« Cette cooptation a engendré la rupture amicale la plus étrange que j’ai connue »
15 juin 2023
7min
Rédactrice & Copywriter B2B
Pouvoir travailler avec ses meilleurs potes, ou encore aider son petit-cousin Bobby à trouver son premier job : c’est l’une des promesses de la cooptation, ou recrutement par parrainage. À l’heure où "l’employee advocacy" est sur toutes les bouches, le recrutement par cooptation semble être la voie royale pour former une équipe soudée. Sauf que tout n’est pas si rose. Incompétents, ingérables, pas fiables ou même véritables tyrans, ces cooptés se sont révélés être un enfer pour leurs collègues.
« Il était complètement stone au bureau », Salomé (1), 28 ans, Responsable Marketing
C’était il y a quelques années. Mon entreprise avait de nombreux postes ouverts et du mal à recruter. Alors, la direction a décidé de mettre en place une stratégie de cooptation, en nous proposant d’activer notre réseau pour pourvoir les postes.
Ni une, nid deux, on s’est tous mis à jouer les chasseurs de têtes et à chercher la pépite parmi nos connaissances respectives. De mon côté les résultats étaient assez décevants. Mais un de mes collègues, récemment arrivé, a finalement réussi à faire entrer un de ses anciens collaborateurs, et a priori ami, sur un poste commercial.
Le recrutement est allé très vite. Comme il s’agissait d’une recommandation, la confiance régnait, et mes managers ont décidé de zapper certaines étapes habituelles, comme l’entretien de fit culturel avec l’équipe, que l’on organise d’habitude autour d’un verre. On rencontre donc Jules (1) lors de son premier jour dans l’équipe. Il est très discret, presque invisible. Je suis aussi assez étonnée de ne pas le voir discuter avec le collègue qui l’avait pourtant recommandé.
Pendant sa première semaine dans les locaux, Jules ne déjeune pas avec nous. On le voit réapparaître à 14h, un doggy bag sous le bras, sans un mot. Il reste ensuite enfermé dans une salle avec son manager pour se former sur le poste. On n’échange donc pas réellement avec lui jusqu’à un afterwork en fin de semaine.
Après quelques bières, Jules se détend - peut-être même un peu trop. Rapidement il se met à parler beaucoup, et très fort. Sa personnalité réservée se transforme en une logorrhée très gênante. Il finit par prendre notre big boss par les épaules en lui donnant des petits surnoms, comme s’ils avaient élevé les cochons ensemble. On est tous extrêmement mal à l’aise. Pendant cette soirée, on apprend que le midi, quand il ne déjeune pas avec nous, il part en fait fumer des joints. Il était donc complètement stone au bureau. Plus tard dans la soirée, il atteint le point de non-retour en prononçant des propos racistes à l’encontre de l’une de mes collègues. Après ça, chacun décide de battre en retraite et de rentrer chez soi, en évitant à tout prix de se retrouver dans le métro avec Jules qui était vraiment ivre.
Le lendemain, on s’écrit tous, encore un peu choqués du personnage que l’on a découvert la veille. Le collègue qui avait recommandé Jules nous avoue ne pas le connaître réellement. Nous décidons de contacter notre boss à tour de rôle pour expliquer nos versions. Jules lui, revient au bureau le lendemain, avec 2h de retard, comme si de rien n’était. Il est convoqué, et sa période d’essai est suspendue sur-le-champ. Il sera resté quatre jours dans l’entreprise.
« J’ai réalisé que ce n’était pas vraiment une amie, et qu’elle ne me respectait du tout dans le contexte professionnel », Lou (1), 27 ans, journaliste Web
On est début septembre, je suis avec Judith (1), une amie avec qui j’ai passé beaucoup de temps cet été-là. Elle est en pleine reconversion et va bientôt faire sa rentrée dans une école de Journalisme (le boulot de ses rêves) en alternance. Paniquée, elle m’explique que tous ses processus de recrutement ont échoué jusqu’à présent, et que si elle ne trouve pas d’alternance d’ici une semaine, l’école ne pourra plus l’accepter.
Je travaille moi-même dans un magazine, et il se trouve qu’on a un poste à pourvoir en alternance. Je sais d’ores et déjà que le travail que je vais lui proposer ne lui plaira pas à 100% et que les sujets qu’on traite sont loin de ses domaines de prédilection, mais si cela peut lui permettre de ne pas renoncer à son rêve, je suis prête à la dépanner - et contente d’avoir l’occasion de travailler avec elle. Je lui propose de la coopter pour le poste, elle accepte directement, et on signe un contrat d’alternance de deux ans les jours suivants.
À l’origine, Judith est est une copine de soirée avec laquelle je vais seulement boire des verres, parler des garçons, faire des concerts… Mais on s’est découvertes d’une toute nouvelle manière en travaillant ensemble dans le même open space.
Très rapidement je remarque un décalage entre la personne que je connais et la personne qu’elle est dans le milieu professionnel. Elle ne s’intègre pas du tout à l’équipe, elle est toujours un peu en décalage. J’essaie vraiment de lui permettre de s’intégrer, en organisant des moments tous ensemble avec l’équipe, mais ça ne passe pas. Judith ne respecte aucune barrière professionnelle, coupe la parole, prend les gens de haut et ne parle que d’elle. Je m’en veux de l’avoir cooptée car je sens que mes collègues sont tendus et mal à l’aise en sa présence.
Ma façon d’agir avec elle au travail est différente des moments où on allait boire des gin to’ ensemble - c’est normal, mais je crois qu’elle ne le comprend pas. Avec moi, elle est très envahissante, s’immisce dans toutes mes conversations et regarde tout le temps mon écran, ce qui me met très mal à l’aise. Je réalise que ce n’est peut-être pas vraiment une amie, et qu’elle ne me respecte pas du tout dans le contexte professionnel. Elle contredit constamment tout ce que je dis, et va jusqu’à s’approprier mes interviews dans mon dos.
Je découvre aussi des facettes de sa personnalité que je ne soupçonnais pas. Elle se révèle être très soupe au lait, très susceptible, dès que quelque chose ne lui convient pas. Moralement, pour moi c’est très compliqué. Les semaines où Judith est à l’école sont de véritables bouffées d’air frais, et quand elle revient, j’ai l’impression de devoir marcher sur des œufs constamment de peur de la vexer.
Un jour, une amie du travail me questionne : « Je ne comprends pas, comment ça se fait que vous soyez amies ? » Ça me fait comme un électrochoc, je me dis que je fais peut-être trop d’efforts en vain, et je commence à réfléchir à ce qui nous lie vraiment, avec Judith. À partir de là notre relation décline complètement, je lui confie de moins en moins de choses, et je ne la vois plus vraiment en dehors du travail. De son côté, plus le temps passe et moins elle a de respect pour moi.
Je finis par recevoir un message de Judith qui me demande si l’on peut parler. Elle m’annonce qu’elle pense partir, et mettre fin à son alternance après quelques mois seulement. Je l’encourage à suivre son chemin, je m’apprête moi-même à quitter l’entreprise et je la vois mal rester seule avec une équipe qui la déteste. Une semaine plus tard, elle m’écrit pour me dire qu’elle a trouvé une nouvelle alternance.
Les semaines suivantes sont assez chaotiques. Je vois sur le compte Twitter de Judith qu’elle dit que « ses collègues sont toutes des connards », je préfère fuir pendant les vacances d’été. À mon retour, elle n’est plus là, on ne s’est jamais dit au revoir.
Je n’ai plus eu aucune nouvelle d’elle après ça, et on ne se suit plus sur les réseaux. Ça a été la rupture amicale la plus étrange que j’ai connue. Ça m’a appris qu’on peut très bien s’entendre avec des gens autour d’un verre mais que ça ne veut pas forcément dire que ça peut bien se passer dans le milieu pro. Heureusement je n’ai subi aucune critique ou retombée négative de la part de ma hiérarchie. Je n’arrêterai pas de coopter des ami·es pour autant, mais la prochaine fois, je ferai attention à ce que ce soit quelqu’un qui me respecte réellement, qui est bienveillant, à l’écoute et qui arrive à communiquer - car je pense que tout aurait pu être différent si on avait réussi à communiquer.
« Quand elle ne voulait pas gérer une de ses missions, elle disait clairement “ça me fait chier” », Mélissa (1), 26 ans, Social Media Manager
L’année dernière j’ai été engagée dans une petite entreprise familiale, gérée par un couple et l’un de leurs amis de longue date. Peu de temps après, l’un des fondateurs a décidé de recruter sa propre sœur, Solène*.
Elle arrive dans l’entreprise au même niveau hiérarchique que moi, mais dès les premiers instants, je comprends qu’elle va bénéficier d’un traitement de faveur.
Solène se permet très vite d’adopter une attitude qu’elle n’aurait jamais eue dans une entreprise classique, où elle n’aurait pas été recrutée par sa propre famille. Elle ne met aucune barrière à ses émotions, elle est toujours extrêmement désagréable au quotidien et ne fait aucun effort pour être sympathique ou masquer un minimum ses sentiments négatifs. Quand elle est de mauvaise humeur, et qu’elle ne veut pas gérer une de ses missions, elle dit clairement, et devant tout le monde, « ça me fait chier ». Ça crée une ambiance terrible au travail, un climat où tout le monde est extrêmement tendu.
Au départ, je pense pouvoir lui faire confiance, mais je m’aperçois en fait qu’elle répète tout ce que je dis au patron (son frère), et qu’elle s’arrange un peu avec la vérité. Par exemple, un soir, alors qu’elle souhaite partir plus tôt en congés, je lui propose de l’aider sur ses missions car j’ai du temps libre. Quelques jours plus tard, je suis convoquée par ma manager (la cofondatrice et belle-sœur de Solène, donc) pour me réprimander sur ce fameux « temps libre » que j’ai vraisemblablement mal occupé.
La goutte de trop pour moi, c’est lorsque l’on a organisé un Escape Game pour (justement) renforcer la cohésion d’équipe. Solène désapprouve totalement cette activité, qu’elle déteste, alors elle décide de se mettre dans un coin, et de bouder. J’hallucine, et je me dis qu’elle n’aurait jamais osé faire ça, devant son propre patron, si elle travaillait ailleurs.
L’entreprise a complètement sombré sur les derniers mois, et ses dirigeants ont fini par être incapables de payer nos salaires, à tel point que nous avons dû contacter l’inspection du travail, qui est intervenue. Solène m’en a voulu d’avoir réclamé mon dû à son frère, alors une fois l’entreprise liquidée, elle m’a bloquée sur les réseaux sociaux et on ne s’est plus jamais adressé la parole. Je sais qu’à l’avenir j’éviterai de rejoindre de jeunes entreprises 100% familiales où les cooptations sont tout sauf encadrées et où l’on finit par se sentir de trop.
Le mot de l’experte :
Doit-on arrêter de coopter pour limiter les drames ? Pas du tout selon Vera Vilaça, Directrice Management des Talents chez mc2i, dont 40% des effectifs sont issus de la cooptation :
« Le droit à l’erreur existe. Il ne faut jamais hésiter à envoyer un CV, même si on a des doutes. La cooptation n’est pas une décision d’embauche, elle ne se substitue pas à un processus de recrutement. S’il y a erreur de casting, ce n’est en aucun cas de la faute du coopteur, mais du décideur qui a choisi de recruter la mauvaise personne. »
À tous les futurs coopteurs, gardez en tête qu’il ne suffit pas de se fier aux liens personnels pour faire une bonne recommandation. On a tous besoin de travailler avec des talents qui nous rendent meilleurs, pas seulement avec des potes qui nous font marrer. Pour votre prochaine recommandation, pensez à définir des critères clairs et objectifs, en valorisant les compétences et le bon feeling avec la culture de votre entreprise, et tout ira bien !
*Les prénoms ont été modifiés
Article édité par Manuel Avenel, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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