Affaire en Nord : La Finlande cherche 50 000 travailleurs étrangers d’ici à 2030

06 déc. 2022

6min

Affaire en Nord : La Finlande cherche 50 000 travailleurs étrangers d’ici à 2030

Face à sa crise démographique, la Finlande sort le grand jeu pour appâter les expats. Objectif : doubler le nombre de travailleurs étrangers d’ici à 2030.

« Helsinki peut faire des merveilles pour votre carrière. Mais ce qui compte par-dessus tout, c’est ce qui se passe après 17h. Vous aurez accès à la chose la plus précieuse qui soit : du temps. » À vélo, en rando ou sur un paddle, une jeune femme à l’accent hispanique vante l’équilibre de la vie version nordique. Dans cette vidéo promotionnelle diffusée cet automne sur les réseaux sociaux, la capitale finlandaise promet « des entreprises de pointe, une culture du travail collaborative, peu de temps dans les transports et des matins sans stress. »

C’est cette promesse, du moins en partie, qui a convaincu Colin Brown, sa femme et ses deux ados, à se frotter aux frimas du Grand Nord. Après une expatriation aux États-Unis et en Pologne, cet entrepreneur britannique fou d’aviron cherchait à déménager « dans un autre pays de l’Union européenne ». Avec sa famille, il entend parler de 90 Day Finn, soit 90 jours dans la peau d’un Finlandais, un programme piloté par la ville d’Helsinki. Le concept ? Pendant trois mois, une quinzaine d’entrepreneurs, cadres, chercheurs et investisseurs expérimentent la vie dans la capitale finlandaise. Au menu : réseautage intensif, suivi de projet individualisé, mais aussi récolte de baies en forêt ou découverte de la cuisine locale…

Colin et sa famille ont participé au programme d’août à octobre 2022. « Ce qui nous a attirés en Finlande, explique-t-il, c’est la possibilité de découvrir un système éducatif réputé dans le monde entier, et de découvrir la vie dans le pays le plus heureux du monde. » À la fin du séjour, les Brown sont conquis et décident de rester. Ils ne sont pas les seuls : sur les deux premières promotions de 2021 et 2022, la moitié des participants se sont installés durablement en Finlande, estime Helsinki Partners, qui chapeaute le programme. La campagne de recrutement pour l’édition 2023 devrait démarrer dans les prochaines semaines.

Crise démographique

90 Day Finn est l’une des initiatives imaginées par la Finlande pour attirer les travailleurs étrangers. Car l’horloge tourne : d’ici à 2030, le gouvernement finlandais entend attirer 50 000 personnes, en plus du flux migratoire actuel. Concrètement, il s’agit de multiplier par deux les arrivées. Et après 2030, l’objectif monte à 10 000 personnes supplémentaires par an. « Dans le même temps, on veut tripler le nombre d’étudiants internationaux, et que 75% d’entre eux restent et trouvent du travail », ajoute Petra Lehto, au service migration du Ministère de l’économie et du travail.

Une stratégie offensive, motivée par la crise démographique de ce petit pays de l’Union européenne. Avec seulement 5,5 millions d’habitants, un taux de fécondité en berne (1,4 enfant par femme soit un des taux les plus bas de l’Union et une population vieillissante, il y a urgence. « Le nombre de personnes en âge de travailler baisse, appuie Petra Lehto. Aujourd’hui, la croissance démographique est basée exclusivement sur l’immigration. On a besoin d’attirer des talents étrangers pour maintenir notre économie et conserver notre modèle social. »

Du côté des entreprises, la pénurie touche déjà la plupart des secteurs, constate la directrice de la chambre de commerce d’Helsinki, Pia Pakarinen. « Dans la région d’Helsinki, 71% des entreprises nous ont signalé un manque de main-d’œuvre et elles estiment que cela va s’aggraver (…) Elles ont des difficultés pour trouver des professionnels de tous niveaux. On a des besoins dans les secteurs de la technique, du commerce, l’administration, l’information et la technologie, les data… Et la liste n’est pas exhaustive. Dans le secteur public, le besoin de personnel dans les jardins d’enfants et d’infirmières est urgent. » L’industrie, la construction, les métiers agricoles et manuels sont aussi en demande.

Formalités accélérées et traitement VIP

Alors, le gouvernement a mis en place des procédures d’immigration accélérées : depuis juin 2022, les entrepreneurs et les personnes hautement qualifiées peuvent obtenir un permis de résidence en 14 jours chrono. Et d’ici à mars 2023, la Finlande vise un délai maximum d’un mois pour tous les candidats.

Un lieu a même été créé pour simplifier l’installation des immigrés, célibataires ou en famille : International House Helsinki. Ici, toutes les formalités sont faites au même endroit : permis de résidence, numéro d’identification personnel, couverture sociale, s’enregistrer comme demandeur d’emploi… « C’est unique d’avoir réuni autant de services sous le même toit. Je crois que cela n’a pas d’équivalent ailleurs dans le monde », s’enorgueillit Elina Nurmi, responsable immigration à la municipalité d’Helsinki.

Une ingénierie administrative souvent saluée par les nouveaux arrivants, y compris pour la création d’entreprise. « On ne vient pas ici pour la taille du marché, mais pour la qualité de vie pour soi et sa famille, l’accès à une main-d’œuvre hautement qualifiée, l’utilisation de l’anglais, l’accès au marché européen, etc, liste Colin Brown. Là où la Finlande essaie de se distinguer, c’est sur le fait de créer un traitement VIP pour les entrepreneurs. Elle rend la création d’entreprise plus facile et moins stressante. C’est aussi très simple de faire du business ici, parce que c’est un petit pays, tout le monde se connaît. »

« J’ai regagné de l’espérance de vie »

Il faut dire que la Finlande a produit son lot de licornes : Supercell et Rovio (le créateur d’Angry Birds) pour le jeu vidéo, Aiven pour la data, ou encore la plateforme de livraison Wolt. Une scène tech qui a séduit Kalvin Ou, responsable du jeu Angry Birds Friends. Cet ancien Parisien de 41 ans dirige une équipe de quarante personnes chez Rovio depuis trois ans.

Après huit ans à Barcelone, il avait envie d’une vie « plus posée », moins stressante. La culture nordique, qu’il connaissait déjà, répondait à cette quête. « Il y a une organisation très plate et peu hiérarchisée, on essaye de débattre, d’être ouvert et bienveillant. Mais surtout, ce sont des cultures qui embrassent l’équilibre entre vie personnelle et travail. Faire de l’overtime (comprendre “des heures sup’”) est plutôt mal perçu », soutient-il. Comme beaucoup de Finlandais, Kalvin travaille donc de 8h à 16h : « Cela donne plus de temps pour faire du sport, voir des amis. J’ai regagné de l’espérance de vie ici ! se réjouit-il. Après, il y a bien sûr un risque à cela : dans certains cas extrêmes, le fait de mettre l’accent sur la vie perso peut mener à une certaine apathie voire indifférence par rapport au travail… Mais c’est globalement bénéfique : on est épanoui, et même si l’on travaille moins, ça ne veut pas dire que notre cerveau est à l’arrêt hors du bureau. Quand on retourne au boulot on est plus créatif, on voit les choses d’une manière différente. »

« Je me suis habituée à cet équilibre. Avec le temps libre que j’ai pu avoir le soir, j’ai par exemple commencé à peindre et je participe à une exposition en ce moment », acquiesce Anita Kittery. Arrivée à Helsinki pour un stage de six mois à l’agence européenne des produits chimiques, cette Française de 28 ans y habite depuis quatre ans. Aujourd’hui en thèse, elle vit en colocation avec des Finlandais et raconte avoir peu souffert de la barrière de la langue : « Dans la vie de tous les jours, tout le monde parle anglais, c’est assez pratique. » Les grandes municipalités finlandaises aussi ont pris le tournant, avec des services traduits systématiquement en anglais pour être accessibles aux immigrés.

To speak or not to speak… le Finnois

Mais sur le marché du travail, l’anglais ne suffit pas toujours. Comme dans beaucoup de pays d’Europe, les besoins les plus criants concernent la santé, le social et l’éducation. Or, « la maîtrise du finnois fait partie des conditions dans le secteur public, car on est en contact avec les usagers », explique Elina Nurmi, qui travaille à la municipalité d’Helsinki. Actuellement, la ville recrute des personnes des Philippines dans le secteur médico-social, avec un parcours qui leur permet d’être opérationnelles « en huit à quatorze mois ».

Sans programme balisé, la recherche d’emploi peut être ardue. Cécile Kinnunen, une Française basée à Espoo est sophrologue. Pour l’instant, elle ne peut pas exercer son métier, même en anglais. « Il faut que je fasse valider le diplôme par un organisme et je dois pouvoir justifier d’un niveau de finnois équivalent à B1 minimum. Cela veut dire reprendre des cours, passer des tests, c’est compliqué… » Et de poursuivre : « Il y a des manques de main-d’œuvre, mais les employeurs restent obnubilés par l’idée qu’il faut parler finnois. Or, c’est une langue très difficile à apprendre, donc ça bloque quand on postule. »

Selon l’organisme de recherche indépendant E2, 39% des étrangers installés en Finlande estiment avoir fait l’objet de discrimination sur le marché du travail, en raison de la langue (65%), la nationalité (47%) et l’origine ethnique (28%). Les PME hésitent encore à employer des étrangers, reconnaît Petra Lehto, au Ministère de l’économie et du travail : « Elles nous expliquent qu’il est difficile pour elles de changer la culture d’entreprise et de se passer du finnois. » Alors pour débloquer les a priori, le gouvernement propose une subvention de 20 000 euros aux entreprises recrutant un employé étranger chargé de conquérir de nouveaux marchés. Un financement qui passera à 50 000 euros en 2023.

Tous ces efforts paient-ils ? En moyenne, « l’immigration nette est de 15 000 personnes chaque année, cite Petra Lehto. L’année dernière, elle s’est élevée à 22 000 personnes. La tendance augmente depuis trois ans. » Si le chemin est encore long, le pays peut néanmoins compter sur « une image de marque forte », assure-t-elle : « sécurité, propreté, qualité de l’éducation, équilibre de vie… »

Vouloir attirer de nouvelles personnes est une chose, « mais il ne faut pas oublier qu’on a déjà des talents internationaux qui ont parfois du mal à trouver du travail, rappelle Rolle Alho, spécialiste du marché du travail au centre de recherche E2. Il faut que les employeurs soient prêts à mieux accepter les différences ». Lorsque des familles arrivent avec un seul parent en activité, c’est une question centrale. « Pour l’autre conjoint, il est parfois difficile de trouver un emploi qui correspond à ses qualifications. » Conscientes du problème, qui concerne souvent les femmes, les villes d’Helsinki, Vantaa et Espoo ont lancé un “spouse program”. Un réseau pour aider les conjoints à reconstruire une vie sociale et professionnelle. Pour les aider, eux aussi, à trouver leur place dans leur nouveau pays d’adoption.

Article édité par Ana Castelain ; photos : Thomas Decamps pour WTTJ

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