Être un (bon) allié féministe en entreprise : le guide pour les nuls

07. 3. 2024

8 min.

Être un (bon) allié féministe en entreprise : le guide pour les nuls
autor
Gabrielle Predko

Journaliste - Welcome to the Jungle

Dans la lutte contre les inégalités femmes-hommes, les entreprises comme le gouvernement ont un rôle à jouer. Mais il ne faut pas minimiser l’impact de la remise en question et de la transformation individuelle dans ce combat. Messieurs, voici donc dix commandements pour vous aider à trouver votre juste place au sein de cette lutte féministe, dans la sphère professionnelle comme dans la vie.

1. Accepter que plus d’équité entraîne forcément une perte de privilèges pour les hommes

Le calcul est simple : pour que les femmes aient plus de place en réunion, vous allez nécessairement devoir parler moins. De même, pour que l’équité en entreprise soit assurée (par exemple via des quotas), vous ne serez peut-être plus aussi prioritaires qu’avant dans le recrutement ou les promotions. Cela ne veut pas dire que les femmes prennent le pouvoir, mais simplement que les choses s’équilibrent. Pour ce faire, en tant qu’hommes, vous n’avez pas le choix : vous devez céder vos privilèges arbitraires. Vous trouvez ça injuste ? Dites-vous que c’est exactement ce que ressentent les femmes - et les autres minorités - , quand elles sont discriminées.

Ce qu’on ne veut plus entendre à l’afterwork : « Le système des quotas est complètement inégal pour les hommes qui méritent vraiment la place / le poste. Moi par exemple je suis humaniste, je ne vois pas les différences entre les genres, donc je ne fais pas de discrimination. »

Pourquoi ? Les neurosciences ont largement prouvé que nous sommes tous biaisés et influencés par des stéréotypes de genre. Ainsi, nous avons tous tendance à favoriser des personnes qui nous ressemblent (par exemple, à embaucher ou promouvoir les hommes blancs si nous sommes un homme blanc). Aucun système n’est parfait, mais celui dans lequel nous sommes actuellement est loin d’être juste : il est juste à l’avantage des hommes.

2. Admettre que vous n’avez pas toujours été exemplaire et ne le serez jamais : ce qui compte c’est d’évoluer

Que ce soit par le biais de vos apprentissages en matière de sciences sociales ou via des discussions avec des proches (notamment des femmes), vous vous rendrez certainement compte que vous n’avez pas toujours été exemplaire. Vous avez peut-être déjà coupé la parole à des collaboratrices, les avez sous-estimées à cause de stéréotypes de genre ou avez fait des réflexions sexistes. Vous ne pourrez jamais revenir en arrière et vous commettrez encore des erreurs à l’avenir. Le plus important est de les comprendre, d’évoluer, et d’assumer que vous n’êtes pas parfait. Un conseil qui vaut aussi pour les femmes.

Ce qu’on ne veut plus entendre à l’afterwork : « Moi je n’ai JAMAIS eu de comportement sexiste au travail, je suis un bon gars… »

Pourquoi ? Parce que c’est certainement faux. Cessons de voir les comportements sexistes comme des actes toujours volontaires, prémédités, mal intentionnés. Il existe même une forme de sexisme dit « bienveillant » (quand il surprotège les femmes mais entretient des stéréotypes sur elles). Oui personne n’est parfait.

3. Écouter vos collègues féminines et lâcher la posture défensive

Les féministes connaissent bien le sujet : quand elles décident de parler d’inégalités de genre avec un homme, elles se retrouvent bien souvent à devoir le rassurer (« non, on ne va pas te castrer »), à entendre qu’elles sont un brin « radicales », « hystériques », « rabats-joie » ou que « c’est bon, on l’a déjà l’égalité ! » Mais pour les femmes, être respectées et égales aux hommes n’est pas un débat, c’est un droit.

À la place, préférez les écouter et leur poser des questions sur leur souffrance, la manière dont elles subissent l’oppression ou s’engagent dans la lutte féministe. Adopter une posture défensive ne vous aidera ni à évoluer, ni à faire avancer la cause.

Ce qu’on ne veut plus entendre à l’afterwork : « Tu mets tous les hommes dans le même panier alors que moi je ne suis pas comme ça ! #notallmen. »

Pourquoi ? Quand une féministe émet une critique, c’est un système patriarcal qu’elle dénonce et c’est un questionnement individuel de votre part qu’elle attend. Les femmes ne sont pas là pour vous rassurer sans arrêt, elles ont une lutte à mener, avec ou sans vous. À la place, posez des questions, tentez de comprendre ce que vous pourriez apprendre pour être un homme plus respectueux envers les femmes (cf, le point précédent : on n’a jamais fini d’apprendre).

4. Rompre avec le « boys club »

Au travail, il vous est certainement déjà arrivé d’être témoin (ou acteur) d’un comportement ou d’une remarque sexiste. Il est important de vous désolidariser et de réagir lorsque cela arrive. Que ce soit lors d’une réunion, d’une pause, d’un afterwork ; que ce soit avec un collègue que vous connaissez à peine ou votre meilleur ami du boulot ; que ce soit dit sérieusement ou sur le ton de l’humour, que ce soit en présence de femmes ou non. Vous avez un rôle à jouer pour rendre votre environnement professionnel safe et mettre fin à ce climat de tolérance sexiste. Sans forcément endosser le rôle du grand justicier, vous pouvez intervenir ainsi : « Cette discussion / blague / remarque est sexiste. Ça me met mal à l’aise et ça n’a rien à faire ici. »

Ce qu’on ne veut plus entendre à l’afterwork : « Stephen ? Oh il fait des blagues idiotes mais ce n’est pas méchant. Calme-toi… »

Pourquoi ? Ce n’est pas parce que Stephen ne ressemble pas à Harvey Weinstein ou à Gérard Depardieu qu’il n’a pas des comportements problématiques. Et Stephen n’a pas été gracié par toutes les femmes pour faire ses blagues graveleuses ! Si vous êtes proche de lui, vous êtes à la bonne place pour le corriger.

5. Vous informer sur les sciences sociales

Bien que beaucoup de femmes se montrent volontaires pour sensibiliser les hommes au féminisme, cela peut aussi représenter une charge mentale supplémentaire pour elles. Ainsi, elles n’ont aucune obligation à faire votre éducation sur le sujet. Surtout qu’il existe des milliers de ressources passionnantes pour vous former : des médias (La Déferlante, Simone, les Glorieuses, etc.), des podcasts (Un podcast à soi ou l’excellent Les couilles sur la table, etc.) et des essais (ceux de Virginie Despentes, d’Angela Davis, de Christine Delphy…).

Ce qu’on ne veut plus entendre à l’afterwork : « Voilà, tu ne veux même pas débattre, ça prouve bien que tu as tort ! »

Pourquoi ? Si votre collègue préfère siroter sa pinte tranquillement au lieu de vous expliquer que « si, si, elle mérite l’égalité », c’est parce qu’elle sait que cela serait aussi inutile que de débattre à propos d’un match de tennis qu’on n’a pas vu.

6. Veiller à la place que vous occupez en réunion

En observant ces petites règles de conduite au travail :

  • Évitez d’interrompre vos collègues féminines à tout bout de champ
  • Évitez de répéter ce qu’elles viennent de dire (même en reformulant, ça reste dégradant)
  • Ne les reléguez pas aux tâches de secrétariat : ce n’est pas aux femmes de prendre des notes, de faire les cafés ou d’installer le projecteur…
  • Veillez à ce qu’elles aient l’opportunité de s’exprimer (sans leur mettre la pression non plus)
  • Ne leur expliquez pas leur métier, a priori elles le connaissent
  • Veillez à ce que les autres hommes respectent ces bonnes pratiques.

Ce qu’on ne veut plus entendre en réunion : « Merci Christine. En fait ce qu’il faut bien comprendre (c’est répète tout ce que Christine vient de dire et monopolise la parole pendant 30 minutes). »

Pourquoi ? Car vous tirez toute la lumière sur vous et envoyez le message que vous êtes obligé d’intervenir tant le discours de votre collègue est incompréhensible.

7. Ne pas remettre en question la parole des femmes

Si une collègue vous raconte un comportement sexiste qu’elle a subi, elle ne cherche pas à ce que vous confirmiez si elle a raison ou non d’être affectée par cet événement. Si elle s’est sentie diminuée ou humiliée, cela lui appartient et vous n’avez pas d’avis à donner.

D’ailleurs, si une collègue vous exprime son engagement féministe, il est aussi malvenu de la faire douter de ses valeurs avec des remarques comme :

  • « Tu es féministe parce que tu as une mauvaise expérience avec les hommes, c’est toi qui t’entoures mal. » Non, c’est le patriarcat qui opprime les femmes et cela se traduit (parfois même avec violence) dans le couple, dans la famille, au travail, dans l’espace public… Ce n’est pas à minimiser et ce n’est pas un caprice de femme frustrée. Aussi, les « mauvais gars » n’existent pas. Le stéréotype du monstre bourru et misogyne non plus. Les actes sexistes sont commis partout et par tout le monde : dans des cercles bourgeois, précaires, familiaux, professionnels, amicaux et par des hommes que l’on croise tous les jours, dont vous faites peut-être partie.
  • « C’est parce que tu es mal baisée. » Ce n’est pas la question et pour info le womanizer (sextoy clitoridien, ndlr) fait très bien l’affaire, merci.

Ce qu’on ne veut plus entendre en afterwork : « Tu es sûre qu’il a dit ça dans ce sens-là ? Oh tu exagères, tu es trop sensible. »

Pourquoi ? Vous ne pouvez tout simplement pas vous mettre à la place d’une femme qui vit plusieurs micro-agressions par jour. À la place, vous pouvez lui afficher votre soutien et décider d’ouvrir l’œil sur le collègue problématique dans le futur.

8. Bannir les remarques sexistes (même en l’absence de femmes dans la discussion) !

Cela paraît évident, mais il est encore beaucoup trop courant pour les femmes d’entendre des collaborateurs masculins faire des remarques sur le physique de collègues féminines. En plus de les atterrer, ces commentaires les objectifient, les humilient et les rabaissent. Vos collègues femmes n’ont pas le devoir de vous plaire.

Ce qu’on ne veut pas entendre en afterwork : « J’ai juste dit qu’elle était bien roulée… Vraiment, on ne peut plus rien dire… »

Pourquoi ? Non effectivement, on ne peut plus faire de remarques sexistes !

9. Se rappeler que le féminisme ce n’est pas que se libérer des injonctions à la masculinité

Bien souvent, l’étude des masculinités est une porte d’entrée pour ceux qui souhaitent s’intéresser à la question du genre. C’est effectivement un bon moyen pour comprendre comment le patriarcat vous assigne aux normes de masculinité hégémonique et à quel point celui-ci peut-être source de souffrances. Si vous avez tout intérêt à vous en distancier pour retrouver des rapports sains avec vous-même et avec les femmes - notamment dans la sphère professionnelle -, n’oubliez pas que la lutte féministe vise avant tout à libérer les femmes du sexisme, des discriminations, des inégalités et des violences. Changer votre vision de la masculinité est un bon début, mais si les hommes conservent leurs privilèges, les femmes resteront dans le statu quo inégalitaire.

Ce qu’on ne veut plus entendre à l’afterwork : « Moi je suis féministe. Je suis un homme déconstruit et je trouve normal d’exprimer ses émotions quand on est un homme… »

Pourquoi ? Car cela centre toute la discussion sur la souffrance des hommes, alors que les inégalités frappent plus durement et violemment les femmes. Il peut être intéressant de parler des normes négatives véhiculées par les clichés sur la masculinité, mais attention à ne pas monopoliser la parole et détourner le sujet.

10. Soutenir le militantisme… sans en prendre la tête

Groupes de parole, syndicats et associations féministes comptent parfois dans leurs rangs des hommes investis pour la cause, mais parfois ils ont encore du mal à trouver leur juste place. Si vous décidez de rejoindre des organisations militantes ou de participer à des cercles de paroles avec des collègues féministes par exemple, comprenez que vous êtes un soutien et non un leader. Évidemment, vous pouvez écouter ce que vos collègues femmes ont à dire, rebondir, proposer des idées, mais attention à ne pas mansplainer (en leur expliquant ce qu’est le féminisme par exemple), leur donner des ordres, orienter la discussion ou détourner la conversation pour vous plaindre de l’impact du patriarcat sur vous. Car oui, ce type de dérives a déjà été observé par des sociologues.

Ce qu’on ne veut plus entendre en AG : « Le féminisme c’est pas ça, la lutte féministe a besoin de… »

Pourquoi ? Il n’y a pas qu’un seul type de féminisme. Écoutez, apprenez !

Sachez que soutenir la lutte féministe peut aussi passer par garder les enfants, assumer les tâches domestiques et / ou logistiques pour que les femmes autour de vous puissent aller manifester un 8 mars, s’investir dans une association, travailler pour atteindre leurs objectifs professionnels… Bref, faire ce qui est important pour elles.

Un livre pour aller plus loin ? Nous vous conseillons l’excellent et court ouvrage du sociologue Francis Dupuis-Déri : Les hommes et le féminisme: Faux amis, poseurs ou alliés ? aux éditions Textuel.

Article écrit par Gabrielle Predko, édité par Aurélie Cerffond, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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