« Mon manager m'a confié une mission à laquelle je ne crois pas » : Que faire ?

11 juil. 2023

6min

« Mon manager m'a confié une mission à laquelle je ne crois pas » : Que faire ?
auteur.e
Pia Le Ficher

Rédactrice web

Cela nous est tous déjà arrivé ou cela vous arrivera un jour. Un matin, votre boss arrive au bureau, l'œil pétillant et le dos droit, avec, dans sa besace, ce qu’il ou elle croit être l’idée du siècle. Et c’est vous - fidèle lieutenant - qui allez devoir mener à bien cette nouvelle mission. Sauf qu’à mesure qu’il.elle déroule son idée, plein.e d’enthousiasme, le projet du siècle devient pour vous la tannée de l’année. C’est simple, vous n’y croyez pas, donc vous n’avez pas très envie de vous atteler à la tâche. Pourtant, le.la boss brandit déjà une date butoir…

Que diable allez-vous faire dans cette galère ? Comment s’investir dans un projet auquel on ne croit pas ? Où puiser la motivation ? Est-il possible de dire « non » ? Faut-il dire à son.sa manageur que son idée est mauvaise, essayer de lui faire entendre raison ? Ou au contraire, lui faire confiance ? Pas de panique, on vous aide à prendre du recul et à vous tirer de ce mauvais pas.

La première question à se poser : « pourquoi je n’y crois pas ? »

Il est important de répondre à cette question car la réponse va guider nos prochaines actions. « Ce qu’on vient interroger là, explique Adrien Chignard, psychologue du travail, ce sont les trois sens du travail : le sens comme la signification, la compréhension du message, le sens comme une direction à laquelle on souscrit ou non et le sens comme une sensation où l’on vient identifier les émotions que l’on ressent face à la consigne reçue. Est-ce que cette mission vous plaît, est-ce qu’elle vous dégoûte ? »

Commençons donc par une petite introspection pour identifier ce qui vous dérange dans le projet :

  • Vous n’êtes pas certain.e d’avoir compris ce qui était demandé ;
  • L’idée vous semble irréalisable au regard du timing demandé et des moyens dont vous disposez ou mauvaise sur le fond : elle ne permettra pas d’aboutir aux résultats escomptés ;
  • Vous ne souscrivez pas aux valeurs sur lesquelles se base cette idée : cela vous met mal à l’aise.

«Questionnez en quoi le sens résiste chez vous», résume Adrien Chignard.

Chercher à approfondir : est-ce une si mauvaise idée ?

Sans être des professionnels de la communication non-violente, vous avez sans doute remarqué que pour convaincre, il vaut mieux faire preuve de diplomatie. Évitons donc de rejeter l’idée en bloc et commençons par demander davantage d’explications et poser des questions ouvertes à ce manager. L’angle « je ne suis pas sûr.e d’avoir parfaitement compris ce que tu attendais de moi » peut être un bon moyen d’ouvrir la discussion sans acculer l’autre directement.

Sur ce point, Adrien Chignard rappelle les bases de la théorie de Jakobson : « En termes de communication interpersonnelle, il y a le message émis, le message reçu et le bruit communicationnel entre les deux qui peut créer des incompréhensions. Il est donc important de créer des boucles de rétroaction (répéter, reformuler) pour s’assurer qu’on a bien compris le sens -signification- de la consigne. »

Commencez donc par lui demander de préciser l’objectif, le « pourquoi » du projet. À quel besoin est-il censé répondre ? Vous pouvez ensuite questionner la méthode et les moyens de mise en œuvre : cela permettra d’ancrer rapidement l’idée dans la réalité (donc de se confronter à sa faisabilité). À la fin de l’échange, vous devez pouvoir compléter la phrase suivante : « Ce projet va nous permettre d’atteindre tel ou tel résultat en utilisant tel et tel moyen, en x temps ».

Vous pouvez également en discuter avec d’autres collègues de confiance afin d’échanger sur vos points de vue et la compréhension du projet.

Soit vous verrez le projet sous un nouveau jour, peut-être plus convaincant, soit votre scepticisme sera confirmé. Il sera alors temps de produire un argumentaire pour réfuter cette (mauvaise) idée.

Constater, s’exprimer, proposer

Cet exercice demande un peu plus de subtilité que de faire savoir à votre boss qu’il.elle a tort. L’objectif est plutôt de lui montrer que si l’on questionne le projet, c’est dans une démarche constructive : nous aussi sommes investis dans notre travail et avons envie de contribuer, pas d’exécuter bêtement les consignes.

« Pour faire passer un message délicat avec respect et bienveillance, il est nécessaire de commencer par énoncer une attention bienveillante à moyen-terme pour ensuite pouvoir dire les choses plus difficiles. C’est ce que j’appelle la méthode Stéphane Plaza : à chaque fois, il rappelle qu’il est là pour aider les gens à vendre leur maison au meilleur prix… mais que pour cela il va falloir accepter de changer deux trois éléments de décoration », illustre Adrien Chignard.

Dans toutes les situations de désaccord ou d’incompréhension, il est plus efficace d’arriver avec des questions et des propositions que de se contenter de s’opposer.

Mettez-vous dans la posture d’exécution de l’idée, identifiez et listez les différents points d’achoppement. Vous pourrez ensuite revenir vers votre manager avec des arguments formalisés tout en lui démontrant que vous êtes de bonne volonté et vous êtes projeté dans la réalisation de son idée. Le message à faire passer à votre boss : « Tu peux compter sur moi même quand nos points de vue divergent, on a tous les deux envie que cela se passe bien ». Bref, faites de ce désaccord un terrain d’expression de vos compétences et de votre motivation. Votre manager ne pourra que vous estimer davantage.

Cela demande bien sûr un peu d’intelligence relationnelle et d’écoute côté manager. Si le dialogue est impossible, il faudra adopter une autre méthode.

Se sécuriser

Vous avez pu exposer vos arguments mais n’avez pas réussi à convaincre, ou bien votre manager n’est pas ouvert à la discussion. Vous allez sans doute devoir vous atteler à la tâche… Mais c’est le moment de confronter l’idée et sa faisabilité explique Adrien Chignard. « Ce qui fonctionne le mieux, c’est encore de réussir à révéler en amont de l’exécution, ce qu’on appelle la pensée magique : ce que votre manager propose n’est pas réalisable et il va falloir le démontrer : confrontez-le à la faisabilité du projet, aux moyens requis pour y arriver versus les moyens disponibles, bref opposez à la pensée magique, une pensée pratique. »

En fonction du type de management appliqué dans votre structure, essayez de récupérer un peu de marge de manœuvre dans l’exécution du projet. Si votre boss attend de vous un certain résultat, vous avez peut-être un peu de liberté dans la méthode de travail à adopter pour y arriver ? Cela peut être un bon moyen de reprendre un peu la main sur le projet Attention néanmoins, si vous faites à votre sauce de pouvoir là encore justifier votre manière de faire.

Par ailleurs, si vous êtes dubitatif voire carrément en désaccord avec la consigne à appliquer, il est essentiel d’assurer vos arrières, c’est-à-dire :

  • A minima en parler à d’autres personnes de l’équipe et au mieux les associer afin de pouvoir échanger sur le projet, que des collègues puissent éventuellement vous appuyer (que ce soit pour parler au boss ou exécuter le projet).
  • Garder des traces écrites. Cela peut paraître assez procédurier mais si vous êtes dans l’obligation de réaliser une tâche qui ne vous semble pas pertinente, cela permet de vous sécuriser dans le temps de l’exécution et du bilan. Écrivez des mails à chaque étape du projet pour conserver un historique. Formalisez vos réserves, exprimez les difficultés que vous rencontrez et les solutions que vous proposez. Faites valider les étapes par un écrit (mail, chat interne…) Au moment du bilan, cela permettra d’évaluer rationnellement ce qui a fonctionné ou non et vous préservera du risque que l’on remette seulement en cause vos capacités.

Assumez vos responsabilités dans votre périmètre d’action en rappelant que vous n’êtes pas convaincus. L’avenir vous donnera peut-être raison (on vous conseille alors d’éviter les petites phrases satisfaites même si tentantes de « je vous l’avais bien dit que ça ne marcherait pas », cela ne vous mettra pas davantage en avant).

Sonder sa motivation

Les désaccords au travail sont aussi l’occasion de questionner sa motivation et la confiance que l’on a envers son.sa boss.

En général, il est très difficile de se motiver à faire quelque chose si on ne comprend pas pourquoi on le fait. Il nous arrive chaque jour de faire des choses que l’on n’aime pas faire : si on les fait, c’est parce qu’on y trouve, malgré tout, un sens. Il est donc temps de sonder sa motivation et de comprendre où la puiser en nous aidant de la définition qu’en donne Jacques Forest, Docteur en psychologie. Dans sa théorie de l’autodétermination, ce dernier distingue deux grands types de motivation :

  • La motivation autonome : autodéterminée, c’est la tâche à effectuer qui vous motive. Cela vient toucher vos valeurs, vos appétences et vous êtes en accord. Bon, pour cet article, c’est râpé.

  • La motivation contrôlée : vous trouvez un sens à cette action qui vous est propre mais qui ne relève pas de la tâche en elle-même. Il peut s’agir de la rémunération, d’un bénéfice autre (par exemple le fait d’apprendre quelque chose au travers de cette expérience, ou rendre service à un.e collègue…) « Il faut trois émotions positives pour compenser une émotion négative, explique Adrien Chignard. Quand on manque de motivation au travail, on peut appliquer le même fonctionnement et mettre en place des mesures de compensation, qui vont permettre de réduire l’espace mental qu’occupe la tâche qui nous ennuie. À vous de l’appliquer en fonction de ce qui vous fait du bien : par exemple circonscrire cette tâche à un temps précis dans la journée et s’accorder un moment agréable un peu plus tard pour compenser, créer un environnement agréable pour compenser l’exécution d’une tâche désagréable… »

  • La confiance : après tout, s’il ou elle est à ce poste c’est normalement parce qu’il.elle a davantage d’expérience et peut-être une longueur de vue que vous n’avez pas encore. Alors, pourquoi ne pas tenter le coup ? Cela demande d’avoir une grande confiance en son supérieur hiérarchique et d’accepter que l’on ne maîtrise pas tous les tenants et aboutissants du projet. C’est assez rare et peut générer de l’inconfort dans l’exécution de vos tâches (en effet, votre boss n’est pas censé être un gourou et vous pouvez l’estimer sans pour autant lui accorder une confiance aveugle). En réalité, la confiance est la conséquence d’une somme d’expériences préalables réussies, elle se construit dans le temps : « La confiance envers le manager se tisse et s’entretient au fil des expériences réussies. Expérience réussie ne veut pas dire qu’il n’y a pas de conflit : ce qui compte n’est pas d’être toujours d’accord, c’est la capacité à pouvoir résoudre les problèmes intelligemment »- Adrien Chignard

Enfin, c’est peut-être l’occasion d’interroger votre motivation plus profonde : cette baisse de motivation est-elle circonscrite à ce projet ou s’observe-t-elle plus globalement ? Si oui, il est sûrement nécessaire de questionner pourquoi vous faites ce travail chaque jour. Et ça tombe bien, Welcome to the Jungle a aussi écrit des articles sur le sujet !

Article édité par Manuel Avenel, photographie par Thomas Decamps

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