Congé respiration : l’initiative RH qui apporte un nouveau souffle aux équipes

May 30, 2023

6 mins

Congé respiration : l’initiative RH qui apporte un nouveau souffle aux équipes
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Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

Nouvel or noir dans un monde professionnel soumis à l’immédiateté, « le temps » est aujourd’hui perçu comme un avantage social par les salariés. Certaines entreprises en ont fait un levier d’attractivité en leur offrant – voire en leur imposant – des breaks.

Congé respiration, congé de priorité personnelle, « sabbatical »… Peu importe le label, leur vocation est identique : offrir un moment de pause à un salarié pour lui permettre de se ressourcer, de mener un projet personnel ou de réfléchir à son avenir… tout en conservant tout ou partie de son revenu. L’idée paraît audacieuse en France, néanmoins, elle ne date pas d’hier ! Cette inspiration nous vient de la Silicon Valley où le sujet était déjà abordé dès 1970. En effet, les entreprises high tech, connues pour leur culture de la performance, voulaient offrir des congés sabbatiques à leurs employés pour leur permettre de prendre du temps pour eux afin de revenir plus motivés. Google a fait ce pari en mettant en place un programme appelé « Google sabbatical », qui permet de prendre jusqu’à six mois de congés payés pour poursuivre des projets personnels. Facebook a également mis en place le « Facebook Career Break », qui permet de prendre jusqu’à un an de congés (non rémunérés) afin de mener des projets persos ou philanthropiques. PayPal a marché dans ce sillage : « Depuis notre création, nous suivons de près les évolutions RH proposées et expérimentées au sein de la Silicon Valley, notamment sous l’impulsion du Palo Alto Research Center (PARC). L’un des axes de réflexion majeur était l’inclusion des salariés, dont le sabbatical était un levier. Il a donc été mis en place depuis le début des années 2000 au sein de l’entreprise : aujourd’hui, cette pause est inhérente à notre culture d’entreprise », explique Francis Barel, Directeur de PayPal France.

Un congé respiration, trois formats : chacun son ingénierie

Un « sabbatical » tous les cinq ans pour PayPal

Le format est le même depuis sa création, à savoir, quatre semaines d’affilée offertes aux salariés tous les cinq ans. Cette dynamique répond aux « cycles salariés » : « Il y a des changements de postes tous les deux à trois ans chez nous. Le congé s’inscrit dans ce cadre : il s’agit d’une pause pour respirer après une expérience dans un poste, avant d’attaquer le prochain », explique Francis Barel. Durant cet arrêt, les salariés sont libres de faire ce qu’ils souhaitent pour se ressourcer : « Chacun le conçoit à sa manière. Généralement, les salariés décident de réaliser des expériences assez extraordinaires : certains partent en voyage, d’autres se forment au métier d’ébéniste, personnellement j’en ai profité pour réaliser une retraite d’écriture…. ». Une condition est de mise : une déconnexion totale est exigée avec l’entreprise.

Du temps pour soi une demi-journée par mois pour Morning

L’entreprise a récemment fait le pari de saupoudrer des temps de respiration dans le quotidien des salariés au lieu de proposer un bloc de congés en plus. « Nous sommes des adeptes de la flexibilité depuis nos dix ans d’existence : les personnes sont libres d’organiser leur temps, il n’y a pas de management hiérarchique et nous faisons confiance aux équipes. Or, lors d’un atelier RH avec plus de 90 personnes, un point d’alerte a été soulevé : une partie de nos équipes ne parvient pas à gérer son équilibre, à poser des limites dans leur temps de travail », explique Marie Barbier, DRH de Morning. Pour répondre à cette préoccupation, dès janvier 2023, l’équipe RH a mis en place une demi-journée de congé par mois. « C’est ouvert à tous et rémunéré : le but est de pouvoir souffler, de prendre du temps pour soi, d’aller chez le coiffeur ou de faire du sport, peu importe ! Nous voulons donner du sens à ce temps offert à chacun. » Résultat ? Ces jours de respiration sont plébiscités par les équipes : « Le dispositif est très utilisé par les nouvelles recrues, celles qui sont moins habituées à notre culture de la flexibilité », souligne Marie Barbier. « Il s’agit de proposer un environnement de travail où l’on se sent bien, où chacun peut trouver son propre rythme : ces jours en plus sont des outils à disposition pour encourager chacun à bâtir son équilibre personnel. »

Un break réflexif pour Mazars

Après cinq ans d’ancienneté, un salarié peut candidater pour prendre un break de trois mois financé à 50 %. L’engagement du cabinet ? « 10 % des personnes éligibles doivent pouvoir partir dès cette année », affirme Mathilde Le Coz, DRH chez Mazars. « Il est important que ce temps soit valorisé au travers d’un but personnel, c’est pourquoi les salariés intéressés doivent présenter un dossier de motivation auprès des managers et des RH. Cela peut être un voyage, un projet artistique ou un engagement associatif, peu importe, l’idée est qu’ils et elles se questionnent sur leurs envies professionnelles et personnelles… » Cette initiative s’inscrit dans une transformation RH et salariale de grande ampleur initiée par Mazars depuis quelques années : « Nous souhaitons offrir un deal salarial innovant face à l’émergence d’un nouveau rapport au travail et à des aspirations en faveur d’une meilleure articulation des temps de vie : flexibilité, confiance… Ce n’est pas toujours évident car les métiers du conseil sont très engageants avec une grande charge de travail par moment. C’est donc une première brique pour aider nos salariés à reprendre leur souffle », souligne Mathilde Le Coz.

Une pause dans l’expérience collaborateur : 4 effets attendus

81 % des Français rêvent de prendre une année sabbatique ou en ont déjà pris une au moins une fois dans leur vie, selon l’étude menée par Censuswide pour Azimo auprès de 1256 Français. Alors que 61 % des recrutements sont jugés difficiles par les employeurs (soit 3,1 % de plus que l’année précédente), les congés respiration apportent un élément de réponse pour améliorer la rétention des salariés et attirer de nouveaux talents. Mathilde Le Coz y voit deux bénéfices connexes : « Cela me semble assez compliqué de démontrer un rapport direct entre la mise en place de ce dispositif et la rétention ou l’attractivité des talents. Les effets RH sont plus subtils : ces pauses peuvent tout à fait créer des vocations, des personnes partiront peut-être. Si c’est le cas, Mazars aura rempli sa promesse : celle de développer l’employabilité. L’autre effet collatéral positif est sur la marque employeur : des personnes qui partent heureuses font de très bons ambassadeurs auprès de nos futurs talents. On a tous à y gagner », développe Mathilde Le Coz.

Ces temps de respiration ont également des effets connexes très positifs pour toute l’organisation :

  • Instaurer un système de reconnaissance : « Le Mazar Break n’a pas été créé pour fidéliser. Il s’agit, avant tout, de remercier l’investissement des salariés présents depuis cinq ans : c’est significatif dans le secteur de l’audit, surtout actuellement, où les expériences professionnelles sont plus furtives », souligne Mathilde Le Coz. Cette approche de la reconnaissance est partagée au sein de PayPal : « Il est fortement encouragé de prendre son sabbatical, et l’opportunité de prendre une respiration de 4 semaines récompense l’ancienneté. Tout est pensé pour en faire une célébration : le jour officiel des cinq ans, le salarié reçoit un message de félicitations. Le manager est également notifié afin qu’ensemble, ils préparent ce break dans les meilleures conditions », précise Francis Barel.

  • Révéler de nouvelles compétences : « Pour l’entreprise, c’est aussi miser sur des talents qui apporteront une richesse supplémentaire à l’organisation par d’autres expériences apprenantes », partage Mathilde Le Coz. Chez PayPal, la délégation faite pendant la période d’absence des managers permet d’évaluer certaines compétences de leadership au sein des équipes : « Quand un manager part en sabbatical, il ou elle demande généralement à l’un de ses collaborateurs de “step up”, à savoir de monter en puissance : c’est un excellent moyen de tester la capacité à évoluer », explique Francis Barel.

  • Renforcer l’inclusion : chez PayPal, le congé étant proposé à tout le monde sans exception au bout de cinq ans, les absences pour congé maternité sont perçues différemment. « Le congé sabbatique est un facteur d’égalité entre femmes et hommes car c’est un départ de 4 semaines qui concerne tout le monde. Le fait de s’absenter n’est plus un sujet, cela fait partie du parcours collaborateur », souligne Francis Barel.

Déploiement du congé respiration : les 4 facteurs clés de succès

  • Écouter les besoins des salariés : chez Morning, le dispositif de congé est issu des écoutes régulièrement menées en interne. En effet, les équipes RH ont questionné l’ensemble des salariés sur les avantages sociaux spécifiquement. Les résultats ont donné suite à un atelier de travail mené avec des volontaires «afin de réfléchir ensemble à des solutions pour améliorer l’équilibre de vie », souligne Marie Barbier.

  • Tester et améliorer en continu : au regard des résultats des enquêtes et des ateliers menés, l’idée est de tester le format choisi pendant un temps donné (en fonction du format choisi) et de mener des retours d’expérience. Par exemple, il peut être intéressant de poser ces questions : est-ce que ce type de congé a été pris ? Pourquoi ? Comment les salariés les ont utilisés ? Comment s’est passé le « passing » des activités dans les équipes ? Est-ce que l’engagement et la qualité de vie sont meilleurs après la mise en place ? Quelle perception en ont les salariés ?

  • Créer un processus fluide : la demande de congé doit être simplifiée pour éviter les « couacs » organisationnels. Au sein de PayPal, le « sabbatical » est intégré à leur outil de gestion RH : « Vous êtes notifié par e-mail et avez jusqu’à douze mois pour le mettre en place (ou au besoin le décaler), vous êtes également invité à déléguer vos actions auprès d’un collègue. De même, les valeurs du sabbatical sont rappelées dans l’outil. Tout est transparent et inscrit dans notre SIRH (Système d’Information Ressources Humaines, ndlr), ce qui facilite les transitions », explique Francis Barel.

  • Accompagner le changement : « Mettre en place un tel dispositif n’est pas très compliqué en soi. L’enjeu est de faire en sorte que les personnes osent le demander, et que les managers soient prêts à l’accepter », conclut Mathilde Le Coz. Un accompagnement du changement est donc à prévoir pour ancrer de nouveaux réflexes au sein des équipes.


Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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