C’est officiel, râler (à petites doses) peut booster votre productivité

27 mars 2023

4min

C’est officiel, râler (à petites doses) peut booster votre productivité
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

Ceci n’est pas une ode à la mauvaise humeur, mais presque. Dans un monde qui valorise l’optimisme, encense la bienveillance et glorifie les Bisounours, les grincheux ont-ils encore leur place ? Oui. Car contre toute attente, les recherches démontrent qu’une mauvaise humeur passagère aurait (elle aussi) de bons côtés. De quoi relativiser la prochaine fois que vous vous lèverez du pied gauche.

On nous parle beaucoup des effets positifs de la bonne humeur et du bonheur au travail. Mais différentes études soulignent qu’être de « mauvais poil » a (aussi) des effets bénéfiques et insoupçonnés. Ne râlez pas, on vous en dit plus tout de suite.

Et si la mauvaise humeur rendait plus créatif ?

En 2009, le chercheur Matthijs Baas de l’Université d’Amsterdam a réalisé une expérimentation intéressante. Il a invité un groupe de volontaires à ressentir de la colère, et un second à rester neutre, avant de tester leur créativité. L’équipe en colère a non seulement produit plus d’idées, mais celles-ci se sont surtout révélées plus originales et variées.
Il explique ce résultat par le fait que la colère, à petite dose, serait stimulante et encouragerait la pensée dite « non structurée ». Concrètement, cela signifie que vous serez plus créatif en imaginant les utilisations possibles d’une agrafeuse suite à une réunion déplaisante avec votre boss, qu’après une pause café avec votre collègue préféré·e.

Et si la mauvaise humeur améliorait le jugement ?

Rendons-nous cette fois en Australie, où l’un des éminents spécialistes de la mauvaise humeur, le psychologue Joseph Forgas, a mené une autre expérimentation sur le sujet. Il a demandé à deux groupes de volontaires - l’un de bonne humeur et l’autre de mauvaise humeur - de juger de la véracité de grands mythes urbains, comme l’assassinat de Kennedy par la CIA.
Il a ainsi pu observer que les personnes de bonne humeur étaient moins capables de penser avec scepticisme et étaient nettement plus crédules. Pour le psychologue, la bonne humeur encourage la « pensée automatique », alors que les humeurs négatives rendent plus critique, moins conciliant et limitent les erreurs de jugement. Pensez-y, la prochaine fois que vous serez coincé·e dans un embouteillage : c’est sans doute le meilleur moment pour lister tous les éléments clés de réussite ou d’échec du projet sur lequel vous travaillez en ce moment.

Et si la mauvaise humeur boostait la mémoire ?

Joseph Forgas (toujours lui) a également montré que les humeurs négatives améliorent aussi l’attention et la mémoire. En 2005, il a demandé à de nouveaux volontaires de se remémorer une journée récente. Il s’avère que les personnes de mauvaise humeur dépeignent leurs souvenirs avec plus de véracité et de précision que les autres. Comment est-ce possible ? D’après lui, les humeurs négatives limitent les biais et offrent un sens du jugement plus juste. Et donc, trompent moins le cerveau. CQFD.
De la même manière, dans une autre étude pendant laquelle il demande à des volontaires de raconter un film, il a observé que les grincheux ont tendance à fournir des informations plus pertinentes et de meilleure qualité que leurs pairs positifs. « Elles sont moins fausses ou spéculatives, et utilisent également moins de mots par acte de communication », précise-t-il. Voilà peut-être les clés d’une communication plus efficace ?
Et ce n’est pas tout : si la mauvaise humeur offre (contre toute attente) des bénéfices, se forcer à avoir l’air détendu et heureux rendrait aussi moins productifs. C’est en tout cas ce qu’affirme une étude de l’université du Michigan, qui alerte sur les dangers de la « fausse positivité » : épuisement émotionnel, repli sur soi, détérioration de l’humeur…
Alors, plutôt que de vous forcer à l’enthousiasme, comment tirer partie de cette mauvaise humeur passagère, sans en faire pâtir vos collègues ?

Bien exploiter sa mauvaise humeur : 5 conseils pratiques

Il existe autant d’études démontrant les bénéfices de la mauvaise humeur au travail, que de recherches attestant l’inverse. Alors loin de nous l’idée de vous enorgueillir de cette mauvaise humeur et de vous encourager à jeter des agrafeuses contre les murs (ou pire, contre votre boss). Si la mauvaise humeur passagère a des bénéfices, encore faut-il savoir en tirer partie… avant de revenir à un état d’esprit plus positif !

Conseil n°1 - Identifiez ce qui cloche

Avant d’imaginer retirer des bénéfices de votre mauvaise humeur, encore faut-il en comprendre l’origine. Conflit avec un collègue, surcharge de travail, panne de la machine à café… ? Mettre des mots sur ce qui vous dérange vous permettra d’en prendre le contrôle quand vous le souhaiterez. Et trouver des solutions efficaces et durables pour y remédier (… mais plus tard, car vous avez plein de belles choses à faire avec cette mauvaise humeur avant).

Conseil n°2 - Isolez-vous

À l’inverse d’une plaquette de chocolat, la mauvaise humeur ne se partage pas. Elle vous appartient, et il n’y a pas de raison que vos collègues en pâtissent (qu’ils en soient à l’origine ou non). Alors mieux vaut fermer la porte de votre bureau ou mettre un casque pour ne pas être dérangé·e, que de faire pleuvoir votre courroux sur tous ces innocents.

Conseil n°3 - Adaptez vos tâches à votre humeur du moment

Vous l’avez compris, la mauvaise humeur offre de nombreux bénéfices : concentration, mémoire, créativité, pensée critique… C’est le moment de vous atteler à toutes ces tâches qui bénéficieront de ces super-pouvoirs passagers !

Conseil n°4 - Évitez les décisions hâtives

Pour autant, et même si vos super-pouvoirs vous ont permis, semble-t-il, d’avoir eu l’idée du siècle ou d’avoir identifié un problème majeur sur le projet… ne mettez pas la charrue avant les bœufs. Évitez de prendre une décision importante sous le coup de votre mauvaise humeur, et attendez de retrouver un état d’esprit plus positif pour réexaminer vos idées. Si vous devez prendre une décision urgente, discutez-en avec un collègue de confiance pour obtenir un point de vue extérieur.

Conseil n°5 - Trouvez un exutoire

Une fois que vous avez tiré tous les bénéfices créatifs et productifs de votre mauvaise humeur, le moment est venu de passer à autre chose. Prenez le temps nécessaire pour boire un café avec un collègue, vous aérer, dessiner, agrafer des feuilles… bref, pour vous libérer de ces émotions négatives de la façon la plus appropriée pour vous.

De Newton à Jeff Bezos en passant par Beethoven, les grands de ce monde révèlent souvent des tempéraments irritables et lunatiques. Alors vous aussi, pauvres mortels, vous avez le droit de vous laisser aller à ces humeurs passagères. Et d’autant plus maintenant que vous en connaissez tous les bénéfices. À vous de jouer : prêt, feu, ronchonnez !

Article édité par Gabrielle Tremblay ; Photo de Thomas Decamps