Et si porter un short au bureau était écolo ?

27 juil. 2023

4min

Et si porter un short au bureau était écolo ?
auteur.e
Kévin Corbel

Journaliste Modern Work

contributeur.e

Pantalons obligatoires, chemises fortement recommandées : nombreuses sont les entreprises qui imposent un code vestimentaire à leurs employés, même en plein été. Avec le réchauffement climatique, ces règles internes accompagnent de plus en plus l’usage d’une climatisation intensive. Et si autoriser les shorts, crops-tops et autres tenues plus légères dans l’espace de travail pouvait permettre de réduire la consommation énergétique au bureau ?


“Osez le bermuda”, c’est le nom de la campagne de sensibilisation lancée par Kebati en Martinique en juin 2023. L’association, qui agit pour l’amélioration de la qualité environnementale des bâtiments sur l’île aux fleurs, questionne la place du bermuda sur le lieu de travail à travers un concours photo. Souvent associé aux vacances dans l’esprit des directions d’entreprises, ce vêtement est parfois considéré persona non grata dans l’open space. Pour Sarah Choukairy, chargée de mission chez Kebati, ce n’est pas qu’une question d’apparence, mais aussi d’énergie : « Les hommes restent en chemise et pantalons longs, même lorsqu’il fait chaud, alors qu’il n’y a pas forcément de relation clientèle. Malgré les hautes températures, on constate que la climatisation est réglée à un niveau bien plus bas que nécessaire. »

Du point de vue de la loi, le Code du travail dispose que « les salariés ont droit de s’habiller comme ils le souhaitent ». Toutefois, des règles internes aux entreprises, parfois même implicites, incitent à respecter des normes vestimentaires parfois strictes. En 2008, la Cour de cassation statuait que l’interdiction de certains vêtements pouvait être justifiée par une entreprise si le salarié est en contact avec des clients.

Le choc des températures

En Martinique comme en métropole, quand les températures avoisinent les 30 degrés, il est courant que les entreprises allument la climatisation pour garder les employés au frais. Mais trop de froid n’est pas forcément synonyme de confort, comme l’a expérimenté Sarah lors d’une précédente expérience professionnelle : « C’était mon premier jour, je suis arrivée en jupe et en tee-shirt et la différence de climat entre l’intérieur et l’extérieur était tel que j’ai failli m’évanouir en sortant ! », dénonce la chargée de mission. D’après l’UFC Que Choisir, il est recommandé de ne pas dépasser 7 degrés de différence avec l’extérieur lorsque la climatisation est activée, au risque d’exposer le corps humain à un choc thermique, qui peut avoir des effets néfastes sur la santé. En France, la loi interdit même d’abaisser le niveau de la climatisation en dessous du seuil de 26 degrés, sauf exceptions.

« Certains collègues ont pris l’habitude de venir au travail avec des couvertures en plein été. » - Léa, secrétaire administrative dans une école de cuisine.

Pourtant, nombreuses sont les entreprises qui ne respectent pas cette disposition, ce qui oblige les employés à s’habiller en conséquence. Léa (le nom a été modifié) travaille au sein de l’administration d’une prestigieuse école de cuisine parisienne et si, comme ses collègues, elle doit respecter un dress-code rigoureux (pas de jean, pas de chaussures ouvertes), ce sont surtout les basses températures qui la gênent le plus au quotidien : « La climatisation est réglée à 22 degrés, ce qui est très froid. Certains collègues ont même pris l’habitude de venir au travail avec des couvertures en plein été. »

Un lourd bilan énergétique

En plus de générer un inconfort pour les employés les moins chaudement habillés, l’usage excessif de la climatisation consomme énormément d’électricité. Suite à la canicule qui avait frappé la France à l’été 2003, le Sénat avait conclu dans un rapport que la hausse des températures avait entraîné « une augmentation de 5 à 10 % de la consommation d’électricité, les fortes chaleurs obligeant à “fabriquer plus de froid” ». D’après un rapport de la Commission de régulation de l’énergie, en Martinique, où les températures estivales s’étendent sur toute l’année, près de 60% de la consommation électrique des entreprises du secteur tertiaire sont dédiés en partie à l’usage de la climatisation, qui rejette de l’air chaud vers l’extérieur, ce qui crée des îlots de chaleur autour des villes.

Cette problématique interpelle Armand Blondeau, membre de Printemps écologique, qui s‘interroge sur les façons de réduire cette empreinte énergétique importante : « Le réflexe d’utiliser la climatisation pour lutter contre la chaleur est encore trop systématique, regrette le cofondateur du syndicat. Il existe des alternatives à mettre en place, comme l’adaptation, la réduction des horaires de travail en cas de fortes chaleurs et bien sûr plus de souplesse sur le code vestimentaire. Cette flexibilité doit être discutée entre les employeurs et les salariés. »

Ces conjectures rejoignent les recommandations du Sénat, qui dans son étude préconise face aux fortes chaleurs une adaptation « aussi bien des aménagements physiques ou […] la modification des comportements, des activités économiques et de l’organisation sociale des entreprises. »

Des normes vestimentaires qui tendent à s’assouplir

Avec l’augmentation des températures (le mois de juillet 2023 tend à être le plus chaud jamais enregistré) de plus en plus d’entreprises deviennent plus conciliantes sur l’usage des shorts, tee-shirts et autres vêtements légers. C’est ce qu’observe Thibault, qui travaille dans un grand groupe aéronautique en Île-de-France : « Au sein de la boîte, il y a un dress-code obligatoire : tous les vêtements “décontractés” sont interdits. Récemment, avec les fortes chaleurs, l’entreprise nous a communiqué qu’elle tolérait les shorts en dessous du genou, explique l’ingénieur. De façon générale, j’ai l’impression qu’ils acceptent davantage les tenues plus légères, surtout chez les nouveaux arrivants et les plus jeunes. »

« La climatisation est adaptée aux hommes en costard/cravate, pas forcément aux femmes qui ont tendance à s’habiller en fonction des températures extérieures. » - Armand Blondeau, cofondateur du syndicat Printemps écologique.

Cet assouplissement des règles intervient dans un environnement où le contact client reste réduit. Cette tolérance de la part de l’employeur permet également à Thibault et ses collègues de ne pas souffrir du froid en plein été dans l’open-space : « La climatisation est gérée directement par les employés donc lorsqu’elle est trop forte, il nous suffit juste de l’arrêter, ce n’est pas un problème. » En revanche, pour Léa, qui côtoie toute la journée des élèves de l’école de haute gastronomie dans laquelle elle travaille, la fin du dress-code n’est pas pour tout de suite : « Je trouve que mes collègues tombent souvent malades. Avec les changements de température, c’est assez régulier que les gens s’enrhument », s’inquiète-t-elle.

A l’image de la prise de conscience écologique globale, changer les mentalités est un travail de longue haleine, surtout en entreprise. Pour Armand Blondeau, il s’agit également d’une question d’égalité hommes/femmes : « La climatisation est adaptée aux hommes en costard/cravate, pas forcément aux femmes qui ont tendance à s’habiller en fonction des températures extérieures. Ces dernières grelottent dans des bureaux où seuls les hommes sont habillés en conséquence. Ce sont des absurdités sur lesquelles il faut lutter, l’employeur doit prendre les devants. » En France, la révolution du bermuda pourrait bien venir d’Outre-mer avant de s’exporter en métropole. Sarah Choukairy se félicite déjà des changements qui transforment le monde du travail en Martinique : « Suite à notre concours photo, le Syndicat Mixte d’Electricité de la Martinique (SMEM) a accepté que la tenue vestimentaire soit libre une fois par semaine ». Un premier pas.

Article édité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ

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