ de leur boîte qui a si bien su les accompagner, les former tout au long de leur carrière ? Et si ces publications cachaient une toute autre réalité ?

Une bonne pratique de personal branding

« Certains messages peuvent manquer de sincérité et ça ne trompe personne, reconnaît Aurélie Cerffond, autrice de Vous êtes unique, montrez-le !, le guide du personal branding de Welcome to the jungle. Mais la démarche a une vrai utilité puisqu’il s’agit de tenir son réseau et son écosystème professionnel au courant de ses dernières actualités. Cela fait partie d’un ensemble de bonnes pratiques de personal branding. » Notre experte en est convaincue : ces annonces peuvent aider celles et ceux qui se lancent à trouver de nouveaux projets, à améliorer leur identité numérique voire, quand il s’agit d’une annonce de promotion interne, à se faire débaucher ailleurs. Pour Laura Berni qui a annoncé avoir été embauchée chez Cleaq en juin dernier pour travailler sur des sujets de responsabilité sociale et environnementale, son message avait plusieurs fonctions : « D’abord informer mes collègues de mon départ avant leur retour en présentiel, avertir mes collaborateurs en externe que je n’étais plus leur point de contact dans l’entreprise. Puis, et c’est un peu moins courant, je voulais mettre en lumière et faire connaître le travail de l’entreprise que je venais de rejoindre qui ne bénéficiait pas encore d’un large réseau. »

Post sur LinkedIn : un autre message à faire passer ?

Pour d’autres salariés - généralement celles et ceux qui souffrent au travail - publier ce genre d’annonce est également une façon implicite de montrer qu’ils ou elles ont réussi à rebondir malgré les difficultés et sont toujours aussi séduisants sur le marché de l’emploi. Une façon comme une autre de reprendre confiance en soi. Victor Cardoso, chef de projet chez Accenture, qui a décidé d’écrire un petit mot en mettant son profil à jour confirme : « Comme j’ai failli péter les plombs à cause de mon ancienne direction et que je communique beaucoup sur LinkedIn, il était hors de question que ces personnes profitent ne serait-ce qu’une semaine de plus de mon réseau, explique le spécialiste en gestion des performances de l’entreprise qui comptabilise plus de 10 000 abonnés sur le réseau professionnel. Et je suis très heureux de l’avoir fait. D’ailleurs, je compte bien écrire un nouveau message pour annoncer que ma période d’essai vient d’être validée. »

De son côté Louise (1) n’a pas attendu la fin de son préavis pour écrire ledit message. Rien d’étonnant puisque comme Victor elle a quitté son précédent employeur un peu amère. « Je n’ai pas eu le poste que je convoitais depuis six mois alors que j’avais l’ancienneté et les compétences nécessaires pour y prétendre, détaille-t-elle. Sans nous informer en interne, la direction a préféré prendre quelqu’un d’extérieur. » Déçue par le service des ressources humaines et limitée dans son évolution de carrière, Louise a sauté sur le premier job de son scope sans oublier de prendre le temps d’écrire publiquement à quel point elle était heureuse dans ses nouvelles fonctions. Pourtant dans la forme, la jeune femme de vingt-huit ans a toujours fait mine de regretter son départ précipité. « Je sais que c’est un peu hypocrite, mais comme on ne sait jamais qui on va recroiser dans sa vie professionnelle, mieux vaut rester polie voire en faire un peu trop », argue-t-elle. Communicante de métier, elle est très clairvoyante sur la comédie qui se joue en ligne.

Plus de sincérité pour éviter le ras-le-bol

« Aujourd’hui, la plupart des salariés semblent avoir compris l’importance de parler de soi dans les publications LinkedIn annonçant une promotion, un changement de portefeuille, une mutation ou un nouvel emploi, observe Aurélie Cerffond. Problème, on est assailli de messages qui se ressemblent parfois au mot près. Sans aller jusqu’à qualifier ce mouvement de grande fourberie, c’est assez normal de ressentir un certain ras-le-bol. » Pour éviter de tomber dans cet écueil, la spécialiste en personal branding conseille de s’inspirer de ce que font les autres dans une moindre mesure. Exit les métaphores sportives et toute autre référence essorée du genre : « l’heure du départ a sonné » si vous travaillez dans les transports. « Il faut que le ton que la personne utilise et le vocabulaire qu’elle emploie s’accordent à sa personnalité. » Idem pour les regrets et l’enthousiasme exprimés : ils n’ont d’intérêts que s’ils sont véritables. Vous manquez d’inspiration ? Sachez qu’il est tout à fait possible de faire une mise à jour de son profil LinkedIn sans écrire de texte personnalisé. « C’est un recours tout à fait envisageable, mais à éviter puisque cela ne va pas nous aider à interagir avec notre communauté et donc consolider notre marque personnelle », convient la spécialiste.

Vous ne supportez déjà plus ce genre de message ? Malheureusement il va falloir s’y habituer ; les réseaux sociaux ne cessent d’accélérer notre rapport au temps. Aujourd’hui, chacun désire savoir ce que fait son réseau en temps réel. Les changements de perspectives et les réflexions sont commentés, aimés et partagés au plus grand nombre. À quoi cela sert si on ne dit pas vraiment ce que l’on pense ou uniquement ce qui nous arrange ? C’est un autre débat. Mais avant de vous lancer dans l’écriture d’un texte dithyrambique sur votre futur employeur, réfléchissez tout de même aux tournures employées : si ça ne le fait pas, les formules ampoulées et les remerciements vous feront passer pour quelqu’un de très naïf concernant les réalités du monde du travail…

(1) Le prénom a été changé

Article édité par Gabrielle Predko
Photo par Thomas Decamps

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