« Au travail, chacun est responsable de soi, comme sur un ring »

09. 1. 2023

4 min.

« Au travail, chacun est responsable de soi, comme sur un ring »
autor
Sophie Dussaussois

Journaliste, éditrice et auteure de documentaires pour la jeunesse

Challenge, stratégie, compétition, détermination... Si les parallèles entre sport et business sont nombreux, Thomas Cazeneuve incarne les deux univers à lui tout seul. À 29 ans, ce recruteur est aussi champion du monde de chessboxing. Rencontre.

On l’imagine avec le QI d’Einstein et les muscles de Stallone. Thomas Cazeneuve balaie l’étiquette d’un rire franc et d’un revers rapide : le sportif recruteur mise avant tout sur la volonté et le travail dans tous les domaines. Ses deux titres de champion du monde de chessboxing – discipline étonnante qui alterne les parties d’échecs et les combats de boxe sur un ring –, il est allé les chercher à force d’entraînement. Thomas Cazeneuve a appris. Joueur d’échecs à haut niveau dans son enfance, il devient boxeur à 15 ans, puis se glisse naturellement dans cette nouvelle discipline imaginée par l’auteur de bande dessinée Enki Bilal dans Froid Equateur, et reprise sur le terrain par Iepe Rubingh, qui a fondé la fédération internationale. À tout juste 29 ans, Thomas Cazeneuve est aussi à la tête de Focus recrutement, un cabinet fondé avec son associée Mélanie Ballaire et spécialisé autour de la paye, de la comptabilité et du juridique. Qu’il soit sur le ring, derrière un échiquier ou en réunion avec ses collaborateurs, Thomas Cazeneuve va vite, croit au destin et à la force de la détermination. Et n’a de cesse de bousculer les idées reçues et les codes hiérarchiques.

Vous enchaînez les coups de maître sur l’échiquier, les coups de poing sur le ring et vous avez créé une société qui emploie 22 collaborateurs avant vos 30 ans. Quelle est la recette du succès ?

Côté sport, c’est l’entraînement encore et toujours. Tout s’apprend et cette règle vaut aussi pour le business. Les échecs et la boxe peuvent sembler loin l’un de l’autre, mais ce n’est pas le cas. D’ailleurs, l’ancien champion du monde Garry Kasparov avait coutume de dire qu’« il n’y a pas de sport plus violent que les échecs ». Ces deux pratiques véhiculent des valeurs de respect et nécessitent de la discipline et de la stratégie. Ce sont des combats de volonté. Quand j’ai commencé le chessboxing, tout le monde m’a pris pour un fou. Personne n’y croyait. Mais ce sport réunissait mes deux passions, alors j’ai foncé. Cette expérience a été fondatrice : elle m’a appris qu’il faut croire en soi, ne rien lâcher. Le travail paie toujours et c’est ce que je transmets à mes collaborateurs.

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Malgré un marché hyper concurrentiel, vous n’avez pas hésité à créer votre cabinet de recrutement. Est-ce lié à cette détermination qui vous porte aussi dans le combat sportif ?

Sans doute. Je voulais voler de mes propres ailes et créer une entreprise basée sur la confiance, qui corresponde à mes valeurs. Focus Recrutement vise le modèle d’une entreprise libérée, sans outil de contrôle sur les collaborateurs. Nous travaillons sur un pied d’égalité, sans horaires de travail et avec des jours de repos illimités. Du moment que le chiffre d’affaires du trimestre est atteint, chacun est libre de mener son travail comme il l’entend. Chacun est responsable de soi. Comme sur un ring, en quelque sorte, car là, même si on a un staff autour, on est seul. Au-delà de la responsabilité personnelle et de la détermination, la pratique du chessboxing m’accompagne à chaque instant dans ma vie professionnelle.

« Être ancré dans le sport me donne du courage. Mais la création de cette entreprise aussi. »

De quelle façon ?

Pour tirer son épingle du jeu dans un secteur concurrentiel, il faut sans cesse montrer de quoi on est capable. Les clients, les candidats, nous allons les chercher et je forme mes collaborateurs en ce sens. Certains d’entre eux n’ont pas le bac. Peu m’importe ! Le sport apprend aussi à savoir se fier à son feeling et je trouve qu’en France, les recruteurs sont trop attachés au diplôme. Par ailleurs, le chessboxing m’apporte une grosse capacité de concentration. Dans ce sport, le plus difficile est la transition entre l’échiquier et le ring. Parfois, on a mal, on saigne, mais il faut rester focus, lucide, et ne pas se laisser dominer par les émotions. C’est pareil dans la vie professionnelle. On a besoin d’audace et de rigueur pour jongler entre la prospection, la chasse des bons profils, l’intégration, le management, la formation… Être ancré dans le sport me donne du courage. Mais la création de cette entreprise aussi. Mes deux vies se nourrissent l’une de l’autre, elles sont indissociables.

Challenge, stratégie, recherche d’une reconnaissance, compétition… Les points communs entre le sport et le monde de l’entreprise sont nombreux. Qu’en pensez-vous ?

Oui, et dans tous les cas, on vise la performance. Dans le sport, on veut gagner et dans le business, sans tomber dans la rentabilité à tout crin, il faut générer du chiffre. Mais que l’on soit employeur ou collaborateur, il faut aussi prendre plaisir et trouver du sens dans ce qu’on fait. Le sport m’a appris à ne pas avoir de complexe d’ego. Cette façon d’être s’applique parfaitement à l’entreprise. Ainsi, « Focus Recrutement » est amené à se développer, mais dans la mesure du raisonnable, car je ne veux pas perdre l’ADN qui nous rassemble. Je crois qu’on est d’autant plus performant quand on sait conserver ce supplément d’âme.

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Les échecs et la boxe permettent-il d’acquérir les softs kills tant recherchées par les recruteurs ?

Absolument. Aux échecs, j’ai perdu des milliers de parties, et il faut savoir abandonner, car c’est une marque de respect pour l’adversaire. Le jeu m’a appris l’humilité. Dans le travail, cela se traduit par une écoute très fine des avis de mes collaborateurs. Avec mon associée, on sait reconnaître l’intelligence des autres, on communique à fond, on prend les décisions rapidement, on s’adapte et on avance ensemble. La boxe, de son côté, symbolise l’art du combat, mais sur le ring, la pression est forte, les coups s’enchaînent, on cherche toujours à se dépasser. Dans le business aussi, on prend des coups ! On perd des contrats, on essuie des refus bancaires, ça arrive et j’ai appris à relativiser et à me relever. Je dirais que le chessboxing est une école de l’adaptation permanente, tout peut basculer d’un instant à l’autre et dans le business, cette agilité est essentielle… Surtout en cette période d’innovation, d’incertitude et d’instabilité. Il faut toujours avoir un temps d’avance sur ses concurrents, comme sur ses adversaires sportifs. Mais en tant que boxeur, j’ai appris une chose fondamentale : personne n’est jamais invaincu. On peut arracher de gros contrats à des cabinets plus anciens et plus importants que nous ! Rien ni personne n’est imprenable.

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Article édité par Ariane Picoche, photos : © Thomas Cazeneuve