La météo fait-elle la pluie et le beau temps avec notre productivité ?

13 oct. 2022 - mis à jour le 11 oct. 2022

4min

La météo fait-elle la pluie et le beau temps avec notre productivité ?
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

La météo : un sujet simple, léger, sans risque. S’il vous a sans doute sauvé la mise plusieurs fois, face à un collègue peu loquace dans un ascenseur (« Il fait beau aujourd’hui, n’est-ce pas ? »), vous ignorez peut-être à quel point il influence nos comportements et notre productivité au travail. Zoom sur les effets, souvent méconnus, d’une journée pluvieuse ou ensoleillée au boulot.

Souvenez-vous, l’été dernier, quand réveillé(e) par un doux rayon de soleil, vous preniez votre café en terrasse en songeant à cette belle journée qui s’annonçait. À cette époque, vous aviez tendance à penser que le soleil boostait votre motivation et votre productivité, n’est-ce pas ? Vous n’êtes pas les seuls : le soleil est généralement associé à la bonne humeur, et par extension, à l’efficacité. Mais une fois n’est pas coutume, la foule n’a pas toujours raison.

Pour ses recherches, Francesca Gino - professeure associée à la Harvard Business School - a étudié la productivité des employés d’une banque japonaise pendant deux ans et demi (et on sait tous que les japonais ne rigolent pas avec le travail). Elle a ensuite corrélé ses données avec des statistiques météorologiques sur la même période. Le résultat est sans appel : l’été, la productivité fond comme neige au soleil. Plus les journées étaient maussades, le temps couvert et la visibilité réduite, plus les employés de bureau étaient productifs. À l’inverse, plus la météo était clémente, le ciel clair et ensoleillé, moins les travailleurs étaient efficaces. De là à penser qu’on est plus actif à Brest qu’à Marseille, il n’y a qu’un pas.

Pourtant vous aviez raison sur un point, l’été dernier : l’abondance de lumière naturelle et de vitamine D est bonne pour le moral. Malheureusement (pour votre boss), cette motivation exacerbée n’est pas compensée par les doux travers de la période estivale : pauses-déjeuner plus longues, distractions extérieures, pression collective moins forte… D’ailleurs, votre manager n’est pas dupe : 45 % d’entre eux pensent que leurs équipes sont un peu ou beaucoup moins productives l’été.

Alors pourquoi vous sentez-vous pourtant moins productifs en hiver ? Ce phénomène serait davantage lié aux saisons et à la luminosité, qu’à la météo elle-même. En effet, les recherches en chronobiologie soutiennent l’idée qu’en hiver, nos besoins et nos préférences en matière de sommeil changent. Or, les contraintes de la vie de bureau sont particulièrement inadaptées pendant ces mois : il faudrait dormir plus, et travailler moins, comme le faisaient nos ancêtres. Ce mode hivernal “soporifique” joue effectivement sur notre motivation et sur notre état de santé de manière générale.

Couvrez ce fond d’écran ensoleillé que je ne saurais voir…

« … par de pareils objets les âmes (et la productivité) sont blessées », aurait dit Tartuffe. Car non, vous n’êtes pas au bout de vos surprises, les recherches de Francesca Gino vont plus loin. Afin de vérifier ses résultats en laboratoire, la chercheuse a réalisé quelques expérimentations sur ses élèves d’Harvard (aucun individu n’a été maltraité pendant ces recherches, rassurez-vous).

L’équipe a ainsi recruté 136 étudiants, invités à remplir plusieurs questionnaires avec la promesse qu’ils seraient récompensés en fonction de la rapidité et de la précision avec lesquelles ils auraient terminé le travail. Certains ont été conviés sur des jours ensoleillés, d’autres sur des jours de pluie. Une partie de ces derniers a également dû regarder des images de scènes ensoleillées et d’activités extérieures avant de commencer le travail. Ceux-ci se sont révélés (presque) aussi improductifs que le groupe convié un jour de beau temps. La conclusion des chercheurs ? Plus que la météo elle-même, c’est surtout la distraction créée par la tentation des activités extérieures qui entraîne une diminution de la productivité.
Alors, vous voyez ce calendrier 2012 (époque à laquelle on accrochait encore des calendriers dans l’open-space) des plages paradisiaques du monde entier, caché dans un coin de l’open-space ? Vous feriez bien de le retirer. Par sécurité.

Alerte canicule sur l’open-space

Non seulement le soleil impacte votre productivité, mais il n’est pas le seul. Une autre étude révèle que les températures élevées entraînent également une baisse d’efficacité… et peut même entraîner des pertes économiques mondiales à large échelle (Greta Thunberg nous avait prévenu).

Anant Sudarshan - directeur pour l’Asie du Sud à l’Energy Policy Institute de l’Université de Chicago - et son équipe ont analysé la productivité des travailleurs en Inde, troisième économie mondiale et l’une des plus exposées aux effets du changement climatique. Ils ont étudié des industries à main d’œuvre importante, et des industries hautement automatisées. Dans les premières, la productivité chutait jusqu’à 4 % par degré lorsque les températures dépassent 27 °C. Dans les secondes, qui nécessitent un effort physique moindre, la productivité ne semble pas impactée par la température. Doit-on s’attendre aux mêmes effets en Occident ? Très probablement.

Par ailleurs, la chaleur n’impacte pas uniquement la productivité. Des recherches menées par Ayushi Narayan, docteur en économie de Harvard, révèlent que des températures plus chaudes sont également corrélées à une augmentation de l’aggressivité de manière générale, et notamment, de la discrimination et du harcèlement au travail. Pensez-y l’été prochain, quand vous chercherez à subtiliser l’agrafeuse de votre collègue de bureau. Un incident diplomatique peut vite arriver.

La climatisation serait-elle une solution ? D’un point de vue environnemental, non. D’un point de vue “efficacité”, partiellement. En effet, les mêmes chercheurs ont pu démontrer que si la climatisation limite la baisse de productivité, elle n’empêche pas l’absentéisme. Car une augmentation d’un degré de la température moyenne sur dix jours augmenterait la probabilité qu’un travailleur soit absent jusqu’à 5 %. Et on peut décemment supposer que lesdits travailleurs ne cherchent pas à profiter de la plage… mais essaient surtout d’éviter les transports en commun, la promiscuité et les aisselles odorantes de leurs compatriotes. Comment leur en vouloir ?

Alors comment faire pour limiter les effets de la météo sur votre productivité ? Pour commencer, tout le monde n’est pas concerné de la même manière : certains y sont particulièrement sensibles, d’autres moins. Si vous faites partie des malchanceux particulièrement touchés par le blues de l’hiver ou que vous avez des difficultés à vous concentrer dès que le soleil pointe son nez, essayez d’adapter vos tâches (voire, votre temps de travail) à la météo. Privilégiez les tâches les plus complexes sur des jours pluvieux, et les tâches plus créatives les jours ensoleillés. Réfléchissez également à ce qui booste votre moral en hiver : télétravailler au chaud chez vous, ou voir et interagir avec vos collègues au bureau ? Enfin, n’oubliez pas les astuces tirées des expériences de Francesca Gino : remplacez votre fond d’écran exotique par un magnifique paysage écossais en plein automne. Voire, troquez la photo de votre conjoint et vos enfants rigolant aux éclats lors d’une belle journée de printemps au parc, par leur version « soirée scrabble et soupe aux choux » de l’hiver dernier.

Article édité par Aurélie Cerffond, photo Thomas Decamps pour WTTJ

Les thématiques abordées