Deux frères, une oliveraie grecque : la success story de Kalios

26 juil. 2019

7min

Deux frères, une oliveraie grecque : la success story de Kalios
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

La famille de Gregory et Pierre-Julien Chantzios possède depuis 8 générations des champs d’oliviers en Grèce, à Neochori, le charmant village qui a vu grandir Maria Callas. Après plusieurs années dans la finance, les deux frères ne s’y retrouvent plus : la crise, l’obsession des bonus, l’ambiance générale… Ils souhaitent exercer un métier plus authentique et mettre en lumière leur patrimoine gastronomique. Le duo lance alors Kalios, une marque d’huiles d’olive et d’olives, en 2010. Celles-ci sont d’une telle finesse que la fratrie est rapidement remarquée par les plus grands chefs français. Cette aventure les mène même à ouvrir Yaya, un restaurant qui met à l’honneur la cuisine à la grecque, à Saint-Ouen. Leur deuxième restaurant vient d’ouvrir à Paris. Rencontre avec ces deux frères qui ont écouté leur intuition et fait marcher leur culot pour se faire connaître.

Où avez-vous grandi ?

Pierre-Julien : Notre père est grec, de Kalamata, et notre maman est française, originaire de Montauban. On a donc grandi entre Toulouse, où l’on vivait toute l’année, et la Grèce, où l’on passait tous nos étés à récolter les olives en famille. On a ensuite débarqué à Paris pour nos études, vers nos 20 ans.

Quel a été votre parcours avant de monter Kalios ?

Pierre-Julien : On se dirigeait tous les deux vers une carrière dans la finance. Personnellement, j’ai fait des études d’ingénieur et de finance.

Grégory : De mon côté, j’ai fait Dauphine et un master de finance à l’EM Lyon. On a ensuite respectivement travaillé en finance de marché et en finance corporate. À l’époque, c’était la crise et on parlait particulièrement d’argent et de bonus. Trop à notre goût ! On s’est vite rendus compte que ce n’était pas dans cet univers que l’on voulait faire notre vie.

Pierre-Julien : Après un ou deux ans d’expérience, on a décidé de faire un break pour réfléchir à ce qu’on voulait faire après. Les États-Unis nous attiraient depuis toujours donc on a loué une voiture et parcouru ensemble les USA. Philadelphie, New-York, Boston, Chicago, la Côte Ouest… C’est pendant ces longues traversées que l’on a eu le déclic et décidé de tenter une nouvelle aventure : reprendre l’oliveraie de nos grands-parents.

Grégory : En fait, on y pensait déjà depuis quelques temps, mais là on s’est dit que c’était le bon moment.

C’est pendant ces longues traversées aux États-Unis que l’on a eu le déclic et décidé de tenter une nouvelle aventure : reprendre l’oliveraie de nos grands-parents.

Qu’est-ce qui vous a motivé dans cette décision ?

Pierre-Julien : On a la chance d’avoir une belle histoire familiale et une oliveraie dans la famille depuis plusieurs générations. On baigne dans l’huile d’olive depuis tout petits, ça aide ! Mais à l’époque, notre famille était simplement propriétaire, on ne valorisait pas vraiment nos champs. Une coopérative venait régulièrement récupérer une grande partie de nos récoltes et on gardait seulement une petite quantité pour nous.

Grégory : Et puis, on aime tellement ça… Pour vous donner une idée, nos parents en consomment à eux seuls dix litres par mois ! En plus, à l’époque, mon père ramenait souvent de l’huile d’olive de notre propriété à ses amis en France. Et chaque année, c’était le même rituel : ses voisins attendaient avec impatience la nouvelle huile et commandaient en quantité pour tenir pour toute l’année qui suivait. On savait donc que l’on produisait une huile de qualité qui méritait d’être connue en France, au-delà du cercle de nos parents et leurs voisins !

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De combien de temps avez-vous eu besoin pour passer de l’idée, sur les routes des États-Unis, à l’action ?

Grégory : On est rentrés de notre voyage fin août. Mi-novembre, on atterrissait en Grèce pour démarrer les récoltes. Mi-décembre, on démarchait nos premiers clients.

Justement, comment avez-vous fait pour vendre vos premières huiles ?

Pierre-Julien : Au début, on a voulu tout tenter : les marchés, les chefs, les particuliers et les épiceries fines… Mais on s’est très vite recentrés exclusivement sur les chefs, qui étaient particulièrement enthousiasmés par ce qu’on leur faisait goûter. Et puis, la demande des restaurants nous semblait plus intéressante : il y avait une meilleure opportunité de volume, les restaurants consomment beaucoup d’huile d’olive !

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On imagine que ce n’est pas évident de s’immiscer dans le milieu de la gastronomie, comment avez-vous fait ?

Pierre-Julien : Oui, ça a été un peu complexe. On a fait toutes les rues de Paris avec notre scooter pour frapper aux portes des plus grands chefs. Il fallait d’abord passer la barrière du serveur, puis une fois en cuisine, s’adresser au chef, au bon moment. Il faut savoir que les chefs sont un peu rustres, parfois durs. Mais parce que l’on se présentait avec la casquette de producteurs, ils prenaient le temps de nous rencontrer. Ensuite, il nous suffisait d’ouvrir les pots et les bidons d’huile, et la magie opérait !

Le premier chef séduit par nos produits a été Christian Etchebest. Il a d’abord refusé de goûter notre huile d’olive parce qu’il était déjà engagé auprès d’un autre producteur, mais dès qu’on lui a tendu nos olives, il nous a recommandé à dix personnes du métier (Stéphane Jego du restaurant l’Ami Jean, Marc Mouton, du restaurant Le Troquet, le restaurant Les Fables de la Fontaine, etc.) On a été marqués par sa droiture et sa fidélité envers son producteur mais aussi touchés par sa curiosité et son intérêt à notre égard.

Il nous suffisait d’ouvrir les pots et les bidons d’huile, et la magie opérait ! Le premier chef séduit par nos produits a été Christian Etchebest.

Vous y êtes donc allés au culot et ça a payé. Mais, à votre avis, qu’est-ce que votre huile a de si particulier ?

Pierre-Julien : Je pense que c’est notre démarche qui est unique. La Grèce est un pays où l’agriculture n’est pas (encore) industrialisée. Tout est fait à la main. Et on a voulu garder cette tradition dans la récolte de l’olive. On arrive donc à faire une huile, que je trouve magnifique, identique à celle que produisait nos grands-parents. Il n’y a pas d’engrais, pas de produits chimiques… Les oliviers vivent à l’état sauvage, on ne brutalise pas la nature, on ne dénature rien. C’est très important pour nous.

Il n’y a pas d’engrais, pas de produits chimiques… Les oliviers vivent à l’état sauvage, on ne brutalise pas la nature, on ne dénature rien.

Grégory : Par ailleurs, on a choisi de ne produire que des huiles mono-variétales (faites d’une seule et même variété d’olives, ndlr.) Avec une seule variété d’olives, on est capables de faire des huiles très différentes ! Tout comme le vigneron travaille sa vigne, l’oléiculteur travaille l’olivier afin d’avoir des huiles avec des spécificités très marquées.

Et puis, on a aussi décidé de faire quatre récoltes par an pour proposer quatre huiles uniques aux chefs. Notre gamme va donc d’un goût fruité vert, qui donne des huiles particulièrement puissantes et intenses en début de saison, à un goût fruité mais plus mûr et confit en fin de saison, qui donne des huiles beaucoup plus rondes. Grâce à cette mécanique, on offre aux chefs tout un panel d’huiles d’olive avec seulement une seule variété d’olives. On était parmi les premiers à faire ça !

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Et vous ne vous êtes pas arrêtés là. Pourquoi avoir voulu aussi monter votre propre restaurant, Yaga, et comment cela s’est passé ?

Grégory : Après l’huile d’olive et les olives, on voulait transmettre la richesse de la nourriture grecque aux Français. En France, le repas grec est souvent assimilé aux kebabs ! Pourtant, quand les Français reviennent de vacances de là-bas, ils ont trois souvenirs en tête : la gentillesse des Grecs, la beauté des paysages et le goût des repas. À Paris, il n’y a finalement pas énormément de bons restaurants grecs, alors on s’est dit : continuons de promouvoir notre culture !

Pierre-Julien : On s’est associé à Juan, un chef expérimenté, qui avait déjà deux restaurants à son actif et fait ses classes auprès des plus grands. Il partage avec nous cette envie de transmettre une cuisine familiale et joviale et de revisiter les plats grecs traditionnels.

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Qui s’occupait de la récolte et de la production au début de Kalios ?

Pierre-Julien : Nous ! On était une petite équipe familiale dans le petit village de Neochori-Ithomi. Gregory, notre père, notre oncle, moi-même, et bien sûr notre grand-mère et notre tante qui nous surveillaient du coin de l’œil.

Mais en plus de la production, on a aussi choisi de s’occuper de toutes les étapes et de couper tous les intermédiaires. On gère aussi la logistique jusqu’à Paris et on va même jusqu’à livrer et faire goûter la production à nos clients. Ce circuit court a aussi des répercussions sur le prix, ce qui a plu aux chefs, qui au début étaient persuadés qu’ils ne pouvaient pas se l’offrir. On leur a prouvé le contraire.

En plus de la production, on a choisi de s’occuper de toutes les étapes. On gère la logistique jusqu’à Paris et on va même jusqu’à livrer et faire goûter la production à nos clients.

Au quotidien, c’est comment de travailler avec son frère ? Et comment vous vous répartissez les tâches ?

Grégory : Au début on a un peu tout fait à deux. Mais au fur et à mesure on a divisé les tâches. Je m’occupe de toute la partie logistique, financière et comptabilité. Pierre-Julien se concentre sur la partie production, commerciale, communication et marketing. On est très complémentaires donc c’est très agréable de bosser ensemble. On ne se marche pas dessus et on évolue dans le même sens.

Pierre-Julien : Nos expériences en finance et en école de commerce nous ont permis d’avoir des connaissances solides en matière de gestion. On nous a donné les outils pour développer une entreprise viable. Heureusement, parce qu’on a créé cette boite avec 2 000 € chacun en poche, on est partis de pas grand chose.

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Quel est, selon vous, le secret de votre réussite ?

Pierre-Julien : Le passage à l’action. Il n’y a pas d’idée miraculeuse, il faut juste une idée qui tient la route, puis tout se joue dans l’action. En fait, on a vendu la première production et ça a démarré. Ensuite, c’est le travail qui a fait la différence, je pense.

Gregory : J’ajouterais que, comme disait Pierre-Julien, on a démarré avec des petits moyens. Et ça a presque été une chance, puisque ça nous a encouragés à être peut-être plus créatifs et malins que les autres et surtout obligés à anticiper et bien réfléchir avant de prendre chacune de nos décisions… Cet état d’esprit inventif, limite “débrouille” mais rationnel, est précieux dans l’entrepreneuriat.

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Photo d’illustration by WTTJ

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