Le « recrutement circulaire », la méthode pour éviter de tourner en rond ?

20 févr. 2024

3min

Le « recrutement circulaire », la méthode pour éviter de tourner en rond ?
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

contributeur.e

Le recrutement circulaire émerge comme une alternative à la pénurie de talents. Ce mouvement, fondé sur l’entraide et la recommandation, accélère la redistribution des compétences dans les circuits de recrutement opérant encore en silo.

Face à un taux de chômage atteignant 7,4 % de la population active en France au troisième trimestre 2023 (en augmentation de 0,2 point sur un an), la question de l’accès à l’emploi demeure cruciale. Cela passe, entre autres, par une plus grande visibilité et fluidité du « vivier » de compétences auprès des employeurs. Or, les méthodes traditionnelles de recrutement, parfois chronophages et compétitives, entravent leur circulation naturelle, nécessitant une réinvention des processus. Initié en juin 2023 par Baptiste Privé, président du Cercle Pépites et fondateur de la startup lyonnaise Huggy, le recrutement circulaire propose une approche à l’opposé du jeu à somme nulle : « Nous avons créé un groupe fondé sur la redistribution et la recommandation des personnes “non retenues” lors d’un recrutement afin de réduire le “gaspillage” de candidatures ».

Cette logique, inspirée de l’économie circulaire, semble répondre à une demande de changement de paradigme RH – et plus largement sociétal – puisque le mouvement compte déjà 350 organisations privées ou publiques. Elsa Le Duigou, responsable des ressources humaines de Pro Urba, a rejoint cet écosystème dans cette perspective : « Savoir que l’on peut aider concrètement un candidat dans son parcours professionnel, tout en facilitant les recrutements d’autres entreprises, cela a une vraie utilité collective, à la fois économique et sociale ». Mais comment fonctionne l’entraide ? Quels sont les apports et les freins potentiels ? Et en quoi cela forge-t-il un nouveau rôle pour le recruteur de demain ?

Recrutement circulaire : approche et mode de fonctionnement

Derrière le recrutement circulaire, se trouve une plateforme qui permet aux entreprises de recommander des candidats non retenus lors de leurs processus d’embauche. « En seulement 1 minute 30, les recruteurs peuvent partager des profils de qualité, sans recourir à des critères de profilage, mais plutôt en se basant sur leur ressenti et leur volonté d’aider autrui », explique Baptiste Privé. Ce qui signifie qu’il n’y a ni algorithme ni IA pour modéliser les recommandations ou les mises en relation : « Nous croyons en l’intelligence collective avant tout. Ce sont des personnes – RH ou managers – qui, avec l’accord du candidat, émettent une recommandation. Celle-ci est ensuite rendue accessible aux entreprises membres ». Huggy, l’opérateur économique associé au mouvement, propose d’aller un cran plus loin : son rôle est de mettre en lien les candidats « en circuit » et pré-qualifiés par le collectif avec des entreprises ciblées. « Nous parvenons à créer des ponts en apparence inattendus alors qu’ils sont pertinents professionnellement et culturellement parlant. »

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Des premiers résultats tangibles

En encourageant la coopération naturelle, cette initiative vise à créer un écosystème où les candidats disposent de plus d’opportunités pour rebondir… et plus vite. Les premiers résultats sont encourageants, « avec certains recrutements réalisés en moins de 16 heures et une réduction significative des délais de recherche d’emploi, ce qui est important pour la confiance en
soi
», souligne Baptiste Privé. Cette démarche « anti-gaspi » permet de lever certaines barrières liées au CV traditionnel telles que la recherche d’expériences ou de compétences similaires. De plus, la transférabilité des aptitudes se met naturellement en place grâce à une attention plus grande portée aux soft skills.

« Le recrutement circulaire nous oblige à repenser positivement nos manières d’embaucher. On ne cherche pas un CV mais une personnalité avec des savoir-être qui seront alignés avec notre ADN », souligne Elsa Le Duigou

Elsa Le Duigou a notamment recruté deux personnes depuis son adhésion. La plateforme se positionne également comme « un passeport pour l’employabilité » : les entreprises peuvent recommander les salariés en fin de contrat (CDD, alternance…) afin d’assurer une continuité dans l’emploi. Des effets de bord positifs commencent à émerger au sein de l’ensemble du territoire avec l’aide des acteurs publics : « L’Apec nous transmet régulièrement des candidatures et un partenariat est en cours de discussion avec France Travail afin de pallier les tensions de recrutement dans certains secteurs ou métiers », explique Baptiste Privé.

Recrutement circulaire : la guerre des talents n’aura pas lieu ?

Le pari de cette approche repose sur la volonté des entreprises de s’inscrire dans un recrutement collectif plutôt que
compétitif
: « Dans l’intention, on sent que les entreprises sont prêtes et volontaires. Pour embarquer les plus sceptiques, nous mettons en avant les gains réciproques des recommandations », ajoute Baptiste Privé. Pour transformer les mentalités et la culture souvent agonistique autour du recrutement actuel, distiller un nouveau vocabulaire est crucial : « Cessons de parler de la guerre des talents, parlons de paix des talents en établissant un modèle collectif et vertueux ». En optant pour une redistribution des talents, l’entreprise joue son rôle d’intégrateur social via l’emploi, l’un des piliers de la RSE (responsabilité sociale des entreprises) : « À cet égard, nous fournissons des indicateurs qui permettent aux organisations de mesurer de manière tangible leur impact : le nombre de partages effectués, les entretiens générés… ».

Recruteur circulaire : un nouveau métier à « impact » ?

Au-delà d’un nouveau processus, le mouvement circulaire du recrutement n’est-il pas en train de redéfinir le rôle même du recruteur dans « la cité » ? De pourvoyeur de talents, il devient un coach et un facilitateur de carrière. « Je ne parlerais pas d’une révolution mais peut-être plus d’une évolution car nous avons surtout structuré à plus grande échelle des logiques de réseau existantes », insiste Baptiste Privé. Le mouvement a vocation à élever le recrutement à une échelle plus significative. Chaque interaction contribue à créer des effets multiplicateurs et des opportunités pour tous les acteurs impliqués. Le recrutement circulaire compte atteindre 1000 entreprises participantes d’ici à la fin de l’année 2024. La finalisation d’une charte de bonnes pratiques permettra de formaliser les engagements des employeurs et de renforcer l’adhésion.


Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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