Dans l'enfer des groupes WhatsApp entre collègues

04 janv. 2024

5min

Dans l'enfer des groupes WhatsApp entre collègues
auteur.e
Manuel Avenel

Journaliste chez Welcome to the Jungle

contributeur.e

« Ding » une sonnerie vous notifie que Francis vient de vous ajouter au groupe WhatsApp « Afterwork & co ». Une aubaine ! Depuis le temps que vous rêviez d’intégrer le cercle des cool kids de votre boîte, vous avez désormais votre carte de membre. Mais pas certain que cela vous comble davantage, à en croire notre salarié vacciné contre la messagerie en raison de ses différentes expériences pro avec WhatsApp. Un récit inspiré de faits réels.

Avant tout, je tiens à dire deux choses : d’une je ne suis pas spécialement misanthrope (si l’on enlève les heures de pointe sur la ligne 13) et de deux, je n’ai rien de personnel contre mes collègues. Disons plutôt que même en famille ou entre amis, j’ai comme beaucoup d’entre nous, un mal fou à suivre le fil de toutes les discussions réparties sur plusieurs applications. Et comme tout le monde, j’essaye de faire des économies sur mon temps d’attention, limité.

Alors, quand on m’ajoute sur un énième groupe WhatsApp (à côté de « Les meilleurs témoins », « anniversaire Romane » ou encore « cours collectifs de zumba », à chacun son petit jardin secret…), je souffle naturellement du nez mais me résigne à donner une chance à cette discussion gaiement intitulée « Let’s get party ». En réalité, on serait plus proche de la fête du slip.

Nous avions créé ce groupe entre collègues et manager afin de préparer une soirée, comme son nom vous l’indique sûrement, lecteur aguerri. Entre collègues du même âge, pourquoi ne pas essayer de découvrir d’autres facettes de nos personnalités en dehors des carcans bridant du travail ? Moi aussi, je me fends donc d’un petit GIF pour signifier ma participation enthousiaste aux échanges. Jusqu’à l’approche de la soirée, RAS. Assez classiquement, les notifications affluent, entre les questions des retardataires, les désistements polis et les derniers détails « adresse », « codes du bâtiment ». Mais, une fois la fête terminée, les notifications ne cessent pas, comme j’aurais pu le penser après l’envoi des photos dossier et autres bons mots de remerciement en ultime écho de la soirée…

Débordement pro

Je suis d’abord surpris, mais aurais-je dû l’être sur un groupe composé de dizaine de collègues et de managers ? Nous recevons désormais des messages à teneur professionnelle. « Quelqu’un a remarqué le bug sur le site ? », « Pourquoi je n’arrive pas accéder aux produits en vente ? Quelqu’un pourrait s’en occuper ? » Envoyés en temps normal, ces messages n’auraient rien de trop incongru, mais cela se produit constamment hors des heures de boulot, et même le week-end. L’ironie étant que personne ne pense à changer le nom du groupe toujours sous le signe de la bamboche. Très vite pourtant, les consignes à suivre et directives chassent le ton familier : après tout, il y a nos managers et on parle taf.

Comme je travaille dans l’informatique pour un site de commerce en ligne et que le business se passe essentiellement le week-end, notre direction a besoin d’une maintenance, sans en avoir le budget. Alors la charge et les urgences à gérer me reviennent. Niveau respect équilibre vie pro / vie perso, cette entreprise se situe au rez-de-chaussée.

Double canal d’infos

« Cui-cui », j’en viens à changer ma sonnerie WhatsApp pour éviter ce réflexe de Pavlov qui me déclenche immanquablement le coup de stress des notifications qui se multiplient. Ce groupe, officieusement utilisé pour gérer les urgences, draine tellement d’informations contradictoires que cela prête à confusion. Car en l’absence de règles, chaque membre y va de son petit commentaire et renchérit lorsqu’un problème survient le week-end. Certains se permettent même des vocaux (déso, ceux-là n’ont pas votre temps.) Très difficile de trier le bon grain de l’ivraie, de remonter le fil d’une conversation, comme dans une discussion Slack par exemple pour identifier l’origine du problème. Pourtant, le boss de l’entreprise prend des décisions en se basant uniquement sur des retours de WhatsApp. Bref, une vraie cacophonie !

L’impossible mute

En plus de cette information biaisée, il y a désormais une espèce de FOMO à cause de ces fausses paniques. Il m’arrive parfois de débarquer le lundi matin au bureau et de me rendre compte que j’ai un train de retard sur les événements, car plein de choses se sont visiblement déroulées sur le groupe WhatsApp. L’ambiance de l’entreprise en vient même à se dégrader : les messes basses vont bon train, on reparle des incidents du week-end et on sent une vraie pression à écrire dans ce groupe. En tant que responsable d’une équipe, je ne me sens pas de quitter la discussion et me retrouve ainsi coincé… Alor,s je décide finalement de quitter l’entreprise. « Michel left the chat. » Efficace.

Le groupe « défouloir »

Si vous pensez que mon aversion pour l’application se base uniquement sur cette histoire, détrompez-vous… ! Après ce burn-out technologique, je commence un nouveau job, plein d’entrain. Je me lie « d’amitié » avec quelques collègues arrivés pratiquement au même moment que moi dans l’entreprise, et au bout de quelques mois, je reçois une notification : à nouveau, je suis ajouté à un groupe pour organiser des afterwork et des dej’. Rien de plus banal et pratique pour sympathiser… sauf que ce groupe est un genre de cahier de doléances intime. Un vrai déversoir à bile, de tous les sujets sur lesquels on n’ose pas échanger par Slack ou par mail, par peur paranoïaque d’être surveillé et lu. Un dark Slack uniquement dédié aux sujets trash, en somme : « J’ai encore fini avec deux heures de retard à cause de cette conne », « Envie de me barrer de cette équipe JPP… » Le pire, c’est qu’ici, personne ne répond à personne ou ne semble même écouter les complaintes et péripéties de ses collègues. Un véritable défouloir. L’équivalent d’un cri par la fenêtre.

Il ne me suffit que de trois jours pour me rendre compte que cette discussion me pompe toute mon énergie et je me décide à la passer en « mute » après avoir fait le mort. Selon moi, il y a d’autres façons de se soutenir entre collègues : en allant prendre un verre, en écoutant les problèmes des autres, en les conseillant, ou tout simplement en allant régler ses différends pros avec les personnes concernées par les critiques et non en les blâmant dans une conversation privée. C’est un peu la limite du bitchage en entreprise. Je n’ai aucune envie de me faire entraîner dans une boucle de pessimisme, à dire que tout est nul au travail et que tout le monde est bête et méchant.

Faut-il bannir WhatsApp de nos interactions professionnelles ?

Vous l’aurez compris, mon expérience m’a appris qu’utiliser WhatsApp entre collègues peut être anxiogène et pas du tout collaboratif, contrairement à des outils et un usage plus professionnels. C’est ce qui m’a le plus marqué négativement dans mon précédent job. Aujourd’hui, je fais attention à mon équilibre de vie pro/perso, et j’ai davantage de recul pour identifier les boîtes qui ne sont pas assez orientées vers les bonnes pratiques managériales.

J’étais dans ces groupes sans en avoir le choix, à cause de mon rôle, même si légalement, ils n’en avaient pas le droit. Si je n’ai rien contre la pratique, je retiens qu’il faut qu’elle soit mieux cadrée. Je n’ai aucun mal à installer Slack sur mon téléphone aujourd’hui par exemple, mais je coupe spontanément les notifications en dehors de mes heures de travail. Je maîtrise ainsi les moments où je me connecte et le temps que je veux y passer. Puis, ça reste tout de même pratique du moment qu’il s’agit d’organiser l’en-dehors du taf comme « Qui est-ce qui vient demain » ; « on mange où ? » ; « on va boire un coup après le boulot ? »

Article édité par Gabrielle Predko, photographie par Thomas Decamps

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