« Dans l’idéal, la mobilité de demain serait choisie, frugale »
03 mars 2021
4min
Photographe chez Welcome to the Jungle
Rédactrice
Depuis plus d’un an, nous assistons à un véritable chamboulement des rythmes de travail. Dans le cadre de notre Observatoire annuel des Rythmes de Travail, nous avons rencontré Bruno Marzloff, à la fois sociologue, fondateur du cabinet de prospective Chronos et président de la Fabrique des Mobilités, pour s’exprimer sur les enjeux de la mobilité à l’heure de la crise sanitaire, et nous partager ses conseils.
Découvrez le replay de notre Table Ronde sur la flexibilisation des rythmes de travail :
WTTJ : La crise sanitaire a-t-elle accéléré des tendances de mobilité pré-existantes ?
Bruno Marzloff : Depuis le début de la crise, l’une des tendances de mobilité les plus frappantes est l’accélération du quotidien à distance, c’est-à-dire la réalisation croissante de tâches à distance, dont une part à domicile et d’autres en proximité. Celle-ci est incarnée par la hausse spectaculaire des téléconsultations médicales, qui sont passées de 2% avant mars 2020 à plus de 20% entre mi-mars et fin avril. L’Institut Paris Région (IPR) a calculé que cela représentait entre 400 000 et 500 000 déplacements en moins en Île-de-France. La généralisation du télétravail a aussi contribué à réduire les déplacements et à instaurer un peu plus un mode de vie « à distance ». Au-delà des évitements de déplacement, la crise sanitaire a bouleversé nos habitudes de mobilité, entraînant, surtout dans les milieux urbains, une baisse de la fréquentation des transports en commun (due à la crainte des contaminations) et une explosion de la marche et du vélo. D’une manière plus générale, la santé, devenue un enjeu prioritaire, dicte ses injonctions. Un engouement pour les mobilités douces, actives et non polluantes n’a rien de nouveau mais prend plus d’ampleur depuis la crise, menant même à l’élargissement de la place accordée à ces mobilités-là dans l’espace public. Enfin, la crise sanitaire consolide les flux de migration des villes vers les campagnes que l’on observait déjà avant la pandémie. Lors du premier confinement, c’est près de 17% de la population de Paris qui ont quitté la capitale. Une « démétropolisation » qui symbolise un rejet latent des grandes métropoles et de leurs excès (pollution, bruit, manque de nature…) au profit d’une qualité de vie meilleure dans des villes petites et moyennes.
« Cette transformation du travail va avoir une forte incidence sur l’évolution des mobilités. »
Quelle incidence le télétravail va-t-il avoir sur la mobilité de demain ?
B.M. : Le télétravail s’impose tant il présente d’atouts, à condition bien sûr de ne pas l’enfermer dans un mode covid, c’est-à-dire dans un travail à domicile imposé et à temps plein. Un équilibre raisonné entre du travail à distance et du présentiel, au siège ou ailleurs, correspond mieux à la réalité de notre société, qui est aujourd’hui dominée par les services et non plus par l’industrie. En plus, il apporte des réponses aux congestions des villes, puisqu’il permet de réduire (ou d’étaler) les déplacements liés au travail. Ces réponses permettent de mieux équilibrer les sphères privées, professionnelles, familiales et sociales, sans compter les gains de productivité – ne serait-ce que par l’économie du temps de transport ou les moindres coûts de l’immobilier. Si le mouvement vers le télétravail est bel et bien irréversible, la question est de savoir combien de temps va durer la résistance. Depuis l’ère fordiste, l’organisation du travail dicte l’organisation de l’offre de transport. Les transports suivent la même temporalité que celle du travail : ils sont calés sur les heures d’embauches et de débauches, définissant de facto les heures de pointe… Ainsi, le travail sera la pierre angulaire de la transformation des mobilités, s’il doit y en avoir une. La responsabilité de la réorganisation du travail sera considérable, générant sans doute des tensions entre les différents acteurs (entreprises, syndicats, État…).
Quels sont les enjeux de la mobilité ? Et comment les entreprises peuvent-elles y répondre ?
B.M. : Les derniers Observatoires de la mobilité, réalisés chez Chronos en partenariat avec l’ObSoCo (Observatoire Société & Consommation), démontrent que les attentes d’une part majeure de la population sont de réduire l’intensité des déplacements carbonés, de rééquilibrer les mobilités subies et les mobilités choisies (réduire les mobilités imposées pour profiter au mieux des mobilités choisies), d’améliorer la qualité de ces mobilités (en termes de proximité, de santé, de respect de l’environnement) et d’avoir une plus grande autonomie de mobilité. Cela se traduit entre autres par plus de marche à pied ou de vélo. En revanche, beaucoup d’usagers·ères disent ne pas vouloir reprendre les transports en commun, même après la crise, car ceux-ci sont synonymes de rythme de travail tendu et font échos au traumatisme du covid. Dans l’idéal, la mobilité de demain serait choisie, frugale, orientée sur les proximités et dominée par les modes actifs. Elle sera aussi numérique et servicielle, ce qui impose de passer par des actions à distance (et c’est là que le numérique aura un rôle clé à jouer). Mais tout cela ne restera qu’une utopie si les instances publiques et les entreprises privées ne sont pas attentives aux désirs des usagers·ères et aux injonctions environnementales. Enfin, ce serait une erreur de croire que les solutions se trouvent dans les transports eux-mêmes. Le paradigme gagnant sera celui qui mettra les mobilités au service d’un mode de vie souhaitable et non l’inverse.
« Dans l’idéal, la mobilité de demain sera choisie, frugale, orientée sur les proximités et dominée par les modes actifs »
La solution est-elle donc à chercher du côté de la démobilité ?
B.M. : Il est clair que depuis quelques années nous assistons à une croissance démesurée des mobilités. Depuis 1950, la population française a crû de 50% et le kilométrage parcouru a, lui, été multiplié par mille. De même, en vingt ans seulement le parc automobile a augmenté de 50%. La demande ne cesse de courir après l’offre. On est dans un hiatus de 1 à 20 entre les évolutions respectives de la démographie et des mobilités. On n’a jamais remis en question cette doxa de la croissance des mobilités et on continue à croire que les transports sont la solution. En réalité, il nous faudrait prendre du recul et envisager le problème sous l’angle de la démobilité. Chercher à réduire, effacer, apaiser et étaler les mobilités. Le concept de démobilité a le potentiel d’inverser la croissance irraisonnée des mobilités. Au-delà de cela, c’est une invitation à l’innovation : inventer d’autres manières de travailler, d’habiter, de vivre ensemble… La mobilité reste un espace de liberté, et donc d’autres choix doivent être proposés. La notion de choix raisonné, derrière le concept de démobilité, est particulièrement intéressante pour réimaginer des solutions plus en phase avec nos attentes, nos aspirations et nos préoccupations environnementales. Cela fait l’objet désormais de multiples initiatives, notamment des territoires. La Fabrique des Mobilités a lancé il y a un an un Manifeste de hubs de [dé]mobilité. L’Ademe lance bientôt un AMI (Appel à manifestation d’intérêt) sur ce sujet. D’autres initiatives prennent corps, comme celle de MobiliTerre. Les entreprises doivent aussi prendre part à cette réflexion, pour s’accorder au ralentissement des déplacements motorisés, imaginer des bureaux, favoriser d’autres modes de travail, d’autres rythmes qui aillent dans ce sens.
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En savoir plusPhoto by Thomas Decamps pour WTTJ
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