Semaine de 4 jours : pourquoi les syndicats hésitent-ils ?

25 ene 2024

7 min

Semaine de 4 jours : pourquoi les syndicats hésitent-ils ?
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Arnaud Aubry

Journaliste indépendant

colaborador

Si la semaine de 4 jours commence à faire son petit bonhomme de chemin dans les entreprises, elle est encore souvent le seul projet de patrons innovants et précurseurs… Et les syndicats dans tout ça ?

À l’hôpital de Trévenans, dans le Territoire de Belfort (90), il fallait trouver une solution. Cet établissement à l’activité très intense souffre d’un manque criant et récurrent de personnel. En raison des arrêts maladies, des burn-out, des agents non remplacés, les équipes sont en permanence à flux tendus. Pour enrayer la situation, des solutions ont bien été tentées : créer un pool de remplaçants, pour combler les absences inopinées ; ou bien d’augmenter la durée des gardes de 9h à 12h de travail consécutives… Mais rien de tout cela n’était vraiment satisfaisant. Déjà parce qu’il est compliqué de créer une équipe de remplaçants quand on peine déjà à recruter et que les salariés sont épuisés. Ensuite parce que l’expérience montre qu’enchaîner 12 heures de suite au travail a des effets délétères, en particulier sur le niveau d’attention.

Et puis, un jour, une adhérente de la CFDT de l’hôpital émet une idée incongrue : passer à la semaine de 4 jours. C’est une révolution. En quelques semaines, des réflexions sont menées, une nouvelle organisation du travail pensée, la direction se déclare intéressée. La présentation officielle du projet est faite le 18 janvier dernier, avec, dans le viseur, une expérimentation dans les prochaines semaines.

La baisse du temps de travail : le leitmotiv des syndicats

Des exemples comme celui-là - où un syndicat est à l’origine de l’expérimentation de la semaine de 4 jours, dans le public comme dans le privé - sont rarissimes. C’est en tout cas ce que confirme Thomas Laborey, qui a enquêté sur le sujet dans son ouvrage « La semaine de 4 jours sans perte de salaire ça marche » ( Ed. Eyrolles, 2023). Parmi les « quelques centaines d’entreprises » que l’expert en innovation managériale a pu observer, aucune n’est passée à la semaine de 4 jours sous l’impulsion des syndicats maison : « l’initiative venait toujours des dirigeants ».

Comment comprendre cette réticence ? Elle paraît de prime abord contre-intuitive, l’histoire des syndicats ayant été guidée depuis plus d’un siècle par un leitmotiv : la réduction du temps de travail. « On a assisté à une baisse considérable du temps de travail depuis le début du XXe siècle… Et évidemment les syndicats ont joué un rôle central », confirme Jean-Marie Pernot, chercheur en sciences politiques, associé à l’Ires, et au Centre d’histoire sociale, et auteur du « Syndicalisme d’après, ce qui ne peut plus durer » (Editions du détour, 2022).

Rappelons-nous : l’encadrement du travail des enfants, l’interdiction du travail de nuit pour les mineurs, puis finalement les grèves générales de 1906 qui permettront l’avènement des journées de 8hA chaque fois, les syndicats étaient au premier rang. « D’ailleurs, ceux-ci ne sont pas du tout opposés par nature à la semaine de 4 jours. C’était même une revendication de la CGT il y a plus de 15 ans », se remémore Jean-Marie Pernot.

Pourtant, depuis, force est de constater que les syndicats ne sont plus en pointe sur le sujet. « Ils sont sur leur garde. Ils se demandent où est la chausse trappe », croit savoir le chercheur.

Des salariés ambivalents

Mais de quoi ont donc peur les syndicats ? « Ils craignent que cette réorganisation du temps de travail ne soit pas accompagnée d’une baisse du temps de travail », décrypte Jean-Marie Pernot. « En clair, que l’on fasse sa semaine de 5 jours, en 4 jours, avec des journées plus intenses, plus stressantes… »

De fait, à la CFDT - le syndicat majoritaire dans le secteur privé -, on le dit clairement : « La semaine de 4 jours ne fait pas partie de nos revendications ! On défend plutôt la création du compte épargne temps universel » [une sorte de banque dans laquelle on pourrait stocker nos jours de congé non utilisés pour les dépenser quand et comment bon nous semble, ndlr.], explique Isabelle Mercier, secrétaire nationale CFDT. Du côté de la CFTC, on avoue avoir encore du mal à se positionner : « C’est une question très intéressante. Mais plus on travaille sur le sujet, et plus on s’interroge », avoue Cyril Chabanier, président du syndicat chrétien. Déjà parce que la demande pour la mise en place de la semaine de 4 jours, n’est pas la même partout : « Quand le télétravail est bien implanté, la demande est moins forte » assure le syndicaliste.

Et puis, si l’intérêt est réel, les craintes associées ne sont pas moins vivaces. La preuve : la CFTC a mené durant l’été 2023 une grande enquête auprès des salariés de la Société Générale. Plus de 800 personnes ont participé. Les résultats ? Ils sont contradictoires et montrent bien l’ambivalence des salariés sur cette réorganisation du temps de travail. D’un côté, ils expriment un très grand intérêt pour la semaine de 4 jours (+ de 96% y seraient favorables à titre personnel). De l’autre, ils expriment aussi de grandes craintes : peur que la rémunération baisse, que la charge de travail augmente, qu’on supprime leurs RTT ou encore que l’organisation du travail et des congés s’en trouve complexifié.

32 heures ou rien

A l’hôpital de Trévenans, la CFDT - qui y mène la barque sur la mise en place de la semaine de 4 jours - a proposé quatre scénarios à la direction. La solution privilégiée ? Une semaine de 4 jours avec un contrat de 37 h 30 par semaine, et la conservation des 15 RTT annuels. Le moins intéressant à leurs yeux ? Passer à un contrat de 35 heures sur 4 jours, avec une perte totale de leurs RTT.

Et la semaine de 4 jours à 32h par semaine (avec donc des journées de 8 heures), prônée par les chantres du sujet à l’international ? « Je ne l’ai même pas proposé… On ne veut pas faire miroiter quelque chose d’impossible », estime Mélanie Meier, secrétaire générale du syndicat santé sociaux du Territoire de Belfort CFDT.

Pourtant, cette solution-là, c’est celle que revendique la CGT. Pour le premier syndicat dans la fonction publique, c’est 32h ou rien. « Pas de semaine de 4 jours sans réduction du temps de travail », insiste Agathe Le Berder, secrétaire générale adjointe de l’Ugict-Cgt, l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT. D’ailleurs, en 2022, la CGT a refusé de signer des accords qui mettaient la semaine de 4 jours - sans réduction du temps de travail - chez Accenture, géant mondial du conseil.

Pourtant, et ce n’est pas forcément contradictoire, la CGT soutient la semaine de 4 jours pour les cadres. Pour Agathe Le Berder, « les ingénieurs, les cadres et les techniciens n’ont pas senti la baisse de la durée du travail ces dernières décennies. Pour eux, le travail s’est même intensifié. A cause du forfait jour, qui a été le cheval de Troie des 35h… » C’est pourquoi, selon la syndicaliste, la seule manière de baisser la durée du temps de travail de ces travailleurs-là serait de baisser le nombre de jours de travail par semaine.

De là à en impulser la mise en place dans les entreprises où ils sont représentants ? Difficile à dire. Compte tenu de la manière dont l’Ugict-CGT (une confédération de plusieurs organisations) est agencée, Agathe Le Berder nous avoue ne pas savoir si les syndicats qui lui sont affiliés ont défendu la mise en place de la semaine de 4 jours dans les entreprises où ils sont présents. Ce qui pose tout de même question…

Quand la greffe prend difficilement

D’autant que l’implication des syndicats à la genèse de la semaine de 4 jours n’est pas forcément le garant de son succès. Pour trouver le seul autre exemple connu, il faut remonter en 2017. Nous sommes à la Caisse des dépôts et des consignations (CDC), et c’est l’UNSA - Union nationale des syndicats autonomes - qui donne le “la”. En avance sur son temps, la Caisse des dépôts autorise le télétravail à raison de deux jours par semaine depuis 2005 ! Sous l’impulsion de l’UNSA, un sondage est réalisé en février 2017 auprès des plus de 6 000 salariés de l’institution financière publique : plus de 20% d’entre eux se disent intéressés par ce qui est alors un concept plus qu’avant-gardiste : la semaine de quatre jours.

L’expérimentation est lancée dans la foulée. Mais la greffe prend difficilement. A peine une centaine de personnes tentent le coup. Et sept ans plus tard, on est loin de l’effet boule de neige anticipé. Les “4 jouristes” restent très rares. Moins d’une centaine. Les raisons sont multiples. « Le modèle retenu est peu attractif : il fallait passer au forfait, rendre tous ses RTT…», liste Salomé Vaillant, déléguée syndicale UNSA à la Caisse des Dépôts et consignation. Autre problème : la semaine de 4 jours telle qu’elle est imaginée à la CDC n’est pas cumulable avec le télétravail : « La solution est très peu flexible, donc très peu intéressante », commente la déléguée syndicale.

« Les partenaires sociaux ont un rôle à jouer »

Tous les syndicats s’accordent pour dire que la question de la semaine de 4 jours ne pourra pas être réglée de manière nationale et verticale comme ce fut le cas pour les 35h. Cela se passera forcément dans les entreprises, voire même au sein des services. Ce que confirme Thomas Laborey : « La mise en place de la semaine de 4 jours ne fonctionne que si les employés se l’approprient. Et c’est là que les partenaires sociaux ont un rôle à jouer. Il y a des négociations à mener, des débats entre collaborateurs à organiser… Sans oublier que les syndicats sont des ressources précieuses pour les salariés, qui peuvent leur demander des informations, se renseigner sur les impacts de la semaine de 4 jours, en termes de droits du travail par exemple », résume le consultant.

« En fonction des types de boulot, il peut y avoir des conséquences importantes. » alerte pour sa part Isabelle Mercier, secrétaire nationale CFDT. « Je pense par exemple aux risques en termes de troubles musculo-squelettiques. Répéter le même geste, 7h ou 9h, voire 10h par jour, ce n’est pas la même chose pour le corps. » Sans oublier l’impact potentiel sur le pouvoir d’achat : « Vous pouvez perdre la prime de panier si vous travaillez sur 4 jours, ou bien déclarer moins d’heures complémentaires ou supplémentaires. Tout ça peut être lourd à la fin du mois sur les comptes en banque », ajoute la syndicaliste.

A l’hôpital de Trévenans, on espère une expérimentation courant du premier trimestre. Si possible dans le service de gériatrie, celui qui a le plus de problème d’attractivité. « Si on montre que ça marche pour la gériatrie, ça prouvera que notre idée est intéressante » veut croire Mélanie Meier. Et si l’expérimentation est un succès, l’établissement public pourrait rapidement étendre la semaine de 4 jours à tous les services. Ce serait le premier hôpital en France à le faire.


Article édité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ

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