Repousser la retraite : « J’aime mon travail, je ne veux pas le quitter de suite ! »

16 mai 2023

5min

Repousser la retraite : « J’aime mon travail, je ne veux pas le quitter de suite ! »
auteur.e
Anais Koopman

Journaliste indépendante

contributeur.e

Alors que la mesure de report d’âge de départ à la retraite à 64 ans déchaîne l’actualité et la rue depuis plusieurs mois, en France, certain·es travaillent déjà après leurs 62 ans. Et devinez-quoi ? Leurs profils et motivations sont bien différents. Contraintes financières plus ou moins fortes, réel choix de continuer à être “actif”, “utile”, “en forme”... Rencontre avec Patrick, Jeanne, Olivier, Alain et Marie-Yvonne.

Patrick, 63 ans, médecin de campagne : « Au-delà de l’aspect financier, pour moi, c’est normal de travailler encore à 63 ans »

« Je suis médecin généraliste et en tant que médecin, nous travaillons généralement bien après 62 ans. Même si j’aurais très bien pu arrêter mon activité à cet âge, ma retraite anticipée en tant que médecin n’aurait pas été assez élevée pour assumer les études de mes trois enfants, leurs loyers, etc., en plus d’assurer le quotidien de ma femme et moi-même. Heureusement, au-delà de l’aspect financier, pour moi, c’est normal de travailler encore à 63 ans. Cela ne me pose aucun problème : je travaille avec plaisir et je sais que cela sera encore le cas pour quelques temps, puisque je ne compte pas m’arrêter avant mes 66 ans. Je n’ai pas spécifiquement envie d’être à la retraite, j’aime mon métier ! Cela ne signifie pas que c’est toujours facile : étant médecin de campagne, je constate qu’il est de plus en plus difficile de me faire remplacer de façon temporaire, puisque nous faisons face à une pénurie de médecins. Mon rythme de travail en pâtit, je travaille plus qu’avant, soit entre 45 et 50 heures par semaine. On pourrait penser qu’on travaille moins à la fin de notre carrière, mais dans mon cas, c’est le contraire, alors je me sens parfois un peu bloqué au cabinet, quand je veux prendre des congés, par exemple. Pour autant, la vérité, c’est que je ne suis pas contraint, puisque j’ai la chance d’adorer mon métier, d’en tirer une utilité familiale… et donc de ne pas me poser la question de continuer, ou non. »

Jeanne, 73 ans, caissière : « Si j’arrêtais de travailler, je toucherais une retraite ridicule… et je m’ennuierais ! »

« J’ai conscience que si j’arrêtais de travailler, je toucherais une retraite ridicule : j’ai commencé à travailler à l’âge de quatorze ans, puis j’ai ouvert mon salon de coiffure, que j’ai tenu pendant 25 ans. Ensuite, j’ai aidé mon mari dans sa crêperie pendant vingt ans, sans être salariée. Résultat, j’ai beau avoir beaucoup travaillé dans ma vie, je n’ai pas assez cotisé pour avoir droit à une retraite correcte. Je travaille donc le lundi, le mardi, le mercredi et le samedi matin pour compléter ma retraite… mais pas que. J’aime vraiment ce que je fais, m’occuper des rayons et des vitrines lors d’occasion festives comme Pâques, les mariages et les baptêmes, je m’entends bien avec ma patronne… Et puis, surtout, je ne me vois vraiment pas rester chez moi, à ne rien faire, je suis convaincue que je m’ennuierais sans mon travail ! Je ne suis même pas sûre que j’aurais arrêté à l’âge de la retraite si celle-ci avait été plus élevée. Pour autant, c’est vrai que je commence à fatiguer. Je ne sais pas quand je m’arrêterai. Sûrement le jour où je n’en pourrai plus ! »

Olivier, 75 ans, professeur en école de commerce et au conservatoire des métiers : « Pour moi, la seule manière d’évoluer, de s’enrichir, de se cultiver est de travailler »

« Je travaille toujours à l’âge de 75 ans car je ne peux et ne veux pas faire autrement. En continuant à toucher un salaire, j’optimise ma situation financière en complétant ma retraite. Mon travail me rapporte environ 60% de mes revenus, tandis que ma retraite correspond plutôt à 40%. Alors oui, je pourrais sûrement vivre avec ma seule retraite, mais chichement ! Et puis, à travers mon emploi, je continue à contribuer activement à la société en étant toujours présent sur le marché du travail. Je dispense donc quinze cours de 3h30 par semestre. Pour moi, le travail n’est pas forcément synonyme de souffrance : cela peut aussi être un réel vecteur d’épanouissement. Pour moi, la seule manière d’évoluer, de s’enrichir, de se cultiver est de travailler. Par exemple, ma satisfaction réside dans le fait de transmettre du savoir à des jeunes en dispensant des cours, en encadrant leurs mémoires… J’ai même repris des études à l’âge de 64 ans pour développer mon panel de connaissances et ainsi travailler pour des services publics, des ministères et des collectivités territoriales. J’ai à la fois besoin d’argent et envie de rester actif, je ne vois donc pas pourquoi je réduirai mon activité. Je dois même dire que j’arrêterai le plus tard possible. Tant que je peux enseigner, que je me sens en forme, que mes étudiants apprécient nos échanges et mon accompagnement et qu’on me donne du travail, je répondrai “présent” ! »

Alain, 74 ans, coach et formateur : « Je pourrais très bien faire du bénévolat, mais quitte à rester actif, autant être rémunéré ! »

_« J’ai le plaisir de coacher et de former au quotidien, de servir à quelque chose, en somme. J’ai toujours vu le travail comme un choix : depuis le début de ma carrière à l’âge de 26 ans, j’ai pris l’habitude de fixer les plages de vacances et de me dire “je travaille sur mon temps libre”, et pas le contraire. J’ai inversé les paradigmes et notamment la vision de mon rythme de travail. Aussi, pour moi, le travail est une passion. La preuve, ces cinq dernières années, soit après 68 ans, j’ai écrit plus de livres que durant les années précédentes.

Ce qui me donne aussi envie et la force de continuer, c’est le fait que mon épouse soit plus jeune de 13 ans et qu’elle travaille pour le compte de mon entreprise en tant que commerciale. Si j’arrêtais mon activité, elle devrait s’arrêter aussi, puisque nos activités vont de pair. Et si elle prenait sa retraite maintenant, elle n’aurait pas une retraite assez élevée pour que l’on maintienne notre niveau de vie. Elle aura une meilleure retraite si nous continuons à faire équipe jusqu’à ses 64 ans, soit encore pendant quatre ans. Et de toute façon, je pense que même si la question de la retraite de ma femme ne se posait pas, je continuerait. Je pourrais très bien faire du bénévolat, mais quitte à choisir de rester actif, autant être rémunéré ! L’aspect financier est un bonus pour que notre train de vie de soit pas revu à la baisse. Si j’accepte de m’arrêter avant, c’est vraiment parce que je commence à radoter et que mon travail en pâtit (rires), mais pour l’instant, tout roule ! »

Marie-Yvonne, 69 ans : « Grâce à mon travail, je reste en forme (…) J’aimerais continuer après mes 70 ans. »

« Continuer à travailler après 62 ans, c’est un choix. J’aime mon entreprise, mes collègues, cela fait depuis 1975 que j’y ai ma place et je ne suis pas prête de la quitter ! J’aurais pu prendre ma retraite à 60 ans, mais j’ai continué et ouvert mon dossier de retraite à 65 ans. Je regrette, car très vite, j’ai compris que je voulais garder mon emploi. Si je ne l’avais pas ouvert, mon temps de travail et mon salaire seraient restés les mêmes. Désormais je ne travaille plus que 20 heures par semaine. A cause de mon dossier, je ne peux plus travailler à temps plein. Pour autant, grâce à mon travail que j’aime tant, je reste en forme, motivée et je peux compléter ma retraite et ne pas galérer financièrement. C’est pour ça que j’aimerais continuer après mes 70 ans. Pour ça, il faut que l’employeur soit d’accord, mais je saurai le convaincre (rires). Tous mes amis ont arrêté de travailler il y a un moment et grand nombre d’entre eux sont désoeuvrés et en manque de moyens, alors que si tout le monde continuait à travailler, je suis persuadée qu’ils resteraient en forme plus longtemps physiquement et moralement et qu’ils seraient plus sereins en ne comptant pas que uniquement sur leur retraite pour vivre et se faire plaisir. »

Article édité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ

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