Single ladies : pourquoi les femmes qui réussissent divorcent davantage ?

May 25, 2023

4 mins

Single ladies : pourquoi les femmes qui réussissent divorcent davantage ?
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Emma Pampagnin-Migayrou

Journaliste freelance

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Les femmes qui réussissent professionnellement seraient plus sujettes… aux séparations et aux divorces. C’est le constat d’une récente étude suédoise, qui pose la question qui fâche : les hommes des années 2020 seraient-ils - encore - jaloux et mal à l’aise face à une femme plus successful qu’eux ?

« Il me reprochait simplement le fait de m’épanouir et de me voir heureuse dans ce que je faisais. Il ne comprenait pas l’excitation dans laquelle un projet ou une mission pouvait parfois me plonger ». Emma, responsable juridique M&A de 42 ans, se souvient très bien des raisons de la fracture entre elle et son ex-mari. Tout comme les femmes interrogées dans l’étude suédoise « All the Single Ladies: Job Promotions and the Durability of Marriage », Emma a dû se défaire de sa relation pour continuer à suivre sa voie. Dans l’étude conduite sur une vingtaine d’années et sur trois catégories d’emplois (maires, parlementaires et PDG d’entreprise de plus de 100 employés), la conclusion semblait sans appel : les promotions entraînent une augmentation des taux de divorce chez les femmes, mais pas chez les hommes.

Premier constat lié à ce genre de recherches : les divorces surviennent généralement dans les couples dits « traditionnels », dans lesquels l’écart d’âge entre les femmes, plus jeunes, et les hommes, plus âgés, est important. Un schéma que connaît bien Emma. « Avec mon ex-mari, nous nous sommes rencontrés lorsque j’étais en droit et que lui travaillait déjà en tant qu’ingénieur. J’avais 23 ans et lui 31. » Du fait qu’elle était étudiante au moment de leur rencontre, les évolutions importantes dans sa carrière ont par la suite certainement modifié la dynamique dans leur relation. À la fin de ses études, Emma est « embauchée dans un grand groupe français pour travailler sur des projets internationaux à Paris ». Les deux Bretons changent donc radicalement de cap, et s’installent dans la capitale.

Des femmes qui “manquent à leur rôle” de femmes

« Il semble que la réussite professionnelle de la femme la mette en danger dans son couple, comme s’il y avait là quelque chose de l’ordre de l’impossible. » Marie-Stéphanie Reminiac-Bracq est psychologue du travail et docteure en psychologie. Pour elle, de nombreuses femmes ambitieuses n’auraient donc que deux options : suivre leurs rêves et abandonner leur relation, ou faire une croix sur leurs projets pour sauver leur couple.

Emma est de celles qui évoluent rapidement dans leur environnement de travail et accumulent des expériences professionnelles considérables : « je réalisais des choses de plus en plus grandes, de plus en plus sophistiquées ». Résultat : des conflits apparaissent, son rôle d’épouse n’étant, selon son mari, pas rempli. Comme l’ajoute Marie-Stéphanie Reminiac-Bracq « les rôles au sein du couple et les attentes de chacun semblent être très marqués par les représentations sociales et les stéréotypes de genre ». On reprocherait ainsi aux femmes qui s’investissent dans leur carrière de manquer à leurs autres « rôles ». Reproches qui ne semblent pas exister pour les hommes !

Pour Emma, cloisonner vie personnelle et vie professionnelle était « difficile, voire impossible ». Son ex-mari la blâmait de ne pas être assez attentive à lui et d’être trop impliquée ailleurs. Autre cas de figure, chez Sandy, 54 ans, aujourd’hui commerciale. Entre 2011 et 2015, elle ouvre un restaurant avec une associée. Ce projet d’envergure, qui a nécessité plus d’investissements que ce qu’elle imaginait, l’épanouissait. Les nombreux défis à relever ont impliqué beaucoup de temps et d’énergie. C’est précisément ce qui a constitué une source de conflits au sein de son couple : « Mon mari avait du mal à accepter que je sois moins disponible pour lui. Il arrivait fréquemment qu’il me fasse des reproches culpabilisants .» Pour éviter une séparation, Sandy a finalement fait une croix sur son projet.

Ego, pouvoir et argent

Qu’elles soient donc épouses et/ou mères, les femmes qui empruntent un chemin professionnel ambitieux peuvent être sujettes aux critiques de leurs compagnons, inquiets de voir leur équilibre confortable modifié. Selon Pascal Lardellier, spécialiste des relations de couple et auteur de “S’aimer à l’ère des masques et des écrans” (Ed. de l’Aube), comme la femme a toujours été reléguée au second plan, le fait qu’elle puisse aujourd’hui travailler et occuper des postes à hautes responsabilités vient symboliquement inverser un ordre établi. L’homme, détenteur depuis la nuit des temps d’une « prééminence symbolique et sociale, va difficilement accepter la réussite de la femme dans les domaines qui lui étaient alors réservés » explique-t-il.

Pour comprendre l’étendue du phénomène, rappelons que les femmes, bien qu’elles aient toujours travaillé bénévolement, n’ont accès au salariat que depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Véritable changement à la fois pour elles et pour les hommes qui doivent depuis partager argent, pouvoir et tâches domestiques, dont la fameuse charge mentale. Cette « petite » révolution, synonyme d’émancipation et d’autonomie, permet aux femmes d’accéder à des statuts et des postes jusqu’alors réservés aux hommes… Pour Emma, le fait d’évoluer rapidement et d’occuper des postes impliquant du pouvoir « provoquait soit jalousie, agressivité ou manipulation » de la part de son compagnon. Pascal Lardellier parle à ce sujet de patriarcat toxique.

L’indépendance grandissante des femmes, et en particulier celles appartenant à des catégories socio-professionnelles élevées, peut conduire à effrayer certains hommes. Frustration, jalousie voire sentiment de « dépossession symbolique » comme le nomme Pascal Lardellier, peuvent apparaître. Et encore plus quand avec le pouvoir, la question de l’argent entre en compte. Kathleen Tamisier, sociologue, formatrice-consultante et auteure de “La Famille en révolution. Sexe, amours et déceptions (Ed. L’Harmattan), rejoint Pascal Lardellier en évoquant la notion de “capital”, au centre de la pensée du sociologue Pierre Bourdieu. « Derrière le capital économique, il y a du capital symbolique. On revient toujours à cette idée de puissance, de statut, de prestige et de pouvoir » dit-elle. Selon elle, si une femme gagne plus que son époux, il faut que ce dernier ait « un esprit très paritaire ». Apparemment pas le cas pour l’ex-mari d’Emma : « il sait que je gagne plus que lui et cela suscite une pointe d’aigreur de son côté ».

Mais parmi celles qui ont conquis leur indépendance financière, avec ou sans le soutien moral de leur moitié, il y a aussi celles pour qui cette indépendance a permis non pas de subir une séparation, mais de la faciliter ! Plus facile en effet d’oser partir vivre seule lorsque l’on gagne suffisamment sa vie pour être autonome…

Article édité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ

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