« Le futur du travail est le rassemblement de communautés différentes »

25 mai 2018

8min

« Le futur du travail est le rassemblement de communautés différentes »
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De plus en plus d’entreprises font appel à des freelances, ces derniers sont de plus en plus nombreux, et l’entreprenariat est plus fort que jamais. A l’aune de ces changements, on pourrait penser que l’individualisme est de plus en plus présent dans notre société. Et pourtant, il y a un réel besoin de créer des communautés entre les gens. Que sera le futur du travail dans quelques années ? Comment vont évoluer les pratiques ? Nous nous sommes entretenus avec Anthony Gutman, le co-fondateur avec Hanane El Jamali des communautés de coworkingRemix.

Anthony Gutman et Hanane El Jamali - © Pierre Bdn

Pourquoi avoir créé un espace de coworking alors qu’il y en a déjà beaucoup à Paris ?

Anthony Gutman : On a beaucoup voyagé avec Hanane, pour voir comment le fait communautaire s’exprimait à travers le monde. On est allés à Detroit, Kansas City, Lisbonne, Tel Aviv… Et on a remarqué que les lieux de rassemblement de personnes différentes se ressemblaient. À notre retour à Paris, on a décidé de créer des communautés de travail. L’idée, c’était de répondre au changement de société que l’on a observé.

C’était des signaux faibles en 2008-2010, mais plus maintenant. C’était une révolution silencieuse dans le sens où les gens ne sont pas descendus dans la rue pour dire qu’ils voulaient être en communauté. Les gens ont commencé à ne plus avoir peur d’aller affronter seuls des entreprises. Aujourd’hui, toute une population n’est plus manageable comme avant, les gens sont plus indépendants, autonomes.

Aujourd’hui, toute une population n’est plus manageable comme avant, les gens sont plus indépendants, autonomes.

En ce moment, tout le monde est dans une espèce de quête identitaire personnelle, mais nous on pense qu’il ne faut pas chercher à définir les gens par ce qu’ils sont, on pense qu’il faut réunir les gens, peu importe leurs différences. On pense que les gens doivent faire des choses ensemble, travailler ensemble, réfléchir ensemble.

Vous prônez l’idée de la communauté, quelle définition lui donnez-vous ?

Nous, on se base sur la définition de la communauté du sociologue Michel Maffesoli. Il dit que la communauté est d’abord basée sur le partage de goût et d’expérience. Pour nous, ça commence là. Une communauté, ce n’est pas forcément « faire corps, demander un engagement total ». Une communauté, ce sont des gens qui se réunissent et qui partagent des choses parce qu’ils en ont envie, parce qu’ils ont les mêmes valeurs et la même vision. Aujourd’hui, la vie n’est pas centrée autour du travail, mais plutôt autour de l’individu, de ses envies et ses choix. Quand une communauté n’est basée juste qu’autour du travail, c’est un réseau ; ce n’est pas une communauté. Une communauté, c’est lorsqu’au moins deux personnes partagent des choses.

Une communauté, ce sont des gens qui se réunissent et qui partagent des choses parce qu’ils en ont envie, parce qu’ils ont les mêmes valeurs et la même vision.

Qu’est-ce que qui explique ce besoin de faire partie d’un groupe selon vous ?

Ce fait communautaire est pour moi le fait structurant d’un monde nouveau qui est en train d’émerger. Ce ne sont pas espaces de coworking qui vont révolutionner le monde du travail, car les bureaux existent depuis toujours et les gens vont toujours avoir besoin de lieux pour travailler ; mais c’est le fait que les gens se regroupent pour travailler. Dans le bureau d’une entreprise, les gens travaillent ensemble avec d’autres personnes qui font la même chose qu’eux. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant. Les communautés de coworking qu’on a créé permettent à différents corps de métier de travailler ensemble sur des projets complètement différents.

Quelles sont les nouvelles valeurs importantes dans le travail aujourd’hui ?

Un monde ancien est mort, et un monde nouveau se reconstruit sur de nouvelles bases. Le sens, les valeurs, l’indépendance, l’autonomie et la liberté sont des éléments très importants, capitaux même. Et ça devient même plus important que réussir dans la vie, et gagner plein d’argent. Pour ces valeurs là, les gens vont préférer gagner moins, mais faire des choses qui leur plaisent. L’exode des parisiens vers Bordeaux, ce n’est pas une anecdote, ce n’est pas juste le TGV qui fait que les gens vont à Bordeaux, c’est parce que les parisiens en ont marre de se sentir en insécurité, de se sentir pris en otage avec les transports, d’avoir peur de la pollution… Et tout cela s’inscrit en réaction à trop d’individualisme et donc le besoin de se regrouper.

Pour le sens, les valeurs, l’indépendance, l’autonomie et la liberté les gens vont préférer gagner moins, mais faire des choses qui leur plaisent.

Toutes les démarches durables, les comportements économes ; ce ne sont pas des démarches uniquement économiques, c’est aussi un besoin d’écologie, de mieux vivre, et d’améliorer ses conditions de vivre. Ce que je veux dire, c’est qu’on comprend qu’il y a de nouvelles façons de travailler lorsqu’on comprend qu’elles sont relatives à un nouveau monde qui est en train d’émerger. Ce nouveau monde n’est pas très bruyant, mais il commence à s’installer, et de monter en puissance.

Pourquoi, alors qu’il n’y a jamais eu autant de freelances, on parle autant de communautés ?

Lorsqu’on est travailleur indépendant, c’est parce qu’on veut travailler seul, mais c’est pas pour autant que ça signifie qu’on veut rester seul. Au contraire, on peut vouloir travailler de manière indépendante, et pourtant ne pas travailler seuls, d’où la nécessité de créer des communautés de coworking. Les freelances travaillent de manière indépendantes, mais veulent parfois être dans des environnements où il y a des gens qui sont très différents dans les activités, l’âge ou la provenance géographique, mais par contre, qui vont partager quelque chose de l’ordre de la vision, de la quête de sens, des valeurs…

Les freelances travaillent de manière indépendantes, mais veulent parfois être dans des environnements où il y a des gens qui sont très différents d’eux.

La communauté du Remix Coworking

Qu’est-ce qui a changé dans les valeurs du travail, entre hier et aujourd’hui ?

Aujourd’hui, et de plus en plus, les gens ont d’abord besoin de se faire confiance avant de vouloir travailler ensemble. Le travail n’est plus LA grande chose à réaliser dans la vie, l’important est à côté. Il y a 20 ans, on bossait avec des gens, puis on apprenait à les connaître, c’était les fameux “déjeuners d’affaire”. Aujourd’hui, c’est le contraire. Quand les gens bossent ensemble sans se connaître, ça ne se passe jamais hyper bien. Par contre, quand ils apprennent à se connaître, ce qui est une des vertus de la communauté, qu’ils se font confiance, qu’ils partagent des valeurs, qu’ils savent comment ils bossent, à un moment on se dit, oui j’aimerais bien bosser avec toi. Aujourd’hui, être bien avec ses collègues, c’est très important, et ça le sera de plus en plus.

Est-ce que le modèle start-up où tout le monde s’entend bien, est le modèle qui sera dominant dans le futur monde du travail ?

Dans la culture start-up, il y a aussi quelque chose de l’ordre de l’hyper capitalisme. Il y a des start-up où les mecs savent qu’il faut être à la cool, qu’il faut être sympa, qu’il faut être dans de bonnes dispositions d’esprit, mais pour autant il y a des personnes que cette culture pollue, qui n’aiment pas ça, qui ne sont pas dans le délire. Et moi, je pense que s’il n’y a qu’une chose à valoriser, c’est l’authenticité. Il y a pas mal d’articles intéressants sur la culture nounours qu’on a dans pas mal de start-up. Mais ça moi j’y crois pas. Il faut que les gens soient réellement comme ils sont. Et ça c’est aussi une des clefs de compréhension de ce monde là.

Il y a pas mal d’articles intéressants sur la culture nounours qu’on a dans pas mal de start-up. Mais ça moi j’y crois pas. Il faut que les gens soient réellement comme ils sont.

Qu’est-ce qui fait que ça fonctionne au sein des Remix Coworking ? Qu’est-ce qui fait une bonne communauté ?

Il y a un art à mélanger les personnes, à composer une communauté. Comme dans une soirée, on ne mélange pas sa mère, ses potes et son banquier. C’est la même chose avec les communautés de coworking. C’est pourquoi au Remix, on a un process de sélection. On est les seuls à faire ça d’ailleurs.

Espaces de travail en communauté au Remix Coworking

Quels sont vos critères ?

On a un process de sélection qui est basé sur tout un tas de critères, c’est un corpus méthodologique qui fait des centaines de pages. Ce que l’on veut, c’est voir ce que les gens sont capables et ont envie de faire pour la communauté dans laquelle ils vont rentrer. Bien sûr, les gens sont d’abord là pour travailler, pour réussir leur travail etc… On est du coworking. Par contre, si quelqu’un arrive et nous dit qu’il en a rien foutre de la communauté, on ne le prendra pas. On prend des gens qui partagent une vision et des valeurs, et qui ont une capacité à s’engager.

Ce que l’on veut, c’est voir ce que les gens sont capables et ont envie de faire pour la communauté dans laquelle ils vont rentrer.

Est-ce que vous avez l’impression que les gens pourraient s’induire en erreur en pensant que l’entrepreneuriat est le futur du travail ?

Oui je pense que c’est un leurre pour plusieurs raisons. Cette explosion du monde ancien fait qu’il y a beaucoup plus d’entrepreneurs qu’avant. Mais je pense aussi que tout le monde n’est pas fait pour être entrepreneur. Il faut bien différencier les indépendants des entrepreneurs. Personnellement, je pense que dans les années à venir, il va y avoir une force de travail indépendante beaucoup plus importante. Par contre, quand on parle d’entrepreneur, on parle de quelqu’un qui a une vision, qui a envie de présenter un nouveau produit, un nouveau service, qui a envie de changer le monde, qui a envie en tout cas de créer quelque chose. Il faut donc des capacités à monter un projet, une équipe, à manager une équipe, à gérer la rigueur, avoir des skills en compta etc. Et franchement, c’est très dangereux de mettre dans la tête des gens que tout le monde peut être entrepreneur. Car il y a des gens qui ne sont pas faits pour ça, et ils peuvent être très malheureux.

C’est très dangereux de mettre dans la tête des gens que tout le monde peut être entrepreneur. Car il y a des gens qui ne sont pas faits pour ça.

Est-ce qu’on pourrait imaginer un futur composé à 100% de freelances ?

Effectivement je vois un futur où les freelances seront de plus en plus présents, mais je suis incapable de donner un chiffre. Aujourd’hui, je sais que les corporates aux Etats-Unis ont 25% de leurs effectifs en freelance. Et ce n’est que le début. Il y en aurait 50% dans 10 ans. Il faut donc faire une sorte de “chasse des compétence”, car puisque les indépendants sont de plus en plus nombreux, c’est de plus en plus dur de les recruter. Beaucoup de corporates aux Etats-Unis ont donc créé des plateformes pour trouver les meilleurs. C’est pour cela qu’on parle de plateformisation de l’économie. La plateformisation de l’économie, c’est un fait marquant du monde du travail qui est en train de changer.

Espaces du Remix Coworking -  © Pierre Bdn

De quoi ont envie les gens au travail aujourd’hui ?

Avant, on sacrifiait 20 ans de sa vie au travail pour une belle vie future. Aujourd’hui, ça ne marche plus, les gens ont envie tout de suite de profiter, de vivre bien, d’être heureux. « Le bon vieux temps, c’est maintenant » : c’est un peu notre slogan, c’est affiché sur des plaques dans nos bâtiments. Pour nous, ça signifie : ne gâche pas ta vie à imaginer une vie meilleure dans 30 ans, la situation meilleure tu peux l’avoir tout de suite, ça ne tient qu’à toi de décider et de prendre les mesures pour ça.

Ne gâche pas ta vie à imaginer une vie meilleure dans 30 ans, la situation meilleure tu peux l’avoir tout de suite, ça ne tient qu’à toi de décider.

Photos @Remix by WTTJ et Pierre Bdn

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