Recrutement : osez embaucher des ex-indépendants !

16 nov. 2023

5min

Recrutement : osez embaucher des ex-indépendants !
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

Parce qu’ils ont connu « la liberté » de l’indépendance, les anciens entrepreneurs sont rarement perçus positivement lorsqu’ils cherchent à rejoindre les rangs des salariés. Assimilée à un échec, cette trajectoire représente pourtant un atout pour les entreprises concernées, tant ces profils ont su développer des compétences multiples.

Autour de l’an 2000, nous avons atteint un pic : l’écrasante majorité des actifs étaient alors salariés. Les quelque 10 % de ceux qui ne l’étaient pas -artisans, professions libérales et commerçants- étaient résolument « différents ». Ils n’avaient ni les mêmes aspirations, ni les mêmes qualités, ni le même régime à la Sécurité sociale que les salariés. Pour une entreprise, embaucher un ex-indépendant, c’était un peu comme faire appel à un individu d’une autre planète. Cela n’avait rien d’évident ! Et de toute façon, un indépendant avait peu de chance de vouloir devenir salarié, tant ce revirement aurait été perçu comme la marque d’un échec.

Depuis cette époque, le nombre d’actifs non salariés a bien augmenté, mais pas de façon exponentielle. Le plus grand changement qui s’est opéré, ces quinze dernières années, est davantage la plus grande porosité qui existe aujourd’hui entre les différents statuts. Les salariés et les indépendants ne forment plus des catégories aussi rigidement définies qu’autrefois ! Sans compter que les individus passent plus souvent de l’un à l’autre, voire font les deux en même temps. D’un côté, les salariés aspirent à plus d’autonomie, tandis que les indépendants voudraient sécuriser leurs revenus. Dans les entreprises, les équipes sont désormais composées de prestataires et d’individus aux statuts divers. Bref, le travail se fragmente et les catégories que l’on connaît ne suffisent plus pour l’appréhender correctement.

En somme, les indépendants et ex-indépendants sont des travailleurs comme les autres, dont il serait bien dommage de se priver quand les viviers de recrutement semblent déjà trop limités. En outre, ces travailleurs ont acquis des compétences multiples, particulièrement décisives dans un monde d’incertitude. Hélas, les recruteurs continuent parfois de se méfier des « atypiques » qui passent d’un statut à l’autre. Pire, les professionnels des ressources humaines échouent souvent à avoir une vision d’ensemble, qui englobe tous les statuts et appréhende les parcours (et mobilités) dans leur complexité.

Prestataires et RH : une nécessaire création de passerelles

Une personne en freelance, prestataire de l’entreprise, est une personne ressource. Elle peut avoir de la loyauté vis-à-vis de sa structure cliente, et parfois collaborer avec celle-ci bien plus longtemps qu’un·e salarié·e. Depuis plusieurs années, sur certaines compétences en tension, notamment dans les départements IT, il est aujourd’hui plus facile de faire appel à des prestataires que de recruter quelqu’un en interne. Chaque mission représente une occasion de découvrir un profil et de tisser un lien de confiance et de respect mutuel. Dans les faits, il n’est pas rare que ces indépendants se voient recevoir des propositions de CDI par les clients satisfaits. Il arrive même que ces freelances les acceptent.

Pourtant, il existe trop peu de réflexion au niveau des RH sur ces parcours « atypiques », de la prestation au salariat ou du salariat à la prestation. Par exemple, parmi les cadres qui quittent leur entreprise, certains en font leur premier client et ne « quittent » pas vraiment l’équipe, même quand ils quittent la liste de paie. À l’inverse, combien de recrutements réussis succèdent à des périodes de collaboration entreprise/prestataire ? Mais a-t-on dans l’entreprise des données précises sur le sujet, ou bien se contente-t-on d’appréhender ces parcours comme des exceptions ?

Redevenir salarié·e après avoir été indépendant·e pendant quelques années, cela n’est en rien un « échec ». Comme l’écrit Nina Ramen sur LinkedIn, « dans quelques années, je redeviendrais peut-être salariée (…) C’est juste que j’estime que le retour au salariat n’est pas un échec. Le salariat a des avantages que l’entrepreneuriat n’a pas (et vice-versa). Y retourner ne serait pas un échec, cela correspondrait à un changement de besoins. Besoins que je ferai en sorte de satisfaire toute ma vie ».

La porosité entre prestataires/entrepreneurs/freelances et salariés reste généralement un tabou, car ce qui relève de la direction des achats -ici la mission du prestataire- ne concerne pas les ressources humaines, et vice versa. Très peu d’entreprises ont créé une fonction du type “Chief Freelance Officer”, pour faire ce lien. Le plus souvent, ce sont les directions métiers elles-mêmes qui font le pont entre les deux départements, pour obtenir les ressources dont elles ont besoin dans leurs équipes. Rien n’est formalisé et leur tâche n’est pas toujours facilitée par des processus adéquats. Ne serait-il pas temps d’imaginer des « parcours travailleurs » qui englobent les prestataires et les salariés, de manière à mieux recruter et faire grandir les talents quel que soit leur statut ?

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Les bonnes raisons de recruter un indépendant

Au XXIème siècle, la convergence entre salariés et indépendants est grande, ce qui dit beaucoup des évolutions du travail et des aspirations en croissance. Il n’en demeure pas moins que le fait d’exercer ou d’avoir exercé une activité en tant qu’indépendant permet d’acquérir un nombre de compétences précieuses.
Parmi elles :

  • Le storytelling : ils apprennent à se vendre régulièrement, à mettre en avant leurs compétences et à se démarquer sur un marché compétitif. Le storytelling est une arme puissante pour raconter leur histoire professionnelle de manière captivante, ce qui leur permet d’attirer et de fidéliser des clients.
  • La formation continue : ils comprennent l’importance de rester constamment à jour dans leur domaine d’expertise, ce qui les pousse à développer leurs compétences de manière continue.
  • L’innovation : si cette capacité n’est pas réservée aux indépendants, on peut tout de même remarquer qu’ils acquièrent une sensibilité fine aux tendances du marché et à ses évolutions, ce qui leur permet de s’adapter rapidement aux changements.
  • La gestion : ils maîtrisent des compétences essentielles, telles que la gestion de budget et la compréhension de la comptabilité, ce qui leur concède de gérer efficacement leurs finances et de garantir la pérennité de leur activité.

En somme, les recruter, c’est recruter des travailleurs polyvalents et entreprenants qu’il n’est pas nécessaire de micromanager ! Ils sont généralement peu à l’aise dans les organisations bureaucratiques et pyramidales, car ils ont l’habitude de prendre des décisions régulièrement et de faire avancer leurs dossiers plus vite. C’est précisément de ces qualités qu’ont besoin les organisations qui souhaitent devenir plus agiles et innovantes.

On pense à tort que ces travailleurs sont plus « volages » et qu’ils manquent de loyauté. Rien n’est moins sûr : rien n’indique que le turnover des individus ayant une expérience hors du salariat soit plus élevé que celui de ceux qui ne l’ont jamais quitté. On pense aussi qu’ils ne seront pas assez « soumis » : après avoir goûté à l’indépendance, ne sont-ils pas devenus indomptables, incapable de se « plier » à nouveau à l’organisation processisée et hiérarchique d’une entreprise ?

Ces craintes sont certainement exagérées. Après tout, les indépendants aussi doivent se plier aux désirs de leurs clients et se soumettre à leurs exigences ! Mais en admettant qu’il y ait un fond de vérité dans ces idées reçues, ne sont-ils pas particulièrement adaptés au travail dans un monde changeant et incertain ? Plutôt que de s’inquiéter de leur départ ou insoumission éventuels, pourquoi ne pas voir comme une force le fait qu’ils posent davantage de questions sur la nature de leur lien avec l’entreprise et qu’ils travaillent à développer leur propre employabilité ?

Si vous êtes convaincus des bienfaits que ces travailleurs peuvent apporter à votre structure, voici quelques conseils pour favoriser leur recrutement :

  • Finissez-en avec l’adéquationnisme : chercher nécessairement un candidat avec le “bon” diplôme et 4 ans d’expérience dans le métier » est le premier frein au recrutement de profils atypiques, parmi lesquels les ex-indépendants.
  • Créez un réseau d’indépendants prestataires : contenus, événements et rituels, à la manière des réseaux d’alumni, entretenir les liens avec les indépendants qui ont travaillé avec vous est riche.
  • Sollicitez vos réseaux d’indépendants pour de la cooptation : ils peuvent vous recommander des profils pertinents, ou connaître d’autres indépendants à la recherche d’opportunités salariales.
  • Donnez toute l’autonomie nécessaire aux managers pour recruter les meilleurs profils : n’hésitez pas à faire une offre d’emploi à un·e indépendant. Ils n’y sont pas forcément hostiles !

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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