« Le métier idéal n’existe pas ! » : à 30 ans ils n’ont toujours pas trouvé leur voie

18. 1. 2024

8 min.

« Le métier idéal n’existe pas ! » : à 30 ans ils n’ont toujours pas trouvé leur voie
autor
Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

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Vous faites partie de la team qui n’a jamais vraiment su ce qu’elle voulait faire à l’âge adulte ? Vous avez choisi une voie professionnelle un peu par défaut et vous sentez que ce n’est pas vraiment ça ? Pas de panique, d’abord sachez qu’il n’y a pas d’âge pour trouver et qu’il est tout à fait possible de s'accommoder de ne pas savoir. Pierre, Sephora, Alexandra et Mélanie nous racontent leur parcours dans ce flou éternel.

Pierre (1), 34 ans : « Peut-être que le métier idéal n’existe pas ! »

J’ai grandi dans une famille issue de la bourgeoisie bordelaise. Il y avait de l’argent, alors quand j’ai dit à mes parents que je souhaitais faire une école d’art à Paris après le lycée, ils n’ont trop rien dit. Ils ont tout payé : école à 7 000 euros et appartement étudiant. Après avoir été victime de harcèlement scolaire, c’était déjà une victoire pour eux que je me lance dans des études supérieures. Au bout de trois ans de vie parisienne, j’ai obtenu un BTS en design graphique et j’ai commencé à faire quelques petits boulots en Freelance. Il y a plus de dix ans, on ne parlait pas encore de TDAH, et plus largement de neuroatypie. Quand je lis des choses à ce sujet, je me reconnais et peut-être que ça pourrait expliquer ma difficulté à me sentir à ma place professionnellement. Lorsque j’ai débuté, mon travail me plaisait, même si, je me suis toujours senti un peu enfermé à passer mes journées à mettre en forme les univers et les identités graphiques pensés par les concepts rédacteurs et/ou les clients des agences pour lesquels je travaillais. Je me suis toujours plus amusé à trouver des idées ou des concepts qu’à leur donner vie.

Autre point important, je suis une personne très sociable, donc, je me sentais également frustré de ne pas participer aux discussions avec celles et ceux qui élaboraient les briefs. Le problème venait peut-être de ma posture d’exécutant, à laquelle j’ai tenté d’échapper en me rendant aux rendez-vous clients. Je suis devenu concepteur-rédacteur et commercial. Mais je me rendais compte que j’étais entré dans un schéma pas très satisfaisant : mes expériences professionnelles commençaient très bien, puis un peu déçu par le manque de latitude de mon poste, je me désinsvestissais, jusqu’au point de rupture où je quittais mon emploi presque toujours en mauvais termes.

Quand j’ai passé le cap de la trentaine, un peu las de cette situation, j’ai eu besoin de voyager : je suis parti en Australie, au Canada, puis aux États-Unis où j’ai un peu bossé dans la restauration, mais aussi comme assistant photographe et dans la communication événementielle. J’ai même fait une formation de tatoueur, c’est pour vous dire ! Et depuis, le spectre n’a cessé de s’élargir. Quand je suis rentré en France au début de la crise sanitaire, je me suis retrouvé dans une maison de campagne sans véritables perspectives professionnelles. Je tournais un peu en rond et j’avais du mal à m’imposer un cadre. Mais il fallait que je trouve un moyen de payer mon loyer, alors, quand ça a été possible, j’ai trouvé des postes dans la restauration et sur mon temps libre, je faisais quelques shootings amateurs comme photographe.

Aujourd’hui, je n’ai toujours pas trouvé d’équilibre, j’aime l’art, l’image, organiser des événements… Je ne sais pas vraiment de quoi sera fait demain, on verra bien. Personnellement, je n’ai pas d’enfant et ce n’est pas prévu pour tout de suite, alors, je profite un peu de ce que la vie m’offre en étant très raisonnable dans mes dépenses. Ce n’est pas tous les jours satisfaisant et c’est parfois très angoissant, mais je ne sais pas si je suis capable de rentrer dans une case.

Sephora, 32 ans : « Ça a toujours été là et pourtant je n’ai rien vu »

Je suis une éternelle bonne élève. Depuis l’école primaire, j’ai toujours tout fait pour avoir de bons résultats dans toutes les matières et disons que ça n’a pas trop mal fonctionné. Pourtant, quand il a fallu faire des choix après le lycée, je n’arrivais pas à me projeter. Les options que j’ai sélectionnées sur le site admission post bac reflétaient bien cette problématique : en tête, j’avais choisi une prépa HEC et en second, un cursus en pharmacie parce que j’avais un attrait pour la chimie et le soin. Rien à voir. L’avantage allait à la prépa, parce qu’elle proposait un enseignement généraliste et c’est d’ailleurs pour cette raison que je l’ai choisi. Pour continuer dans le non-choix, j’ai ensuite enchaîné avec une grande école de commerce.

Pour mes stages, je me suis orientée vers l’industrie agro-alimentaire. Toute mon enfance, j’ai été en surpoids et avec une maman nutritionniste, vous pouvez imaginer la place que ça a pris dans ma vie. Je me suis énormément renseignée, j’ai suivi des protocoles et j’ai commencé à conseiller des proches à ce sujet, sans jamais penser que ça pourrait devenir mon travail. Au service marketing de grands groupes tels que Nestlé ou Herta, j’ai participé à la création de nouvelles gammes de produits en interrogeant les consommateurs - tout en essayant de coller aux enjeux du marché. Ce lien avec les gens que je rencontrais me plaisait, tandis que mon travail, plus vraiment.

Quand je suis tombée enceinte de mon fils, je ne savais plus quoi faire et j’ai négocié une rupture conventionnelle, suivi d’un congé maternité. Cette période où je n’ai rien fait professionnellement n’a pas été simple : j’étais angoissée pour mon avenir et je devais en même temps gérer l’arrivée d’un bébé. Bien évidemment, à cette pression, s’est ajouté le stress financier. Pour ne pas rester sans rien faire et ne pas être un poids pour mes proches, j’ai enchaîné les entretiens d’embauche. J’allais jusqu’au bout des process, mais je faisais systématiquement marche arrière et je refusais les postes qu’on me proposait pour de fausses raisons comme le temps de transport, le salaire, le télétravail... Jusqu’au jour où je n’ai plus eu d’excuses et que j’ai été obligée d’accepter. Mais alors que je finissais ma première semaine dans une agence de pub, un matin, je suis sortie en larmes de ma douche : mon corps me disait de fuir. J’ai eu le réflexe d’écrire sur un bout de papier tout ce que j’aimais, en quoi je pouvais être utile et la nutrition est revenue. J’ai alors réalisé que ma tante avait une entreprise qui accompagnait ses clients par un rééquilibrage alimentaire basé sur le bon fonctionnement du système digestif. Ça a toujours été là sous mes yeux. Il aura fallu plus de 31 ans pour trouver ma voie ! Comme quoi, ça ne sert à rien de se mettre la pression.

Alexandra (1), 38 ans : « J’ai réalisé qu’en plus de blocages, j’avais de vraies blessures dans mon rapport au travail »

J’ai un profil littéraire, mais on m’a toujours répété qu’il y avait plus d’opportunités en sciences, alors je me suis pliée à la volonté de mon père qui allait en ce sens. Il était expert-comptable et commissaire aux comptes, autant vous dire qu’il voulait m’orienter dans un secteur dans lequel je n’aurais pas de difficultés à trouver un travail et qui m’assurerait de bons revenus. Après mon bac, je ne savais pas quoi faire et j’ai choisi l’informatique de gestion à la dernière minute. Après un BTS, mon père souhaitait que je poursuive jusqu’en master 2, ce que j’ai fait. Pendant mes études, je savais déjà que quelque chose n’allait pas : je n’aimais pas ce que j’apprenais, j’esquivais les expériences de terrain, jusqu’à mon stage de fin d’études qui devait valider mon diplôme. J’étais partie au Canada, pour ma dernière année et je me suis retrouvée dans une entreprise d’informatique qui ne me plaisait pas. Je pleurais tous les soirs en rentrant chez moi, je me sentais piégée. J’ai fait une dépression. Quand, à la fin de mon contrat, mon chef m’a convoqué pour me dire qu’on allait s’arrêter là, je me suis effondrée en larmes. Je pleurais mon échec, mais j’étais en même temps très soulagée. Après cette première expérience, je n’ai plus travaillé pendant un an. Il y avait un vide en moi, je tournais en rond, et j’ai fini par rentrer en France.

Une fois installée à Paris, j’ai commencé à développer une phobie sociale. On me demandait toujours ce que je faisais dans la vie et « rien », n’était pas une réponse acceptable. Comme je n’avais pas d’identité professionnelle, c’était un peu comme si je n’avais pas de personnalité. Le temps jouait contre moi, alors, j’ai décidé de reprendre le chemin du travail en abandonnant l’aspect technique et je me suis focalisée sur la gestion de projet. J’ai rapidement trouvé, mais au bout de cinq ans, j’ai fait un burn-out parce que je m’épuisais à travailler dans un domaine qui ne me plaisait toujours pas. J’ai mis du temps à me reconstruire et quand j’y suis parvenue, j’ai décidé de faire encore un pas de côté en devenant consultante. Ça a été jusqu’à ce que j’apprenne à 33 ans que j’avais un cancer du sein, ce qui m’a éloigné un long moment du bureau.

Une fois guérie, j’ai poussé la convalescence au maximum pour éviter de remettre les pieds dans un univers qui était source de stress. J’ai mis ce temps à profit pour faire un premier bilan de compétences. Même si l’expérience ne m’a pas plu, je me suis rendue compte qu’en plus des blocages intérieurs, j’avais accumulé de vraies blessures dans mon rapport au travail. J’ai finalement repris mon poste de consultante à temps partiel, même si les missions ne m’intéressaient pas. Je me suis rendue compte que ça faisait dix ans que j’étais diplômée et que je ne savais toujours pas quoi faire. Aujourd’hui, j’ai démissionné et j’ai enfin décidé de prendre du temps pour moi. J’ai commencé un autre bilan de compétences et je me fait accompagner par un coach perso. Ensemble, on déconstruit toutes mes croyances limitantes. J’essaye d’avancer sans me mettre de pression… On verra bien !

Mélanie, 41 ans : « Ce n’est pas toujours confortable, mais je suis en paix »

J’ai grandi dans une famille ouvrière où personne n’a eu la chance de faire des études. Je suis la première à avoir eu le bac, c’est pour dire. Mais, contrairement à certains de mes camarades, je n’ai jamais vraiment su ce que je voulais faire quand je serai grande. En sortant de mon bac S, que j’ai fait parce que c’était la « meilleure filière », je me suis inscrite un peu par hasard en première année de biologie à la fac. Les études ne me plaisaient pas plus que ça et j’ai donc logiquement foiré ma première année. À côté, je me plaisais beaucoup dans mon petit boulot étudiant en restauration. Ma patronne m’a tout de suite dit que j’avais le potentiel pour manager des équipes, que c’était quelque chose d’assez naturel chez moi. J’ai donc bifurqué dans un parcours administration économique et sociale et j’ai enchaîné avec un master en direction d’entreprise couplé avec Sup de co La Rochelle. J’ai adoré mes études, j’ai obtenu un bac+5 d’une grande école, tout en restant très généraliste. Dans mon entourage, personne ne pouvait vraiment me conseiller ou me donner des pistes pour affiner mon orientation professionnelle. Mon père a quand même essayé en donnant mon CV à la responsable des ressources humaines de l’usine où il travaillait. Elle lui a dit que j’étais trop diplômée.

J’ai tout de même réussi à décrocher un stage en start up comme conseillère en création d’entreprise. Puis, j’ai été au chômage… entrecoupé d’un job de consultante en gestion de projet dans une petite entreprise, où je ne suis pas restée longtemps parce que le patron partait à la retraite et pliait boutique.

Comme je ne savais pas quoi faire, j’ai postulé un peu partout et j’ai fini par décrocher un poste de consultante en développement durable au Conseil général. J’ai enchaîné les projets et j’ai pris la direction d’une équipe. Mon supérieur était dans l’hyper contrôle et me confiais la lourde responsabilité d‘identifier les personnes à licencier… Je bossais minimum douze heures par jour, je n’arrivais pas à déconnecter le weekend. À 33 ans, mon corps a fini par lâcher. Alors que je lisais un contrat sur une tablette, j’ai commencé à voir flou, puis j’ai senti un engourdissement dans le côté gauche. J’ai appris plus tard que mon cerveau avait manqué d’oxygène quelques secondes. Il fallait poser le mot : j’avais fait un AVC. Comme il y avait un plan social à ce moment-là au travail, je n’ai rien dit à mes supérieurs, mais j’en ai informé mes collègues qui me surveillaient. En plus de mon corps, mon mental s’est dégradé : je pleurais tout le temps, je n’avais plus d’énergie. Je me demandais sans cesse qui j’étais, pourquoi j’étais là.

Avec l’aide d’un professionnel, j’ai compris que j’étais HPI et hypersensible. À ce moment-là, j’ai pris une résolution : il fallait que j’arrête de me prendre la tête et que je me concentre uniquement sur les bons moments que je passais avec mes proches. J’ai récemment quitté mon emploi après y avoir passé douze ans. Je ne sais pas encore de quoi sera fait demain, mais ce n’est plus si grave. Je sais ce que j’aime faire et ce pour quoi je suis douée. J’aime me voir comme une prêtresse conteuse qui rassemble des communauté pour défendre des projets à impact. Toutes les personnes qui s’épuisent à chercher du sens à ce qu’ils font questionnent plus leur identité que leur travail en tant que tel. Contrairement à mes parents qui ont fait toute leur carrière dans la même entreprise, je suis multiple. Ce n’est pas toujours facile ni confortable, mais je suis heureuse de l’avoir compris et d’avoir fait la paix.

(1) Le prénom a été changé pour garantir l’anonymat du témoignage.

Article édité par Manuel Avenel ; photo par Thomas Decamps.

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