Anticiper les Jeux : les entreprises et salariés mis à l’épreuve

12. 4. 2024

7 min.

Anticiper les Jeux : les entreprises et salariés mis à l’épreuve
autor
Etienne Brichet

Journaliste Modern Work @ Welcome to the Jungle

přispěvatel

Des millions de touristes, des transports en commun sur les rotules, une pincée d’incertitudes : cet été, les Jeux olympiques et paralympiques promettent de bousculer quelque peu le quotidien des entreprises et travailleurs franciliens ! À une centaine de jours de l’ouverture de l’événement, on a pris le pouls des concernés.


« Pour gagner du temps pendant les Jeux, l’important c’est de télétravailler ! » Le slogan de l’affiche est clair, et nul doute que vous l’avez déjà croisé dans le métro ou dans les gares si vous êtes francilien. Fruit d’une campagne lancée en janvier par le gouvernement et Île-de-France Mobilités, le télétravail est présenté comme la mesure phare pour échapper en août aux métros bondés et aux embouteillages. Cet été, pas moins de 15 millions de visiteurs sont attendus dans la capitale. Les entreprises et les travailleurs sont-ils prêts ?

« Certaines directives ne sont pas très claires du côté des organisateurs des Jeux et les entreprises n’ont pas beaucoup de visibilité. Les partenaires de l’événement ont pu réfléchir à des mesures pour limiter les impacts. Mais sur l’aspect opérationnel, que ce soit dans les bureaux et autour des sites concernés, c’est moins clair, expose en préambule Laurent Dequéant, directeur associé du cabinet de conseil Oresys qui accompagne des entreprises sur les solutions à mettre en place en interne pendant les Jeux. Ce sujet n’était pas forcément vu comme prioritaire en septembre dernier, mais aujourd’hui certaines entreprises se rendent compte qu’il est nécessaire de commencer à agir ! »

Un été placé sous le signe de la désorganisation ?

S’il planait encore un sentiment d’incertitude autour des transports, la conférence de presse de mars dernier, présidée par Valérie Pécresse, aura permis d’y voir plus clair, sans pour autant rassurer. « Bien sûr, les Jeux vont causer des désagréments pendant quelques semaines aux Franciliens. C’est vrai, c’est inévitable », a déclaré la présidente de la région Île-de-France. Nombreuses seront les lignes à être impactées : la ligne de métro 5, la 6, la 7, la 8, la 9, la 10, la 12, la 13, la 14, les T3a et T3b, les RER B,C et D, et les lignes transiliennes J,L,N,P,U. « Il ne faut pas avoir peur de faire un peu de marche. C’est bon pour la santé », a ajouté Valérie Pécresse lors de la présentation de la plateforme Anticiper les Jeux.

Certains paramètres échappent encore aux entreprises. « Le sujet des demandes d’accès pour les zones réglementées reste encore flou, d’autant plus que la plateforme de dérogation n’est pas encore fonctionnelle », souligne Laurent Dequéant. Certaines zones, indiquées sur la carte interactive de la plateforme Anticiper les Jeux (attendue courant avril), seront interdites à la circulation motorisée, sauf dérogation. Entre temps, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé le déploiement à partir du 10 mai d’une plateforme permettant l’obtention d’un QR code qui sera obligatoire pour circuler dans le périmètre Silt (Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme). En attendant, Sophie (1), agent administratif pour le Ministère de la Culture, reste dans l’incertitude : « Je travaille à Versailles et aux alentours du jardin des Tuileries. Mes deux lieux de travail sont en zone sensible et on n’a pas d’infos sur l’organisation. Tout reste à l’état de discussions entre collègues angoissés. C’est très “au jour le jour”. »

Télétravail, flexibilité, et accords avec les salariés

Dès septembre dernier, l’ANDRH (Association Nationale des DRH) avait pris les devant en publiant un mémo à destination des entreprises. Leurs principales recommandations : anticiper la continuité d’activité et clarifier les règles de télétravail et la flexibilité. « Les entreprises de bureau devront s’adapter aux Jeux. Il y a des outils pour être plus flexible et ne pas avoir à travailler sur Paris, notamment le télétravail. Il faudra limiter les déplacements sur Paris », insiste Mehdi Farajallah, enseignant-chercheur en économie, qui s’est penché sur les potentiels impacts des Jeux sur Paris et les entreprises.

A Oxygen, une agence parisienne de conseil en relation média, la directrice Eve Catrix a pris les devants, même si à ses yeux la période à venir ne représente pas un défi insurmontable. « Nous travaillons déjà efficacement en télétravail, et sur la période des Jeux olympiques, nous allons augmenter à trois jours de télétravail par semaine. Nous réfléchissons aussi au 100% télétravail, mais rien n’est gravé dans le marbre, explique la directrice. Surtout, cela restera sur la base du volontariat car certains salariés ont moins bien vécu la phase de télétravail forcée liée au Covid. Dans tous les cas, le bureau sera donc ouvert pour ceux qui veulent venir, car le but n’est pas de provoquer un mal être. »

Même son de cloche chez le géant pharmaceutique Janssen France. « Nous avons créé un groupe de travail en octobre dernier pour anticiper l’impact des Jeux. Des recommandations ont été communiquées dès le mois de novembre à nos 600 collaborateurs, se félicite Aurélie Debaene, manager centre d’excellence. La première recommandation phare, c’est le fait d’étendre le télétravail du 1er juillet au 15 septembre, sans obligation. »

De son côté, l’agence de création Cowboys Agency a écouté les demandes de ses salariés qui souhaitaient une alternative pour continuer à se déplacer sans pour autant devoir subir le métro parisien. « Nous avons proposé des vélos électriques de fonction à nos salariés avec la solution apportée par Tandem. C’est une proposition qui a cartonné, s’enthousiasme Nicolas Tzipine, dirigeant de l’agence. On prend en charge 70 % du loyer et les 30 % restants sont à la charge du salarié. Pour le moment, 20 % de notre effectif est équipé mais les demandes augmentent. »

Comme le rappelle Laurent Dequéant, chaque décision doit prendre en compte le respect du code du travail : « Toutes les solutions ne peuvent pas se traduire par un mail. Il est nécessaire de passer par les instances représentatives du personnel qui vont discuter et négocier. C’est un chemin nécessaire pour éviter une levée de bouclier. » À Janssen France, les salariés ont justement été sollicités avant qu’un service limité ait été décidé du 22 juillet au 23 août. « Nous avons envoyé un questionnaire à tous les collaborateurs du siège pour estimer leur taux de présence. Concrètement, nous allons mettre en place du flex office et du zoning en fermant des étages », précise Aurélie Debaene.

Mais parfois, l’anticipation des Jeux ne se limite pas aux murs de l’entreprise. À Janssen France, des échanges ont eu lieu avec les grossistes et distributeurs pour assurer le bon acheminement des produits. Au sein de son agence spécialisée dans les relations média et la communication, Audrey et ses collègues préparent les Jeux avec leurs clients depuis le début de l’année : « On doit anticiper les non disponibilités des lieux pour les événements et au niveau médiatique, il va y avoir un gros vide car la presse mainstream va se concentrer sur les Jeux. On a prévenu nos clients de ce “blackout”. Les filiales en France sont conscientes des problématiques mais c’est moins le cas des clients internationaux. »

Voir Paris et fuir

Et puis, il y a celles et ceux qui n’ont qu’une idée en tête : fuir tout bonnement la capitale et ses abords pendant le grand événement, histoire de bosser au calme. Ils seraient 31% en Ile-de-France à y songer ! C’est le cas d’Audrey et de ses collègues, qui seront officiellement en full télétravail pendant toute la période estivale. « En temps normal, on est en full télétravail en août. Là, on va juste décaler cette période pour qu’elle coïncide avec les JO. Au vu de ce qui se passe aujourd’hui, on anticipe quelque chose de très chaotique, reconnaît-elle. Quant à Eve Catrix, la directrice d’agence, si elle n’a pas encore reçu de demandes officielles, elle s’attend à ce que certains salariés demandent à quitter la région le temps de quelques semaines.

Mais pour Élodie (1), customer success manager dans une entreprise tech sur Paris, il faudra vivre cette période des Jeux… de manière un peu illégale ! « J’ai décidé de ne pas suivre les règles de mon entreprise, confie-t-elle. Une réunion CSE a été organisée mais la direction n’a rien prévu face aux désagréments causés par les JO pour se rendre au bureau. On ne nous a pas accordé plus de télétravail donc je ne vais pas rester à Paris. » Discrètement, elle emportera donc son ordi dans sa valise, direction le sud de la France. Pas vraiment inquiète d’être découverte, car ses supérieurs sont à l’étranger. Pas vu, pas pris !

Quitte à déserter Paris, certains comptent faire d’une pierre deux coups. Mehdi Farajallah s’est également intéressé aux conséquences des Jeux sur les locations de courte durée, et anticipe un effet d’aubaine avec une explosion en termes de demande de logements : « Ceux qui veulent quitter Paris et sont en capacité de louer ou sous-louer leur bien ne vont pas se priver de cet avantage financier ! » Côté Airbnb, les prix des locations explosent depuis quelques mois, atteignant parfois 1 050 euros pour une nuit dans la capitale pendant les Jeux. « J’ai mis mon appartement en location sur Airbnb, à un prix raisonnable. Même si je ne l’avais pas sous-loué, je ne serais pas restée sur Paris pendant les JO, reconnaît Élodie. La plupart de mes amis ne comptent pas rester et certains ont aussi mis leur logement en location. »

Des travailleurs moins privilégiés que d’autres

Pendant les JO, tout le monde ne sera pas logé à la même enseigne. Sophie l’a bien compris dans son quotidien d’agent administratif pour le Ministère de la Culture. « La carte “télétravail” va sûrement être activée, mais certains de mes collègues ne peuvent tout simplement pas télétravailler, comme les agents de surveillance », se désole-t-elle. Pas non plus de mesure d’exception prévue pour Camille (1), qui travaille dans une grande banque : « Mon employeur nous refuse davantage de jours de télétravail car il estime que nous ne sommes pas assez proches des sites olympiques. Sauf qu’il ne prend pas en compte la majorité de mes collègues qui doivent traverser ou contourner ces zones » regrette-t-elle.

Pour Pierre (1), c’est un autre schéma qui fait grincer des dents dans la boîte d’investissement en actifs financiers où il bosse. Dès janvier, ses collègues et lui ont été fortement incités à poser des congés pendant les deux semaines des JO. « Personnellement, ça ne me pose pas de problème, mais ça n’arrange pas certains collègues qui n’ont pas envie de poser des congés sur cette période. Et pour ceux qui vont éventuellement rester, ils seront obligés de venir au bureau quatre jours par semaine. » Dialogue et négociations semblent impossibles. « On ne va pas taper du poing sur la table, ça ne se fait pas trop dans les métiers de la finance, donc on va finir par accepter. »

Reste à voir si ces Jeux auront les mêmes impacts que ceux de 2012 à Londres où un tiers des travailleurs avaient dû rester chez eux pour réduire le nombre de voyageurs dans les transports. Élise (1) a vécu cette période au cœur même de la capitale, et même si elle n’a pas souffert de la situation, elle a constaté des impacts significatifs. « Le maire avait demandé aux gens de partir en vacances et le télétravail n’était pas du tout une pratique démocratisée à l’époque. Les épreuves étaient assez éloignées du centre, à Stratford dans l’est de Londres. Du côté d’Oxford Circus, où je travaillais, c’était plutôt désert. C’est à la fin des Jeux, lorsqu’il y avait moins d’épreuves, que les touristes ont commencé à affluer dans le centre de Londres. Une fois, j’ai mis une heure pour rentrer à pied, c’était la folie ! », se remémore-t-elle.

(1) Les prénoms de certains témoins ont été modifiés.


Article écrit par Etienne Brichet et edité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ

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