Le rire, c'est du sérieux : quelle place pour l'humour au travail ?

03 mai 2021

7min

Le rire, c'est du sérieux : quelle place pour l'humour au travail ?
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

« Au travail, il y a l’humour qui gêne, celui qui détend, celui qui divise, celui qui fédère, celui qui casse et celui qui fait du bien », expliquait le conférencier et coach Philippe Laurent dans un article de l’Express paru en 2013. Le tout est de parvenir à distinguer les moments où il est acceptable voire préférable de le pratiquer dans un cadre professionnel, des moments où il est déplacé. Ce qui, comme vous vous en doutez, n’est pas chose aisée. On vous aide à y voir plus clair ? Bienvenue dans le monde du LOL.

Quand la science se fend la poire

Mais d’où vient le rire ?

Le rire aurait précédé l’apparition du langage. Il permettait à nos ancêtres de clarifier leurs intentions dans des situations d’interactions sociales. « Le rire était un signal social précoce et sûr. Avant de pouvoir parler, le rire permettait de signaler que tout allait bien », explique Carl Marci, neuroscientifique à l’École de médecine d’Harvard. Les scientifiques pensent que le rire traduisait alors l’expression d’un soulagement commun, la fin d’un danger. Et aujourd’hui encore, le mécanisme du rire est intimement lié au soulagement que l’on rencontre lorsque l’on comprend l’élément de surprise d’une blague.

Le rire est un feu d’artifice pour le cerveau

Lorsque le cerveau identifie et comprend une plaisanterie, il libère des neurotransmetteurs liés au bien-être : dopamine, sérotonine et endorphines. Leurs effets sont bénéfiques pour l’ensemble du corps. Ils soulagent la tension, augmentent l’activité des cellules immunitaires et améliorent le flux sanguin. Ils aident ainsi à réduire le stress, à détendre les muscles et diminuent les risques cardio-vasculaires. Bref, à défaut d’aimer les pommes, une blague par jour permet d’espacer les visites médicales.

L’humour ? C’était pas gagné

Si le rire est aujourd’hui pris au sérieux, il a fallu plusieurs siècles pour qu’il trouve un écho favorable dans la vie quotidienne et le monde du travail. Au Moyen-Âge, la culture judéo-chrétienne dépeint le rire comme une perversion morale. C’est un acte vulgaire, indécent, assimilé aux païens et au peuple. partir du XVIème siècle, les zygomatiques commencent à se détendre et les héros comiques apparaissent dans la culture populaire. Ils prennent les traits d’Arlequin pour moquer les relations entre valets et maîtres, d’anonymes dans les caricatures royales, puis s’expriment pleinement dans les films de Charlie Chaplin. En dénonçant les excès de leur époque, dans les sphères politiques ou dans le monde de l’entreprise, le rire trouve petit à petit sa place et s’exprime de façon décomplexée.

Faut-il se prendre au sérieux pour travailler avec sérieux ?

L’humour est un formidable outil de cohésion et de socialisation. Le rire transcende les frontières culturelles et linguistiques, il permet de créer des liens et se présente comme un moyen universel d’exprimer ses intentions de coopération. C’est particulièrement vrai dans la sphère privée, mais qu’en est-il dans le monde si particulier de l’entreprise ?

Le rire rend plus performant

De nombreuses études menées par des institutions aussi sérieuses que Wharton, le MIT et la London Business School confirment l’impact positif de l’humour au travail. « Le rire soulage le stress et l’ennui, il stimule l’engagement et le bien-être, ainsi que la créativité, la collaboration, la précision analytique et la productivité », explique Alison Wood Brooks, professeure à la Harvard Business School. Récemment, un groupe de scientifiques qui menait des recherches sur le bonheur au travail a fait une découverte étonnante : regarder une vidéo humoristique a rendu les sujets de leur expérience… 10% plus productifs. En mettant les collaborateurs dans une disposition d’esprit favorable et ouverte aux autres - et à l’instar de toutes les émotions positives - le rire est bon pour le moral… et pour le travail.

Le rire désamorce les situations difficiles

Le monde du travail n’est pas toujours une suite de moments de joie. Par tous ses bénéfices sur la santé et le moral, le rire est également un excellent moyen de désamorcer une tension ou de calmer une situation tendue. « Il ôte le plomb de l’ambiance, court-circuite l’atmosphère électrique et dédramatise la situation anxiogène. Il redonne de l’énergie à celui qui subit l’échec, et relativise la faute du coupable. », explique Philippe Laurent. L’humour fait partie des habiletés sociales qui facilitent la vie en entreprise. C’est pourquoi même en télétravail, il ne faut pas l’oublier ! C’est un magnifique outil pour recréer du lien entre collègues

Le rire est une preuve de compétence et de charisme

Alison Wood Brooks a constaté que le fait de faire des blagues au travail pouvait donner l’impression qu’un collaborateur était plus compétent. Une carte à jouer pour les managers qui peuvent ainsi asseoir davantage leur légitimité. D’après Gang Zhang, doctorant en neurosciences, les salariés respectent et admirent davantage les leaders avec de l’humour, ceux qui savent rire avec les autres et se moquer d’eux-mêmes. Faire rire demande à la fois une grande intelligence émotionnelle, une intelligence des mots et une capacité d’empathie, des qualités qui sont le signe d’un vrai leader.

L’abus de rire peut être dangereux pour vous et votre entourage

L’humour donne la permission de bousculer les règles et de transgresser les interdits. C’est à ce titre une arme à double tranchant : il peut déclencher le rire… comme le malaise. À l’image des bouffons d’autrefois qui pouvaient rire du roi sous couvert d’une bonne histoire, l’humour peut pousser les plaisantins à se croire tout permis et oublier l’effet produit par leurs traits d’esprit. Alors que cache réellement l’humour en entreprise ? Et quelles sont les limites à ne pas franchir ?

Quand l’humour va trop loin

Gare aux managers qui taquinent leurs collaborateurs et abusent de blagues douteuses. Leurs comportements peuvent inciter le reste de leur équipe à mal se conduire. Rosabeth Moss Kanter, professeure à la Harvard Business School, indique que les personnes en minorité - par exemple une femme dans un groupe d’hommes - peuvent se sentir obligées de rire des plaisanteries qui les rabaissent. Petit à petit, elles perdent le respect de leurs pairs et laissent penser que l’incorrection est acceptable. Mais les mauvais blagueurs, eux aussi, en paient le prix. Une série d’études conduites par Alison Wood Brooks a montré que si “faire un flop” n’est pas préjudiciable, une blague inappropriée ternit l’opinion de ses interlocuteurs. Elle génère l’apathie du groupe et fait paraître moins compétent.

Le rire doit rapprocher, et non diviser

La frontière entre l’humour et la moquerie est poreuse. Quand le rire va trop loin et blesse un collaborateur, c’est sa confiance que l’on attaque. D’autant plus que les subtilités de l’humour au deuxième degré peuvent être mal comprises par certains. « Quand le “rire de l’autre” prend la place du “rire avec l’autre”, l’humour devient plus malveillant que la critique et prend la place du rire de soi », explique Philippe Laurent.

L’humour, c’est aussi une question de culture

Enfin, il faut garder en tête que l’humour est très imprégné de l’Histoire, des symboles et des traditions d’un pays. On ne rit pas des mêmes situations en France et à l’étranger. Les Français sont réputés pour l’ironie et les traits d’esprit, les Anglais usent et abusent de l’absurde et de l’auto-dérision, tandis que les Japonais privilégient le comique de répétition et les Américains sont friands des stéréotypes. Donc soyez vigilants aux origines de vos interlocuteurs, ils pourraient ne pas rire des mêmes choses que vous.

Quand l’humour est un refuge.

L’humour est aussi un moyen de se protéger de la douleur. Sigmund Freud, père de la psychanalyse, explique que le rire est le premier processus de défense. C’est le « pendant psychique du réflexe de fuite dont la tâche est de prévenir la naissance du déplaisir. » Alors gare à ces collègues qui débitent des blagues à la minute, ce sont parfois de simples clowns tristes. Dans cette situation, il est de notre devoir de les rassurer pour les aider à faire face différemment aux événements difficiles qu’ils traversent.

Cap sur l’humour : quelques conseils pour rire au bureau

Les bébés rient en moyenne 400 fois par jour. Les plus de 35 ans, seulement 15 fois. Par peur de perdre toute crédibilité devant leurs collègues ou de froisser leurs susceptibilités, certains se refusent à faire de l’humour et à rire au travail. Alors, comment amener de l’humour dans votre équipe, même en télétravail ?

1. Pratiquer l’auto-dérision

Avant de pouvoir rire avec les autres, il faut être capable de rire de soi. Cela signifie sortir de sa rigidité et regarder la vie avec un œil différent. L’autodérision facilite l’acceptation de ses propres limites et imperfections. « Le vrai drôle est libre du regard des autres », confirme Philippe Laurent. Pour détendre l’atmosphère et inciter les autres à se relâcher, rien de tel que de commencer par se moquer de soi. Avec l’auto-dérision, il est difficile de faire un faux pas, allez-y sans crainte !

2. Oser faire un flop

Les mauvaises blagues - tant qu’elles sont appropriées - ne nuisent ni au statut social ni à la perception des compétences. Au contraire, elles peuvent même augmenter la confiance en soi. Pour se rassurer, on peut aussi garder un stock de phrases toutes faites pour rebondir : « Dommage, ça faisait 3 jours que je préparais cette vanne » ou détournez l’attention : « Oh regardez, un babyfoot ! » (bon celle-ci on vous la déconseille). Une touche d’auto-dérision permet de se sortir des situations les plus gênantes.

3. Testez votre humour sur vos collègues les plus proches en premier

Vous n’êtes, pour le moment, pas perçu·e comme le/la petit·e rigolo·te de l’entreprise ? Évitez de vous lancer dans le grand bain immédiatement en contant votre meilleure blague de Toto à votre réunion mensuelle animée par le CEO (sauf si vous comptez démissionner le lendemain). Commencez petit et surtout, tâtez le terrain auprès des salariés les plus proches de vous, ceux en qui vous avez confiance. Puis élargissez au reste de l’entreprise lorsque vous vous sentirez plus à l’aise.

4. Profitez de l’écrit pour vous lâcher

Vous passez le plus clair de votre temps en télétravail ? L’humour ne s’arrête pas à l’oral ! Profitez de cette situation pour tenter un humour différent. Jeux de mots, exagération, gif, memes, les options sont infinies (et les bides sont moins violents !)

La capacité à rire est directement liée à la culture, l’éducation, la confiance, le goût de l’apprentissage. Et comme toute compétence, elle se travaille. Si cela ne fait que quelques années que l’humour est pris au sérieux par le monde de l’entreprise, il est aujourd’hui perçu comme une qualité désirable. Alors c’est l’occasion de propager ses bienfaits, dans le respect de l’autre. Le rire, c’est du sérieux.

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