Le télétravail est-il vraiment meilleur pour l'environnement ?

13. 1. 2022

7 min.

Le télétravail est-il vraiment meilleur pour l'environnement ?
autor
Aminata Kone

Freelance writer & energy regulation analyst

À première vue, on pourrait croire que le télétravail est meilleur pour l’environnement. Moins de trajets pour aller au bureau, moins de lumières et de chauffages allumés en permanence sur plusieurs étages… Pourtant, l’effet du télétravail sur notre empreinte carbone n’est pas aussi net qu’il y paraît. Décryptage.

« Il est difficile de mesurer l’impact du télétravail sur les émissions de gaz à effet de serre. » Steven Sorrell est professeur en politique énergétique au sein de l’université du Sussex. Il explique que les résultats varient selon ce qui est étudié – les transports, la consommation d’énergie, les émissions indirectes, etc. –, mais également selon les contextes de travail et les zones géographiques. Malgré ces obstacles - ou peut-être grâce à eux - de nombreuses études existent, qui peuvent nous aider - au moins ! - à nous poser les bonnes questions.

Moins de temps au volant ?

Quand on parle de télétravail et d’environnement, le regard se tourne spontanément vers les trajets maison-boulot : avant la pandémie, nous étions une majorité – 62 % en France en 2019 – à prendre la voiture pour aller au travail. Il paraît donc logique de voir la baisse de ces navettes quotidiennes non seulement comme un bénéfice individuel (en termes de temps gagné), mais aussi pour la planète.

Mais dans les faits, l’histoire est un peu plus compliquée. Nous avons en effet tendance à modifier nos habitudes de transport en fonction des situations qui se présentent. « Autrement dit, oui, le nombre de trajets domicile-travail hebdomadaires a été réduit, mais il faut regarder les répercussions du télétravail sur nos autres déplacements. », signale Steven Sorrell. Avec son équipe, l’universitaire a épluché 39 études portant sur les impacts énergétiques et climatiques du travail à distance. Verdict : ne pas avoir à se rendre au bureau peut engendrer une augmentation des déplacements non-professionnels imprévus.

Si ce constat était un peu moins vrai ces derniers mois - selon les restrictions sanitaires encore en vigueur dans certains pays - il est nécessaire de l’avoir en tête dans un contexte de généralisation du télétravail à plus long terme. « Lorsque nous travaillons en distanciel, nous ne restons pas nécessairement cloîtrés chez nous toute la journée, observe Steven Sorrell. Les faits sont là : les télétravailleurs sont nombreux à effectuer des déplacements pour des raisons autres que le travail. Et, selon la nature du trajet et le moyen de transport utilisé, on peut constater une annulation des économies d’énergie réalisées sur la navette maison-bureau. »

Le télétravail encourage par ailleurs un nombre croissant de personnes à s’éloigner un peu plus de leur lieu de travail. Steven Sorrell souligne que, « dans ce cas, lorsque les gens se déplacent au bureau, cela représente des trajets plus longs ». Selon le rythme imposé et le moyen de transport utilisé, cela peut, là aussi, contrebalancer les effets positifs de la baisse des trajets quotidiens.

Plus d’économies d’énergie à la maison qu’au bureau ?

Même quand notre empreinte carbone diminue côté transports, l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA) précise que le total des émissions liées au travail pourrait bien augmenter en raison d’une consommation d’énergie en hausse dans les foyers en semaine. Ainsi, au Royaume-Uni ou en France par exemple, les confinements de 2020 avaient vu une augmentation de la consommation d’électricité des foyers, respectivement de l’ordre de 15 et 4%.

Est-ce gênant, si l’on considère que cette hausse de la consommation individuelle est compensée par une baisse des besoins en énergie dans les locaux des entreprises ? Eh bien… Cela dépend. De manière générale, la performance énergétique est plus importante dans un grand espace que dans plusieurs petits. Nous utilisons (et gâchons) moins d’énergie à chauffer un bureau de 50 personnes qu’à chauffer leurs 50 appartements. Mais cette comparaison laisse elle-même de nombreuses variables de côté…

En comparant l’empreinte carbone moyenne d’un·e Britannique en télétravail vs au bureau, WSP, une entreprise de conseil métier et ingénierie opérant outre-Manche, a montré que la composition du foyer est un facteur à prendre en compte. « Si vous êtes deux en télétravail, cela équivaut, d’un point de vue d’émissions de carbone, à aller au bureau, résume David Symons, directeur développement durable chez WSP. Au-delà de deux personnes, le travail à distance est préférable. S’il n’y a que vous dans l’appartement ou à la maison, et que vous chauffez votre intérieur juste pour vous, mieux vaut aller au bureau. »

En jeu dans ce calcul, l’isolation des bâtiments, généralement meilleure dans les locaux professionnels que les logements individuels. Il est également utile de distinguer le 100 % télétravail du télétravail partiel. Dans le cas d’un remote temporaire ou partiel, il y a peu de chances que votre entreprise déménage dans des locaux plus petits, mais une grande probabilité que ses besoins de consommation énergétique (éclairage et chauffage en tête) demeurent les mêmes, seulement pour un nombre plus faible de collaborateurs. Steven Sorell estime à ce titre que « le 100 % télétravail présente un intérêt plus net en matière d’économies d’énergie ».

Le poids du papier

Dans les bureaux, les imprimantes occupent une belle place sur le podium de la consommation d’énergie, qu’elles soient en veille ou en marche. Ajoutez à cela le papier et les cartouches d’encre : difficile de nier que les fournitures de bureau ont un impact peu réjouissant sur l’environnement. Un spécialiste de l’impression a ainsi calculé qu’un·e salarié·e britannique imprime en moyenne 8 000 pages A4 au bureau chaque année. Autant de cartouches qui, si elles ne sont pas recyclées, créent à elles seules de grands dommages environnementaux.

De tels chiffres sont assez improbables en télétravail, pour des raisons de coût notamment – rarement pris en charge par l’employeur. Les Français·es sont 25 % à ne pas posséder d’imprimante. Chez les autres, la réduction du nombre d’impressions est un fait qui inquiète même les professionnels de l’imprimerie.

Reste à voir si nos habitudes d’impression reviendront à ce qu’elles étaient « avant » et si nous retournerons tous un jour, et pour de bon, au bureau. Mais pour l’heure, en ce qui concerne la consommation de papier et le nombre d’impressions, le home office semble en tout cas servir la cause environnementale.

Dis-moi où tu vis, je te dirais…

Dans les études et chiffres cités ci-dessus, certaines affirmations sont sous-tendues par des considérations nationales et ne sont donc pas valables de façon universelle. Comme le pointe David Symons de WSP, l’impact environnemental du télétravail « varie d’une zone géographique à l’autre ».

Les variations saisonnières sont un bon exemple. Au Royaume-Uni, il est ainsi « préférable de télétravailler en été, parce qu’on n’a pas besoin de chauffer chez soi », explique David Symons. Dans des régions plus chaudes, c’est l’inverse, en raison d’un large recours à la climatisation durant les mois estivaux. Les bénéfices environnementaux du télétravail y sont donc plus importants en hiver.

Les différences culturelles jouent aussi en matière de transports. En France, les voitures électriques ont par exemple représenté 8 % des ventes automobiles en 2020, contre 54,3 % en Norvège. Des chiffres qui ne sont pas sans conséquence sur l’impact environnemental de nos virées maison-travail.

Ce qui amène à un autre facteur à prendre en compte : le mix électrique local. Passer du diesel et de l’essence au tout-électrique est une chose, tout comme opter pour une pompe à chaleur en remplacement des systèmes de chauffage traditionnels. Mais encore faut-il connaître l’origine de l’électricité consommée. La croissance des sources d’énergies renouvelables promet de faire évoluer les impacts environnementaux du télétravail.

Numérique : petits changements, vrais effets

Il est peut-être difficile d’imaginer comment pondérer toutes ces informations pour décider où et comment travailler, en sachant que la question environnementale n’est pas la seule qui se pose à nous. Dans ce contexte, certaines entreprises ont entamé une réflexion sur la création de ponts entre le télétravail et leur stratégie de développement durable.

Bartle, agence de consulting en business strategy et BETC, agence de communication, ont toutes deux des politiques de télétravail assez souples, datant d’avant la crise du Covid-19. Avec les changements imposés depuis le premier confinement, elles se sont prioritairement penchées sur les questions de consommation énergétique et de pollution liées au 100 % télétravail de leurs effectifs. Leurs premiers plans d’action ont concerné les technologies numériques.

« L’impact énergétique de l’informatique est invisible mais énorme », a indiqué Valérie Richard, responsable RSE chez BETC. L’entreprise a, par exemple, comparé les données de consommation énergétique des principaux outils de vidéoconférence et les différences d’impact entre les appels audio et vidéo. Les résultats ont servi à établir un « guide de l’informatique écolo » à destination des salarié·es, avec un résumé des bonnes pratiques pour « travailler depuis chez soi sans trop polluer la planète ».

Bartle, certifiée B-Corp, a passé au crible le serveur de l’entreprise sur lequel sont stockés les fichiers partagés : 60 % des dossiers se sont avérés « supprimables », selon Maxime Dupont, son manager conseil et RSE. Des documents qui, lorsqu’ils sont disponibles en un clic, consomment (et gâchent), une grosse quantité d’énergie. Les contenus en question ont depuis été supprimés, et Bartle limite le nombre de versions d’un même document pouvant être sauvegardées avant archivage. Les utilisateurs reçoivent des messages automatiques lorsque la taille d’un dossier dépasse un certain nombre de gigawatts.

Ce que vous pouvez faire dès aujourd’hui

Éteindre vos webcams (si on vous l’autorise en réunion !) et nettoyer vos espaces de stockage en ligne ne sont que quelques exemples de réflexes à adopter pour réduire votre propre pollution numérique. Mais individuellement, nous pouvons aller encore plus loin, pendant que nos entreprises réfléchissent, à plus grande échelle, à leur politique de développement durable en période de Covid et pour l’ère post-Covid :

  • Restez nature : profitez autant que possible de la lumière naturelle, en réduisant votre recours à l’éclairage artificiel. En prime, sachez que la lumière naturelle fait du bien à notre productivité, à notre moral et à notre santé, c’est prouvé.
  • Débranchez : les appareils laissés en charge sont une source importante – bien que relativement invisible – de consommation d’énergie, qui impacte l’environnement et votre facture mensuelle (inutilement).
  • Chaise musicale : vous avez du mal à diminuer votre consommation de papier ? Pratiquez le « hot-desking » : changez régulièrement de place, vous verrez qu’il est tout de suite bien moins agréable de déplacer des piles de documents. Et, bien sûr, imprimez recto verso et conservez votre poubelle de recyclage à portée de main, pour le papier que vous consommerez malgré tout.
  • Servez-vous de votre cuisine : davantage de déjeuners et pauses-café préparés à la maison signifie moins de papier et de plastique utilisés – une petite révolution, surtout si vous n’aviez pas l’habitude d’emporter une lunchbox au bureau.
  • Tout doux sur le chauffage : pour un télétravail plus « vert », le chauffage reste le levier le plus impactant. Essayez de ne chauffer que la pièce où vous travaillez en journée. Et enfilez un bon gros pull !

Article traduit de l’anglais par Sophie Lecoq ; édité par Clémence Lesacq ; Photos Thomas Decamps pour WTTJ

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