ChatGPT un super assistant ou un super concurrent pour les salariés ?

Mar 16, 2023

7 mins

ChatGPT un super assistant ou un super concurrent pour les salariés ?
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Manuel Avenel

Journaliste chez Welcome to the Jungle

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ChatGPT, l’intelligence artificielle d’Open IA sur toutes les lèvres vient d’officialiser sa version augmentée, encore plus performante et multimodale. Mais les entreprises et les salariés n’ont pourtant pas attendu cette annonce pour s’emparer des IA génératives dans leurs quotidiens pro. Alors comment ces nouveaux outils sont-ils utilisés ? Y-a-t’il un risque qu’ils ne remplacent certains emplois ?

Un outil qui révolutionne le monde pro

Dans une étude menée par ResumeBuilder.com sur 1000 patrons américains, près d’un sur deux affirment déjà se servir de ChatGPT, même si dans la pratique, 66% déclarent que cet usage est réservé à l’écriture de lignes de code. Dans le monde féérique des développeurs, un autre outil nommé Copilot a déjà beaucoup bougé les lignes puisque, grâce à ce qu’on appelle l’auto-complétion, il suggère des solutions au développeur qui est en train de taper son code. « S’il ouvre une parenthèse, l’IA sait qu’elle devra la refermer et mettre un point-virgule à la fin, et le fera automatiquement », explique Nicolas Rauber, responsable de programmes coding et digital innovation à l’Institut de l’Internet et du multimédia. Un gain de temps précieux dans la course à la productivité qui se joue entre les entreprises. Pour élaborer cette solution, l’entreprise GitHub (spécialisée dans le développement et les services logiciels sur laquelle les développeurs mettent leurs sources de code) a entraîné une IA à mieux réagir au langage codé. « Quand vous êtes dans votre éditeur de code et que vous avez installé Copilot, vous avez comme quelqu’un à côté de vous qui vous propose des grands bouts de code. Et c’est très efficace, » commente l’expert. Quand on sait que la plupart des développeurs travaillent en peer programming (ou programmation en binôme en français, ndlr), l’outil a un impact important sur le métier : « On code généralement à deux. Un est sur le clavier, l’autre conseille ou suggère d’autres solutions. Car avec deux cerveaux on échange, on optimise et au final, le résultat est meilleur. Mais ça coûte plus cher à une entreprise, car il faut deux développeurs… Avec Copilot, on fait toujours la paire, mais avec notre éditeur de code qui va nous suggérer des solutions. Et c’est nous, humains, qui allons décider ensuite du code le plus adapté et modifier celui-ci au besoin. »

« C’est assez déconcertant que mon manager ou mes collègues ne remarquent rien et trouvent que « nos » textes sont de qualité. », Hugo, chef de projet biodiversité

Attention, l’utilisation de l’IA n’est pas réservée à des domaines ou métiers techniques dans la réalisation de tâches simples. D’après l’étude susmentionnée, la création de contenu (58%), le support client (57%), ou encore la création de résumé de documents ou de réunion (52%) sont les autres utilisations faites par les professionnels sur ChatGPT. Hugo, chef de projet biodiversité, s’est intéressé de près à ChatGPT, d’abord par curiosité humoriste de l’open space, le jeune homme se félicite par exemple d’avoir trouvé de l’inspiration pour raconter de très bonnes blagues à ses collègues, même s’il reconnaît que l’usage de l’IA est devenu plus intéressant encore dans le cadre de ses missions. « Lorsqu’on m’a confié le pilotage de la conception du marché à appel d’offres, je me suis demandé si cet outil n’allait pas m’être utile, explique-t-il. N’ayant jamais lancé auparavant d’étude de marché, je n’y connaissais pas grand-chose, à part quelques notions tirées de mes cours. En posant à ChatGPT une question très simple : “Comment lancer un marché à appel d’offres ?”, j’ai été surpris par la réponse complète qui m’a détaillé les différentes phases de la procédure. À partir de ce moment, j’ai utilisé ChatGPT quotidiennement, pour répondre à certains mails, m’aider à rédiger des rapports, ou m’indiquer des oublis dans ces mêmes rapports. » Pour Hugo l’IA c’est « presque comme un second cerveau », un assistant très efficace sur des tâches toutes simples. Pour son équipe aussi, c’est très positif : « C’est assez déconcertant que mon manager ou mes collègues ne remarquent rien et trouvent que « nos » textes sont de qualité. »

Dans le recrutement aussi, l’IA est très utilisée pour écrire des offres d’emploi, faire du suivi de candidat, générer des chatbots qui peuvent sortir d’un scénario basique de questions-réponses préétablies, converser avec les candidats ou encore trier les candidatures. C’est d’ailleurs ce qu’expérimente Jean, Data Analyst pour une plateforme de recrutement de freelances. « C’est fastidieux de lire deux cents CV, mais si j’utilise le traitement de champs textuel de ChatGPT, je peux lui demander de faire ressortir les bons passages en fonction d’un champ lexical de compétences, ce qui me permet de voir quels sont les profils qualifiés pour le poste. C’est très pratique pour faire du matching entre candidats et entreprises et ça évite les tâches chronophages. »

ChatGPT a beau être sous le feu des projecteurs, d’autres IA génératives ont trouvé leur place dans le quotidien des métiers créatifs. Si nous n’avons le coup de crayon d’un illustrateur de métier, l’IA Midjourney a par exemple cette faculté de créer des images d’a peu prêt ce qu’on veut et Beathoven, de composer des musiques originales libres de droits… « Il est fort probable que des IA soient intégrées aux outils Office dans les mois à venir et deviennent le quotidien de tout le monde au final », considère Nicolas Rauber.

Une compétence clef à maîtriser : le prompt

Au-delà de faciliter le quotidien de certains professionnels, les IA peuvent aussi jouer un rôle dans l’apprentissage des métiers. Pour Nicolas Manoharan, data analyst chez Magellan consulting, l’IA a apporté deux types d’amélioration dans le quotidien professionnel : « D’une part, les employés de tous les secteurs peuvent l’insérer dans des routines perso ou des tâches communes, comme rédiger un mail, traduire un texte ou reformuler des synthèses en appliquant un wording en fonction du contexte professionnel. » D’autre part, l’IA a un impact direct sur les stratégies que les entreprises peuvent mettre en place. Si l’IA s’alimente de données publiques, une entreprise peut aussi la nourrir de données issues de sa documentation interne, dont l’usage sera réservé à ses employés. « Je pense à certains métiers comme les pilotes d’avion ou plus globalement dans le secteur du nucléaire. Ces professionnels n’ont pas toutes les procédures en tête, ils ont d’énormes manuels et ça changerait complètement l’accès à leur métier s’il avait un outil qui répondait sur un mode conversationnel à leur requête. »

Le spécialiste s’est par exemple intéressé à l’utilisation de ChatGTP dans le cadre de l’apprentissage en sciences juridiques et sciences humaines : « À la base, j’ai une formation en psychologie, j’ai demandé à l’IA une étude de cas clinique pour des phobies sociales et de me décrire une procédure dans le cadre d’une thérapie précise. J’ai été impressionné par le résultat, car il m’a proposé un protocole pour la prise en charge de la phobie sociale très détaillé. Sans aller jusqu’à l’appliquer sans l’intervention d’un expert, je pense que c’est un sacré outil pour les étudiants. »

« N’importe quel professionnel doit aujourd’hui se mettre à la page et utiliser les IA. Les gens qui me disent de ne pas l’utiliser, c’est un peu comme les personnes qui n’utilisaient pas Internet il y a vingt-cinq ans. », Nicolas Rauber, responsable de programmes coding et digital innovation à l’Institut de l’Internet et du multimédia.

À l’Institut de l’Internet et du Multimédia, Nicolas Rauber et l’équipe professorale se questionnent suite aux avancées technologiques récentes et demandent à leurs étudiants d’utiliser ChatGPT et d’autres IA génératives. « Il y a un risque évident de plagiat, de dépendance, de ne pas comprendre les notions car on n’a pas fait la démarche nous-même de comprendre étape par étape et on a directement le résultat. » Pour lui, l’utilisation de ChatGPT est désormais une compétence comme une autre à acquérir, au même titre que la maîtrise d’Excel ou d’autres logiciels. « N’importe quel professionnel doit aujourd’hui se mettre à la page et utiliser les IA. Les gens qui me disent de ne pas l’utiliser, c’est un peu comme les personnes qui n’utilisaient pas Internet il y a vingt-cinq ans. » La compétence à dialoguer avec l’IA réside dans la rédaction du prompt, soit le texte qui permet de donner des instructions à l’IA pour qu’elle génère une image ou du texte. S’il est à la portée de tous d’écrire un bref prompt pour demander à ChatGPT d’écrire un mail, on peut aussi améliorer son prompt et parvenir à des résultats plus précis, plus originaux. Jason Allen, un artiste américain a ainsi passé quatre-vingts heures à rédiger un prompt avec neuf cents versions pour atteindre un niveau de détail bluffant, ce qui lui a valu de remporter le premier prix d’un concours des beaux-arts de la Colorado State Fare pour son oeuvre « Théâtre d’opéra spatial » générée grâce à Midjourney. Cette compétence est de plus en plus recherchée par les entreprises à en croire l’essor du métier d’ingénieur prompt, soit l’Homme qui murmure à l’oreille des IA. Dans son étude, RésumeBuilder.com révèle que 90% des patrons interrogés estiment que l’expérience ChatGPT est une compétence bénéfique pour les demandeurs d’emploi.

Des métiers en voie de disparition ?

« Il y a beaucoup d’inconnus autour de l’IA, on a l’impression que ce sont des machines qui fonctionnent toutes seules, alors que ce sont des algorithmes et des maths qui ne sont pas aussi complexes qu’on l’imagine », estime Jean, data analyst. Cette évolution récente, il la compare à l’arrivée du numérique. « Quand on a cessé de tenir ses comptes sur feuille pour le faire via un tableur Excel, cela n’a pas réduit le nombre de comptable par trois. Si la machine calcule plus vite, elle a besoin de quelqu’un qui lui indique l’opération à faire. » Les scénarios à la Terminator, ce n’est pas pour tout de suite.

« Vous n’allez pas être remplacé par une IA, non, mais votre job pourrait être pris par quelqu’un qui l’a maîtrise. », Nicolas Rauber, responsable de programmes coding et digital innovation à l’Institut de l’Internet et du multimédia.

Selon l’étude menée par ResumeBuilder.com, 48% des patrons utilisant ChatGPT affirmaient pourtant que l’IA avait remplacé un ou des salariés de leur entreprise. Alors, quels métiers ne seront pas impactés par les IA ? « Il y a entre dix et quinze ans, on imaginait que tous les métiers dans le secteur des transports, mais aussi ceux qui étaient répétitifs et difficiles, allaient être transformés par la consommation digitale et l’IA. Et là on commence à apercevoir, depuis cinq grosses années, que l’IA accélère vraiment », observe Nicolas Rauber. Si aujourd’hui des livres, des articles voire même des séries animées ont vu le jour grâce aux IA, cela pose toutes sortes de problématiques comme celle de la propriété intellectuelle, puisque les IA sont alimentées par des données déjà existantes. Cela interroge aussi sur la valeur du travail fourni et avec elle, la rémunération. « Comme je suis assisté et que mon travail se fait plus vite, est-ce que je coûte moins cher à mon entreprise ? Ou est-ce que c’est la qualité qui prime et non la quantité ? Est-ce que ma valeur est dans cette curation ou dans la production ? », se questionne le professeur. « Générer en quantité c’est très facile pour une IA, mais choisir la bonne option reste une expertise éminemment humaine. Vous n’allez pas être remplacé par une IA, non, mais votre job pourrait être pris par quelqu’un qui l’a maîtrise. »

Article édité par Romane Ganneval ; Photo de Thomas Decamps

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