Comment votre stress au travail rejaillit (aussi) sur vos enfants

05. 2. 2024

6 min.

Comment votre stress au travail rejaillit (aussi) sur vos enfants
autor
Pauline Allione

Journaliste independante.

prispievatelia

Manque d’attention, irritabilité, indisponibilité… nombreuses sont les conséquences du stress au travail qui peuvent rejaillir sur la sphère familiale. Si le/la conjoint·e joue parfois malgré lui/elle, le rôle de punching ball, les enfants ne sont pas en reste. Alors, comment se prémunir autant que possible de ces angoisses liées au boulot, et par la même occasion, éviter de le communiquer à ses proches, à commencer par ses kids ?

Dans une réalité parfaite, les problèmes de boulot s’arrêteraient chaque soir sur le seuil de votre maison. Ils ne s’inviteraient ni aux dîners où vous êtes à moitié présent·e, ni aux soirées plateau-télé où vous ne parvenez à suivre que les cinq premières minutes du film. À moins d’être doté d’une incroyable force mentale, les problèmes du boulot peuvent facilement s’inviter chez vous. D’autant que la frontière entre travail et domicile se voit fragilisée : « L’intensification du travail est prouvée : selon une étude d’Eurofound en 2021, 39 % des Français estiment vivre une situation de travail tendue, ce qui signifie que les demandes sont supérieures aux ressources », contextualise Pauline Rochart, spécialiste du futur du travail et membre du Lab. « Cela induit d’avoir à gérer des clients toujours plus exigeants, de devoir travailler dans des délais plus courts donc aussi sur son temps libre, de devoir se reconnecter après sa journée de travail… » Le phénomène ne va pas en s’amenuisant, puisqu’en 2023, une enquête de l’Institut Montaigne révélait que 60 % des Français interrogés considéraient que leur charge de travail avait augmenté au cours des cinq dernières années.

Les enfants, ces victimes par ricochet du stress parental

À la maison, cette surcharge de travail peut se traduire par de l’irritabilité, de l’indisponibilité ou encore de l’isolement. Autant de dispositions que ceux qui partagent votre foyer peuvent ressentir. « À l’époque, ma compagne me signalait que je n’étais pas vraiment présent ou que je n’étais pas à l’écoute. J’étais effectivement un peu rêveur, parce que ma tête était restée au travail », rembobine Pierre-Yves Pajot Sourisseau, ostéopathe et créateur du podcast Papa parle.
Souvent épargnés par les histoires à rallonge sur les problèmes de taf, les enfants peuvent malgré tout absorber les émotions négatives induites, sans en comprendre la cause. « Les émotions sont faites pour être partagées, elles disent quelque chose de notre état et de nos pensées, rappelle Christophe Nguyen, psychologue du travail et membre du Lab. Ce n’est pas tant la quantité de temps que l’on passe avec ses enfants qui joue sur leur épanouissement et sur la future qualité de votre relation, mais plutôt la qualité du temps que vous leur accordez. C’est-à-dire de l’attention, du jeu, de l’intérêt, de l’écoute… Tout ça demande de ne pas être complètement submergé par les préoccupations du boulot. »

En rentrant du travail, Pierre-Yves se sentait parfois à fleur de peau avec ses quatre garçons : « Les voir courir et glisser dans le couloir m’amusait quand j’étais détendu, mais m’agaçait quand j’étais stressé. Comme j’amenais une énergie négative à la maison, eux étaient plus sensibles et ils pouvaient se chamailler, pleurer ou s’agacer plus facilement. » Une poignée d’années en arrière, à Paris, Céline Méchain se rappelle d’un quotidien au travail éreintant, rythmé par les trajets dans un métro bondé. « Je rentrais fatiguée et tendue à la maison. J’avais plus de difficultés à maîtriser mes émotions et à être à l’écoute de ma fille. Un enfant a besoin d’écoute, de pédagogie, il faut beaucoup se répéter… Après une dure journée de travail, c’est compliqué », admet la DRH et membre du Lab.

Alors, c’est le cercle vicieux : préoccupations et fatigue se superposent, tandis qu’un sommeil agité ne permet pas vraiment de recharger les batteries. La pression peut être d’autant plus forte pour les femmes, sur qui pèsent non seulement les attentes professionnelles, celles liées à la maternité et à la charge mentale, mais aussi celles qui concernent la charge affective. En effet au travail aussi, ce sont elles qui, le plus souvent, s’occupent des tâches relevant du care, bien qu’elles ne fassent pas partie de leurs fonctions. « Je cumulais la pression du travail et celle d’assurer dans mon rôle de mère. Et même si j’essayais d’être à 100 % présente pour ma fille, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à ce mail que je devais envoyer avant de dîner, à tel point que j’étais irritable… Ça créait un cercle vicieux puisqu’elle le devenait à son tour », analyse Céline rétrospectivement.

Les conséquences des émotions négatives « épongées »

Selon votre degré d’indisponibilité et la période sur laquelle celle-ci s’étend, les enfants peuvent effectivement pâtir d’un manque d’attention ou éprouver des difficultés de concentration. Lors de réunions de famille, Céline Méchain se souvient qu’elle remarquait les conséquences de son environnement sous pression sur sa fille. « À côté d’enfants qui grandissaient à la campagne par exemple, la mienne faisait tout rapidement. Ce n’est pas normal de rabâcher sans cesse à un enfant qu’il faut être prêt dans trois minutes, qu’il ne faut pas rater le train dans dix minutes, qu’il faut être devant le portail de l’école à telle heure… »

Les travaux de la psychologue américaine Maureen Perry-Jenkins le prouvent : l’environnement professionnel des parents a effectivement un impact concret sur le développement des enfants. Ainsi, des parents stimulés et soutenus professionnellement se montrent plus créatifs et investis, ce qui se réfléchit positivement sur leur progéniture. « Les enfants peuvent souffrir de solitude, de manque d’étayage dans les discussions que vous pouvez avoir avec eux, ce qui peut se répercuter sur leur développement cognitif et affectif », expose Christophe Nguyen.

Les années passant, le rapport au travail des enfants peut également être influencé selon ce qu’ils ont observé chez leurs parents : surinvestissement, disponibilité constante envers le travail, surengagement… Il reste cependant difficile d’anticiper les conséquences d’une exposition prolongée au stress des parents, puisque celles-ci ne sont pas nécessairement de l’ordre du mimétisme. Dans la mesure du possible, comment éviter de communiquer son stress à ses enfants ? Mieux encore, comment gérer son stress pour éviter de penser « boulot » une fois le soir venu ?

5 conseils pour préserver vos kids de votre stress au travail

Conseil n°1 : planifiez des moments en famille

De la même façon que vous planifiez des réunions au travail, planifiez des temps dédiés à vos enfants : « Instaurer des rituels dans votre agenda permet de mieux équilibrer les temps travail-maison et d’éviter que le boulot ne prenne le pas sur la santé et la vie de famille », rappelle Christophe Nguyen. Quand Céline Méchain a quitté Paris pour un emploi en télétravail à la campagne, elle a enfin relâché la pression. Sa fille l’a d’ailleurs rapidement remarquée. « Avant le Covid, le télétravail n’était pas encore répandu. France 3 était venu réaliser un reportage chez moi. Quand ma fille est rentrée de l’école, la journaliste lui a demandé si elle était contente que je passe mes journées à la maison. Ma fille a répondu qu’elle me trouvait plus calme. Je n’avais pas encore réalisé que ma présence chez nous était bénéfique pour elle. Ça m’a vraiment marquée », confie la DRH.

Conseil n°2 : tenez le travail à distance

Discord, Whatsapp, Gmail… Entre les appels et les notifications qui n’arrêtent pas, le boulot peut aisément s’inviter chez vous. « Dans la mesure du possible, vous pouvez essayer de ne pas vous reconnecter le soir quand vous rentrez à la maison, mais aussi d’éloigner vos outils numériques en présence des enfants pour passer du temps de qualité avec eux », avance Pauline Rochart. S’éloigner du téléphone ou instaurer des limites -en bloquant par exemple les notifications d’une sélection d’applications passée une certaine heure-, permet de s’épargner les sollicitations constantes… et donc d’éviter de replonger dans sa journée de taf en un regard sur son téléphone.

Conseil n°3 : protégez-vous du stress

Si vous vous sentez crouler sous la pression au boulot, votre conjoint, vos amis ou un psychologue peuvent servir de SAS de décompression. « Tenez compte des signaux qui tirent la sonnette d’alarme sur votre stress : insomnies, cauchemars… Pour éviter de tout mettre dans le travail et compenser ces émotions négatives, trouvez vos facteurs de protection et faites des choses qui vous font du bien », conseille le psychologue du travail. Plutôt que de vous isoler et de ruminer vos préoccupations, partez à la recherche d’émotions positives dans d’autres activités : sport, social, associatif, arts… De son côté, Pierre-Yves a appris à gérer son stress grâce à une formation sur l’accompagnement de la libération des perturbations émotionnelles : « C’est un mélange de méditation et de sophrologie qui permet d’observer ses sensations physiques pour se libérer des perturbations, des peurs… Nous avons suivi cette formation avec ma femme et aujourd’hui, on est très détendus. Il n’y a plus grand chose qui nous énerve ou nous stresse. »

Conseil n°4 : combattez le stress grâce à vos enfants

En parlant de facteurs de protection, vos enfants sont un excellent moyen de rééquilibrer la balance émotionnelle. « Les enfants peuvent vous permettre de contrebalancer les toxines négatives de votre corps liées à votre stress et à l’énergie que vous dépensez, explique Christophe Nguyen. Bien sûr, cela peut devenir une spirale négative si vous communiquez votre stress à vos enfants. Mais appréhender autrement le temps passé avec eux, leur accorder du temps et les voir grandir constitue un facteur de protection précieux. »

Conseil n°5 : interrogez votre environnement professionnel

Les situations de stress, de surmenage ou d’anxiété trouvent sont bien souvent causées par l’environnement professionnel. Si votre travail se répercute sur ceux qui partagent votre vie, il peut être bon d’interroger votre sphère professionnelle. « Selon le rôle que l’on a dans l’entreprise, on a parfois l’impression de devoir faire telle et telle tâche, de devoir se montrer sur-engagé, sur-disponible… Cela peut mener à travailler le week-end, à ne jamais poser de congés quand les enfants sont malades, à ne pas se rendre disponible pour eux…, constate Pauline Rochart. Il faut déconstruire cette vision du travailleur idéal et réinterroger les attentes que nous plaçons dans notre rôle au travail, quitte à faire un travail d’introspection. » Les attentes professionnelles, tout comme les moyens mis à disposition au travail, peuvent faire l’objet de discussions avec votre N+1, vos collègues ou vos ressources humaines, afin de trouver des solutions ensemble.

Rassurez-vous, vos enfants ne deviendront pas des monstres colériques à cause des tensions induites par votre boulot. Mais pour éviter qu’ils ne pâtissent de vos émotions négatives à plus ou moins long terme, il s’agit de trouver les moyens adéquats pour évacuer votre stress et préserver votre temps de famille. Et surtout, de passer du temps qualitatif avec eux.

Article édité par Mélissa Darré, photo par Unsplash.

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