Rallumer la flamme : ils et elles ont repris goût au travail, ils témoignent

27 mars 2023

7min

Rallumer la flamme : ils et elles ont repris goût au travail, ils témoignent
auteur.e
Manuel Avenel

Journaliste chez Welcome to the Jungle

contributeur.e

Désengagé·es, parfois contraints au service minimum, voire démissionnaires… Ces salarié·es se sont, au cours de leur vie professionnelle, mis en retrait de leur travail par manque de reconnaissance, à cause d’un management problématique ou d’une perte de sens. Ils nous expliquent comment, au bout de cette période de désengagement, ils ont finalement réussi à renverser la vapeur et à retrouver la flamme dans leur travail.

Colombe, 30 ans - account manager : « J’avais besoin d’être challengée sur de nouveaux sujets »

J’ai décroché mon premier CDI après mon stage de fin d’études. Très vite, je suis passée de la petite stagiaire de l’ombre à un poste à responsabilités, une ascension hyper excitante pour moi. Et pour cause, ma manageuse partait en congés maternité et il fallait lui trouver une remplaçante. J’ai donc repris à cent pour cent ses missions. C’était assez dingue de passer des tableaux de reporting à un rôle qui impliquait des relations avec les clients et les autres départements de la boîte. Le rêve ! Mais quand ma boss est revenue de son congé, elle a repris le contrôle total de ses prérogatives. Et je me suis retrouvée avec moins de responsabilités. Je suis revenue à un rôle de simple analyste qui me captivait et me stimulait beaucoup moins.

Rapidement, j’ai eu le sentiment d’une mise à l’écart sur certains sujets. J’ai commencé à m’ennuyer et j’ai décroché. Et comme ça faisait déjà une bonne année que j’étais dans cette boîte, je pensais en avoir fait le tour. Mon degré de désengagement ? C’est simple, je me rendais au bureau, je faisais mon job rapidement car j’en connaissais les missions par cœur, puis je passais en mode recherche, en multipliant les envoies de candidatures pour trouver un nouveau job. La boîte était déjà full staffée, on ne recrutait pas, comment aurais-je pu évoluer ? Je ne me faisais pas d’illusions.

Au bout d’un moment, ma perte de motivation a dû se faire sentir, car ma manageuse m’a proposé un entretien pour trouver une solution. Je ne lui ai pas dit ouvertement que je m’ennuyais, ça aurait été mal perçu, mais plutôt que j’avais envie de bosser et d’être challengée sur de nouveaux sujets. Et j’ai été entendue. Sans aller jusqu’à une mobilité interne, j’ai commencé à développer des side project au sein de la boîte. J’ai par exemple été missionnée pour m’occuper de tout ce qu’on appelle les pop-up, des boutiques éphémères dont se servent les marques pour tester leurs nouveaux produits ou pour lancer une collection. Je chapeautais ce projet et ça me permettait de travailler avec toutes les galeries et les managers d’autres équipes. C’était vraiment cool et ça m’a permis de me remotiver car j’étais vraiment lead sur ce sujet.

Six mois plus tard, comme je commençais à maîtriser pleinement mes missions, j’ai une nouvelle fois commencé à tourner en rond. On m’a alors confié de nouveaux challenges et c’est finalement le covid qui a mis fin à cette activité, car le business faisait moins 80% et qu’il n’y avait plus de job. Au total je suis restée trois années plutôt qu’une et je ne le regrette pas. Plusieurs expériences et un bilan de compétences plus tard, les choses n’ont pas changé : je connais les conditions qui me permettent d’être épanouie dans un travail, et je fais tout pour les retrouver : l’apprentissage constant, le fait d’être challengée, et surtout l’impression d’évoluer.

Franck, 32 ans - journaliste : « Pour m’engager, je dois pouvoir faire de la qualité, exercer un métier qui me ressemble »

En juillet 2021, je suis arrivé dans un grand groupe de presse pour le deuxième emploi de ma carrière. Auparavant JRI (Journaliste reporter d’images) dans le public, ce poste de responsable éditorial dans un média que j’aimais beaucoup, m’attirait. Certes, j’avais eu vent de problèmes en interne, mais avec l’arrivée d’un nouveau directeur de pôle, une nouvelle dynamique devait remettre la qualité au centre d’un projet qui me parlait. Et au début ça se passait très bien, le job me plaisait, travailler pour une belle marque était intéressant. Les choses ont commencé à se gâter quand la personne qui m’avait embauché s’est fait virer et que son adjointe a pris sa place en tant que responsable du pôle. En toute franchise, elle ne connaissait rien au domaine. On avait alors des ambitions complètement à côté de ce qu’on était en capacité de mettre en place. La seule chose qui l’intéressait c’était le chiffre et que l’objectif de visiteurs par jour soit atteint.

De là, mon équipe et moi avons commencé à subir beaucoup de pression. Chaque personne devait produire cinq articles par jour. C’était impossible. Et forcément, nous n’étions pas à la hauteur de ces attentes démesurées. En guise de remontrance, la responsable traçait des petites croix rouges sur un tableau pour chaque journée où l’objectif n’était pas atteint. Pratique très infantilisante et totalement démotivante. Pour suivre la cadence, nous en étions réduit à faire des copier-coller de communiqués de presse et je n’avais même plus le temps de relire les articles. Ce qui était la base de mon boulot. Bref, on perdait le sens de notre travail. Et tout était de ma faute, car je ne “contrôlais” pas assez mes équipes, moi le manager “trop gentil”… C’est le jour où nous sommes passés dans un open space commun avec les autres équipes du média que j’ai compris que cela n’avait rien d’un problème personnel, car les conditions étaient partout les mêmes : turnover de malade, pots de départ toutes les semaines, nouveaux arrivants qui déguerpissent dès leur période d’essai terminée…


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Je me suis désengagé pour me protéger car je n’arrivais plus à suivre le rythme. Mes colocs et ma copine s’inquiétaient de me voir bosser 4 à 5h tous les jours du week-end pour valider mes objectifs. J’ai fait une saison de merde au badminton car je manquais les entrainements. Je n’étais pas loin de partir en burn-out et l’expérience m’a vraiment tué personnellement. Ça ne valait plus le coup de se battre. Alors, j’ai lâché prise et commencé à faire semblant. Je venais aux heures de bureau, mais pour faire le minimum voire moins. Par exemple, je remplissais la grille de publication avec des articles qui n’étaient pas publiés, pour qu’à la fin de la période on me foute la paix et que je puisse dire que mes “objectifs” étaient atteints. Si ma cheffe s’en rendait compte, je prétextais un bug du site. Ce qui a marché une fois, deux fois, trois fois, a fini par ne plus fonctionner. J’ai tenu pendant un an dans ce job pour ne pas que cela fasse tâche sur mon CV et j’ai donné ma démission dès que j’ai eu la validation d’un entretien d’embauche, passé en off. Après mon départ, quasiment toute mon équipe est partie.

Aujourd’hui consultant en relation presse, j’ai accepté de baisser mon salaire pour un cadre de vie plus familial, dans une agence à taille humaine. Pour moi désormais, les conditions pour que je m’engage dans mon travail sont claires : je dois pouvoir faire de la qualité, exercer un métier qui me ressemble. Si je ne suis pas fier du résultat de ce que je fais, je vais avoir du mal à me regarder dans une glace et je n’ai pas envie d’avoir honte. D’autres critères se sont révélés importants : l’ambiance et le bien-être, être intégré dans une équipe qui se soutient et avoir un bon manager. Un rôle qui s’apprend mais qui n’est pas donné à tout le monde.

Halima, 38 ans - juriste : « C’est la confiance qui permet une autonomie et une forme d’indépendance qui pousse à s’investir davantage »

En 2013, je débute ma vie pro de juriste sous les meilleurs auspices au sein d’une mutuelle. Un CDI en poche, un métier passionnant, bref, tout pour me plaire. Ou presque. Après un changement de responsable au sein du service, la situation s’est doucement dégradée et mon rapport au travail s’en est trouvé bouleversé. Globalement, il y avait un manque de reconnaissance dans cette entreprise. Quand on est très impliqué dans son travail comme je le suis et qu’on essaye d’être force de proposition, mais qu’on se fait systématiquement taper sur les doigts, ou recadrer, et bien, il devient difficile de s’investir. Pleine de bonne volonté, j’étais sans cesse coupée dans mes élans.

Spécialisée dans le dommage corporel, je m’occupais de la gestion des victimes d’accident. Je proposais donc des idées pour mettre en place certains leviers dans le domaine judiciaire pour aider ces personnes. Mais systématiquement, la responsable de l’époque les mettait tout de suite de côté. Mes propositions n’’étaient même pas discutées, on ne les prenait tout simplement pas en compte et on passait à autre chose. C’était très frustrant. Ça a été une désillusion de m’apercevoir que cette boîte employait des formes de management archaïques, avec une information uniquement descendante. Cette mentalité qui ne conçoit pas que les petites mains puissent avoir des idées inspirantes et que tout ne dépende pas uniquement des grands responsables. À rebours des valeurs mutualistes d’entraide et de solidarité prônées par ce groupe. Un beau baratin ! La vérité c’est qu’ils voulaient que leurs salariés restent à leur place, dans l’exécution. Et qu’ils n’aient pas cette volonté d’évoluer ou de contester les décisions. C’était inenvisageable pour moi.

Cette situation m’a incitée à, je ne dirais pas faire le stricte minimum, mais presque. La seule chose qui me maintenait c’était l’engagement qui me liait à mon contrat… et donc à ma rémunération. Mais il y avait dès lors un fort détachement intellectuel et moral de ma part vis-à-vis de mon travail. Je n’avais plus envie de me rendre au bureau, mais j’y allais. Et surtout, je n’avais plus cette envie d’avoir des idées et de les mettre à disposition de mon employeur. C’était comme un processus insidieux qui se mettait en place et qui consistait à me brider moi-même. C’était une période très compliquée pour moi, car j’aime évidemment mon métier.

Au bout de plusieurs mois à subir passivement, j’ai décidé de mettre mon énergie dans la reprise d’études, pour obtenir en parallèle un Master 2 de droit privé. Mais cela a été mal pris par ma hiérarchie. Dans l’idée, ce n’était pas forcément pour partir, mais plutôt pour développer ma légitimité. J’ai donc validé mon diplôme, mais le climat devenait irrespirable avec ma responsable qui ne voyait pas d’un bon œil mon désir d’évolution. Elle m’a tout simplement retiré le peu de missions qui me restaient. Je n’avais plus de boulot, quand mes collègues étaient tous bien occupés. Après des discussions stériles, j’ai décidé d’en référer à sa hiérarchie. Et c’est là que mon aventure a pris une tournure beaucoup plus grave. Au détour d’un entretien sans témoin, cette manager m’a accusée de l’avoir frappé et j’ai été mise à pied puis licenciée pour faute grave sans autre forme de procès. Les agissements de ma responsable à mon égard, je les qualifierais tout simplement de harcèlement moral. J’ai contesté ce licenciement devant le conseil des prud’hommes, et après deux longues années de procès, j’ai obtenu gain de cause.

Un moment difficile de ma vie. Depuis, j’ai fait le choix de travailler avec des entreprises qui avaient vraiment des valeurs communes aux miennes. Loin du micro management où les responsables sont sur le dos de tous les salariés, j’accorde aussi beaucoup d’importance à la confiance. Elle permet une autonomie et une forme d’indépendance qui pousse à s’investir davantage. C’est un cercle vertueux. Enfin, dans mon parcours professionnel, ma valeur cardinale c’est le respect de la personne. Parce qu’avant d’être des salariés, nous sommes des êtres humains. Et à mon sens on ne doit pas brader nos valeurs pour un emploi, parce qu’un jour ou l’autre, on s’en mord les doigts.

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Article édité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ

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