L’utilité sera-t-il le nouveau salaire ?

26 juil. 2019

5min

L’utilité sera-t-il le nouveau salaire ?
auteur.e
Solenne Faure

Rédactrice

Switch collective, vous connaissez ? Partant d’un postulat fort - 91% des salariés français sont désengagés dans leur job - Béatrice et Clara ont créé un programme pour apprendre à switcher dans sa vie professionnelle. L’occasion pour nous de revenir sur les notions de sens et d’utilité au travail, avec Béatrice Moulin, co-fondatrice de Switch collective.

WTTJ : La quête de sens, c’est un sujet aujourd’hui ?

B.M. : Oh que oui ! « Le manque de sens » est à chaque fois le motif qui pousse les gens à se poser des questions sur leur travail, sur ce qu’ils veulent, ce qui les fait vibrer.

Il y a un sentiment partagé de manquer d’impact, d’avoir l’impression de stagner et de ne plus rien apprendre.

Mais le sens au travail, ça veut dire quoi ?

Un travail n’a pas de sens en soi. Contrairement à ce qu’on peut croire, il n’est pas lié au travail qu’on fait en tant que tel. Mais plutôt à l’histoire qu’on s’en raconte. C’est la perception qu’on en a qui construit le sens. Elle dépend de sa propre trajectoire personnelle et des justifications qu’on se donne à soi-même.

Il est donc essentiel pour trouver du sens dans son travail de comprendre qui on est, ce qu’on a envie de faire. Et aussi de définir ce qu’est le succès, la réussite pour soi.

Un travail n’a pas de sens en soi. Contrairement à ce qu’on peut croire, il n’est pas lié au travail qu’on fait en tant que tel. Mais plutôt à l’histoire qu’on s’en raconte.

Et chercher du sens et de l’utilité, c’est un travail de chaque instant ?

Soyons clair : il n’y a pas de job parfait, dans lequel je m’épanouirai toute ma vie. Il y a un job qui me correspond à un instant T. 50% des jobs d’aujourd’hui n’existeront d’ailleurs plus dans 10 ans.

La vie professionnelle ressemblera de plus en plus à une suite de cycles. Aujourd’hui je fais ça parce que ça me correspond à un moment donné. Mais, il est essentiel de se dire que je vais pouvoir bouger. Et à chaque fois que je vais avoir le sentiment d’atteindre mon palier, avoir le réflexe de relancer ma phase d’interrogation et d’introspection pour planter les graines du prochain cycle. Ça évite d’attendre trop longtemps et de mal vivre cette phase d’interrogation.

Pensez-vous que c’est une question de génération ?

Contrairement à ce qu’on a pu beaucoup lire sur la génération Y, je ne pense pas que ce soit une problématique générationnelle. C’est surtout une question d’époque en fait, quelque chose qui transcende les générations. A 40 ans, à 20 ans ou au moment de prendre sa retraite… Tout le monde semble concerné !

Pour moi, c’est le momentum d’une époque.

Pendant des années, c’est une question qu’on ne s’est pas posée. Quand je parle de mon activité à mon père, aujourd’hui, lui même se pose ces questions. Alors qu’avant, jamais il n’aurait eu idée de s’interroger là-dessus.

C’est surtout une question d’époque en fait, quelque chose qui transcende les générations.

Et c’est un sujet assumé ou qui reste encore tabou ?

À l’origine du projet, nous sommes deux, avec des parcours différents. Mais quand nous nous sommes rencontrées, ça a été un vrai soulagement de voir que nous étions dans la même situation vis-à-vis de notre vie professionnelle ! Car à l’époque c’était plutôt un tabou. Nous l’assumions mais autour de nous, on pensait souvent qu’on était deux nanas qui nous posions beaucoup trop de questions, comme des éternelles insatisfaites. Ça a été un vrai soulagement de pouvoir partager ça.

Aujourd’hui, je pense que les choses ont pas mal évolué. Il est plus facile et presque commun d’interroger son utilité. Et on voit d’ailleurs une émulation collective autour de cette réflexion. Pouvoir partager sa situation, ses doutes, ses points de blocage et chercher la réponse auprès d’un point de vue extérieur.

Mais d’ailleurs, la quête de sens, ça s’apprend ?

Il faut bien regarder les choses en face. Au cours de nos études, on nous a appris à raisonner en termes d’opportunités ; on est câblé pour chercher des offres d’emploi, mettre à jour son profil LinkedIn, activer son réseau… mais questionner le sens, chercher à créer un projet qui est en phase avec qui on est, c’est quelque chose qu’on ne nous apprend pas.

Chez Switch, on est convaincu qu’il n’y a pas une méthode ni même un gourou qui te permettrait de questionner ta vie professionnelle. L’objectif est de faire découvrir différentes approches, nourries par des contenus pluridisciplinaires, pour que chacun puisse aller piocher ce dont il a besoin et l’appliquer par la suite, de façon autonome.

Et puis après, il faut passer à l’action, tout simplement ! C’est le principe des petits pas. Ne pas chercher tout de suite des grandes choses, mais apprendre à voir autrement. À procéder par étape par exemple.

L’objectif est de faire découvrir différentes approches, nourries par des contenus pluridisciplinaires, pour que chacun puisse aller piocher ce dont il a besoin et l’appliquer par la suite, de façon autonome.

Pensez-vous que le sens de la mission pourrait être un message fort pour les marques employeurs ?

Absolument ! Même si le sens et l’utilité ne se décrètent pas. Mais à partir du moment où un employeur est capable de bien définir la mission qu’il se donne ; cela me semble être un levier intéressant pour recruter et fidéliser. Ce qui implique de bien connaître son combat. Savoir en quoi une entreprise est utile pour la société, c’est important. Puisque c’est ce combat, cette mission qui va permettre d’agréger une tribu.

En définissant bien ce « pourquoi », l’employeur est capable de rassembler des salariés qui ont le même « pourquoi » en quelques sortes. Et pouvoir ainsi l’animer, la mettre en scène dans le temps.

Et du côté des employeurs, la prise de conscience est là ?

Oui, je crois. Nous sommes peut-être un peu biaisés, mais les RH avec lesquels nous travaillons semblent assez matures sur le constat : les façons de travailler dans les grands groupes ne sont plus en phase avec les aspirations des travailleurs et rendent difficile la rétention des têtes bien pensantes qui s’interrogent sur le sens de leur travail.

En revanche, si cette prise de conscience existe, la mise en œuvre peut être plus compliquée. Notamment du côté du budget : il est encore difficile de la part des dirigeants de voir le sens, l’utilité comme un levier stratégique d’engagement des salariés et donc comme un potentiel fort d’attractivité.

Les façons de travailler dans les grands groupes ne sont plus en phase avec les aspirations des travailleurs et rendent difficile la rétention des têtes bien pensantes qui s’interrogent sur le sens de leur travail.

Et pensez-vous que les jeunes sont mieux préparés à ce passage à l’action ?

Comme je le disais, la quête de sens est plus une affaire d’époque. En revanche il est facile d’observer un phénomène chez les plus jeunes : s’il y a un point de blocage, peu importe lequel, les jeunes générations partent beaucoup plus vite. Là où les plus anciens hésitent, se posent des questions, font machine arrière… Un jeune cadre tout juste arrivé sur le marché n’hésitera pas à mettre fin à son contrat si la situation ne lui plait pas ou plus ! C’est donc bien sur ce point qu’il y a un vrai enjeu pour les marques employeurs : questionner le sens de leur mission, leur « why », pour mieux en parler et recruter plus efficacement.

Pour conclure, pensez-vous qu’aujourd’hui la quête de sens est en train de prendre le dessus sur le salaire notamment ?

Quand les gens font notre programme, c’est une question qui revient souvent. La plupart réalise que certes l’argent est une contrainte forte, mais ça reste un moyen.

Ils ont envie d’avoir de l’impact sur le collectif, de s’engager dans une cause dans laquelle ils croient, de chercher un autre niveau de satisfaction, plus immatériel en quelque sorte.

Photos : WTTJ

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