PARLEZ-MOI DE VOUS #2 – Les candidats sont-ils devenus des divas ?

19 avr. 2023

5min

PARLEZ-MOI DE VOUS #2 – Les candidats sont-ils devenus des divas ?
auteur.e
Bénédicte Tilloy

DRH, ex-DG de SNCF Transilien, conférencière, professeure à Science-Po, autrice, cofondatrice de 10h32

À quoi ressemble la vie d’une équipe RH dans une startup à succès ? « Parlez-moi de vous », le 1er feuilleton Welcome to the Jungle, dissèque le quotidien de Léa, Rana et Alex, entre amitié et crise d’ego. Une satire tendre de Bénédicte Tilloy. Dans ce 2e épisode, le trio se voit réuni pour la première fois, afin d’épauler Eddy dans sa recherche de nouveaux développeurs aux prétentions… originales !


Avant de commencer votre lecture, n’hésitez pas à vous (re)plonger dans l’épisode 1 de Parlez-moi de vous : Bienvenue en hypercroissancie.


Rana, on l’entend le plus souvent avant de la voir. La stagiaire de Léa a les décibels faciles et ce matin, elle parle à Eddy comme s’il était à des kilomètres. Et tout le monde en profite. Debout devant la machine à café, elle tourne sa cuillère dans un thé bien noir en calant avec lui les détails de la journée : le recrutement d’une dizaine de développeurs en vue du lancement aux US. Mais le CTO n’est pas dans son assiette. Le piratage de la soirée de levée n’est pas encore élucidé. Appelés à la rescousse dès le lendemain de l’incident, des experts en sécurité informatique campent toujours chez Hey You. Ils ont eu beau remuer ciel et terre, aucun indice sérieux n’a encore permis de remonter la piste du hacker. Eddy n’a pas envie d’en parler ce matin à Rana qui le bombarde pourtant de questions. Et son « Mais le timing craint tellement…, ça va finir par se savoir… », en rajoute inutilement.
Pour couronner le tout, Léa est retenue dans le bureau du boss, et Boris n’a pas l’air de vouloir la lâcher. Eddy va devoir démarrer la séance en duo avec la jeune stagiaire. Déjà qu’il n’est pas un grand bavard, mais faire équipe avec elle s’annonce sportif. Rana a beaucoup d’énergie, la canaliser relève quasiment d’une discipline olympique.

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C’est depuis la grande salle de réunion du YesLab que l’équipe RH de Hey You va faire défiler les candidats. La journée promet d’être dense. Un entretien individuel de 30 minutes pour faire connaissance et poser des questions. Et en fin de journée, l’exposé auprès de tous d’un cas pratique à faire chez soi… Rana lance son premier « Parlez-moi de vous, Karim », au moment où Léa les rejoint, manifestement énervée. Elle est flanquée d’un type bizarre. Alex est le premier salarié de la boîte : homme à tout faire à ses débuts, il est désormais conseiller spécial auprès de Boris. Il connaît Hey You comme sa poche, depuis les débuts difficiles jusqu’aux succès motivants. Il parle avec tout le monde et laisse traîner ses oreilles pour murmurer à celles de Boris, qui aime bien savoir ce qui se passe maintenant qu’il manque de temps à consacrer à ses équipes. Sur le sujet du recrutement aussi, Boris a mandaté son émissaire et Léa n’a pas eu son mot à dire… Alex intègre donc la team RH pour s’assurer que les nouveaux venus seront bien compatibles avec la culture de la boîte.

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Mais revenons à Karim : « Partout où je vais, le succès me suit… ». Au championnat de France de la prétention, le premier candidat part en pole position. Manifestement pas dérangé par les gloussements de Rana qui vient de lâcher un « lol », il poursuit : « Je suis clairement un asset pour une startup ». Il est suivi par un Benjamin à casquette et à lunettes qui dit chercher son « Why » et avoir le sentiment de pouvoir enfin le trouver chez Hey You. Puis, c’est Oscar, potentiel « chief obvious officer » qui enchaîne les platitudes sur l’art de vivre et de bien le faire. La présence du rooftop l’enthousiasme, il demande s’il pourra y travailler, coder dans un transat lui semble motivant. Ajoutons qu’Oscar a oublié de masquer son arrière-plan sur Zoom, si bien que l’on peut apercevoir les oreillers et la couette derrière lui. Il est au lit. Cohérent. Jehanne, elle, rêvait déjà de Hey you avant de naître, tandis qu’il faut faire répéter Claire à chaque fois : elle parle si bas qu’on se demande si on lui fait peur. Le bal des candidats se poursuit. Léa a repris la main. À chacun, elle répète la même formule désormais bien rodée : « Parlez-moi de vous, dites-moi ce qui vous tient à cœur, comment vous projetez-vous dans l’avenir, partagez nous votre plus belle histoire, votre échec le plus retentissant, ce que vous avez aimé, amélioré, appris dans votre dernier job et ce que vous attendez de celui-ci… ».

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La guerre des talents faisant rage, les meilleurs – ou ceux qui le prétendent – ne sont pas avares d’extravagances. Une prime de bienvenue, pourquoi pas ; des vacances illimitées, finalement c’est un peu devenu la norme dans la tech ; habiter Tel Aviv et travailler à Paris ou à New York, why not ; et les chiens ? Une Hélène en couple avec un doberman attachant, demande si elle peut venir avec lui au bureau. Et de suggérer qu’on organise le concours du chien du mois. Elle l’assure, son Bruce l’a gagné quand elle bossait encore dans son incubateur à San Francisco. Anne-Cécile, qui code en Python, a poussé la logique jusqu’à apprivoiser un magnifique spécimen de l’espèce et propose d’en faire la mascotte de l’équipe tech de Hey You, ce qui au passage ne semble pas tenter Eddy. Il est aussi question de bicyclettes de fonction ; ce ne sont plus les grosses cylindrées qui attirent les beaux profils, mais les vélos cargos et les montures en titane. Justin, qui est père de famille, assure devoir faire tous les matins les conduites à l’école, il sera donc en retard aux « daily meetings », sauf s’il peut les suivre depuis son téléphone pendant qu’il pédale avec son chargement de gosses. S’agissant du logement, les candidats poussent aussi leur avantage. Après tout, si Hey You veut des gens motivés, pourquoi ne pas leur proposer le gîte et même le couvert, c’est en tous cas le raisonnement d’une grande bringue qui se voit déjà installée aux frais des princes dans un coliving de Brooklyn. Elle a l’adresse, elle peut la donner.

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Même si elle finit par en avoir l’habitude, Léa se demande encore si elle recrute des footballeurs, des rock stars ou des développeurs. Seul Eddy ne commente pas. Peu importent les caprices, si ces virtuoses parviennent à traduire l’intention d’un designer en lignes de code lisibles et faciles à maintenir. Sans oublier l’intérêt qu’ils sont à même de porter à l’utilisateur. Le reste, c’est le marché du travail. Après tout, le rapport de force s’est inversé, ces gosses ont bien raison d’en profiter, et autant se battre pour attraper les perles rares avant que les concurrents ne se les arrachent à leur tour. Alex n’est pas d’accord. L’audition de ces divas sans filtre l’a beaucoup énervé : « Eddy, ces gamins sont insupportables, je n’en vois pas un seul qui puisse faire l’affaire ». Et de leur servir à tous une tirade sur la valeur travail. La collaboration est mal emmanchée.

Vient alors l’exposé du cas pratique devant les candidats réunis. Léa leur a demandé d’allumer leur caméra pour observer leurs réactions. Et c’est devant un drôle de trombinoscope qu’Eddy présente l’énoncé en anglais. C’était le moins qu’il puisse faire ! « There’s nothing like practice to get into the job! In principle, you are all comfortable with Python… » Le CTO tient son assemblée en haleine et Léa en profite pour entraîner Rana vers la machine à café. À la question « C’est qui ce mec que nous a collé Boris ? », elle répond du mieux qu’elle peut pour justifier la présence d’Alex. Mais ses explications de bonne élève sont vaines, Rana comprend bien que l’arrivée de ce dernier dans l’équipe n’est une bonne nouvelle pour personne, à commencer par sa cheffe.

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La séance touche à sa fin. Après avoir répondu « non » à une dernière question – « Peut-on postuler à deux et travailler chacun à mi-temps ? » –, Eddy et Léa, tout sourire, expliquent la suite des festivités. Les meilleures réponses aux cas pratiques donneront à leurs auteurs le droit de venir rencontrer le CTO et l’équipe RH sur site, puis de recevoir une offre définitive. Ils espèrent les accueillir bientôt comme futurs collègues. La journée touche à sa fin, enfin… pas tout à fait. Juste avant qu’il ne puisse cliquer sur la croix qui met fin au Zoom, Eddy lit avec horreur le message qui s’affiche à l’écran et que tous les candidats peuvent donc voir simultanément :

NE VENEZ PAS TRAVAILLER DANS CETTE BOÎTE TOXIQUE !

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Article édité par Ariane Picoche et Mélissa Darré, photos : Thomas Decamps pour WTTJ