Recrutement : la journée d'immersion, une (fausse) bonne idée ?

19. 9. 2023

5 min.

Recrutement : la journée d'immersion, une (fausse) bonne idée ?
autor
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

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Dans le cadre de leur processus de recrutement, certaines entreprises proposent une journée d'immersion. L’objectif ? Inviter leurs potentielles recrues à s'imprégner de l'ambiance et de la culture interne ainsi qu’à mieux appréhender les missions du poste et de l'organisation. En retour, l'employeur peut observer le candidat hors du carcan de l'entretien. Sur le papier, l’expérience semble gagnante pour tout le monde. Mais à quelles conditions ? Quelles en sont les limites ? Pour en débattre, nos deux experts du Lab, Léo Bernard et Céline Méchain, nous livrent leur vision.

Immersion professionnelle : une étape de recrutement protéiforme

L’immersion professionnelle est une méthode de recrutement en vogue pour aider les candidat·es à se familiariser avec un poste et, plus largement, une entreprise. Il existe différentes modalités :

  • L’approche collective : « Il s’agit de faire venir sur site un groupe de candidats sélectionnés en amont, comme le propose L’Oréal lors des journées de recrutement des stagiaires ou alternants intitulées “One day for HR, Marketing, Sales, etc.”. Les personnes sont reçues en grande pompe avec différentes activités qui permettent, à la fin, d’être retenus ou non », explique Léo Bernard. La journée est rythmée par des discours de leaders, parfois du CEO, puis s’enchaînent des travaux de groupe pour détecter les compétences des participants. Une étape qui est à privilégier pour les entreprises qui recrutent en masse.

  • L’approche individuelle : « La personne sélectionnée est conviée à venir vivre une expérience sur son (futur) lieu de travail et avec l’équipe. L’objectif est de lui faire vivre différents moments qui se rapprochent le plus du quotidien du poste visé. Par exemple, chez Choco, les personnes en lice pour un poste de direction participaient à une réunion avec les C-level, qui était suivie d’un cas pratique. Ensuite, elles passaient du temps avec l’équipe : lors d’un déjeuner puis dans le cadre d’un atelier de travail », poursuit notre expert en recrutement. L’idée est de pouvoir prendre une décision éclairée et collective au regard de toutes ces rencontres proches de la réalité. Au sein d’Avizio, une journée d’immersion est organisée pour accueillir le/la candidat·e retenu·e à des postes essentiellement opérationnels. « Ce temps d’observation, appelé “journée Koala”, permet à la personne de découvrir le quotidien type d’un des collaborateurs au même poste », explique Aurélie Chabrol, directrice du pôle Recruteur in Residence. Côté Avizio, l’objectif est d’observer la manière dont le/la candidat·e réagit lors de la journée et interagit avec l’équipe lors du déjeuner.

Pour les candidat·es en reconversion, qui débutent dans la vie active ou au chômage, il existe un dispositif spécifique, porté par le Pôle Emploi : les « Périodes de mise en situation en milieu professionnel » (PMSMP). Ce stage métier peut durer entre un jour et un mois durant lequel les talents sont accompagnés par un tuteur. « Nous utilisons ce dispositif pour des postes d’équipier commercial, notamment dans le cadre de recrutements saisonniers : durant deux jours, la personne expérimente les mêmes conditions de travail qu’un salarié (hors horaires de nuit et ou conduite d’engins) en binôme », explique Alice Robert, chargée de développement RH chez METRO. Le but est de l’aider à prendre conscience de la réalité du terrain : « C’est essentiel dans le secteur de la grande distribution car un salarié réalise un panel d’activités qui ne sont pas évidentes telles que la manutention, le port de charge, la mise en rayon, le travail au froid… sans compter le rythme des horaires flexibles. »

Le guide pratique pour déployer une immersion

Les règles d’or à respecter

Afin de déployer une immersion efficace et pertinente pour son recrutement, Léo Bernard soumet deux prérequis :

  • Un processus vraiment immersif : « Il ne sert à rien de faire venir les talents si l’entreprise reproduit ce qu’elle fait en distanciel », confie-t-il. Ceci implique deux points clés : bien préparer sa journée et l’imbriquer, avec cohérence, dans l’expérience candidat globale. « Il faut une méthode bien calibrée pour offrir une journée sans couture qui permettra aux équipes de recrutement de prendre une décision juste. »
  • Une culture forte qui caractérise l’entreprise : « Alan en est un bon exemple : leur management et leurs processus sont très spécifiques : le candidat doit absolument être aligné avec ce modèle avant de rejoindre l’aventure », insiste Léo Bernard.

Côté mise en oeuvre, Céline Méchain met en avant trois règles indissociables :

  • Personnaliser sa journée d’immersion : « Chaque immersion doit être adaptée au profil du candidat, ce qui permet d’aborder les points d’intérêt spécifiques et d’évaluer la pertinence de la personne pour le poste et l’entreprise. »

  • Garantir une évaluation structurée : « L’entreprise doit élaborer des critères d’évaluation clairs et structurés pour mesurer les interactions, les compétences et l’adéquation culturelle des candidats ». Léo Bernard corrobore en soulignant que cette étape a vocation à fournir « un faisceau d’indices supplémentaires » qui doit nourrir une délibération finale.

  • Réaliser un suivi post-immersion : « Après la journée d’immersion, il est indispensable de recueillir les impressions des candidats, puis d’affiner l’expérience proposée. » Dans le cadre du PMSMP, l’entreprise doit également réaliser une évaluation à la fois métier et sur le savoir-être du candidat. « Cette évaluation est très enrichissante car différentes personnes, avec qui le stagiaire a été en interaction, contribuent aux retours », souligne Alice Robert.

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Les bonnes raisons de se lancer

  • Favoriser la compréhension mutuelle : « Cette journée sur le terrain est un espace inédit où les candidats et l’entreprise se découvrent de manière plus approfondie. Le panel d’interactions permet de déceler des aspects de personnalité, d’aptitude et d’attente qui ne sont pas toujours explicites lors d’entretiens classiques. Cette pratique limite ainsi le risque de voir des personnes ne pas s’entendre ou ne pas apprécier leur nouvel environnement de travail », insiste Céline Méchain. Aurélie Chabrol en atteste : « C’est une approche très efficace pour apprécier le fameux “fit” culturel. De plus, certaines personnes se rendent compte naturellement que le poste n’est pas en phase avec leurs attentes. »

  • Disposer d’une évaluation pratique : « Ces journées sont l’opportunité, pour les candidats, de mieux visualiser leurs missions et responsabilités, réduisant ainsi le risque de désalignement », explique Céline Méchain. C’est un moyen de limiter les recrutements « ratés » qui sont souvent dispendieux : selon ManPower, HR Voice et Opensourcing, le coût d’un recrutement raté oscille entre 30 000€ et 150 000€.

  • Accélérer l’assimilation culturelle : « Les candidats peuvent rapidement saisir les valeurs, la dynamique et les interactions qui prévalent au sein de l’organisation, facilitant ainsi une adhésion plus rapide et réussie en cas d’embauche », conclut Céline Méchain. « Au sein de METRO, cette période est considérée comme une mini période d’essai, ce qui rend le recrutement plus serein pour les deux parties », décrit Alice Robert. Par extension, l’entreprise valorise aussi sa marque employeur : c’est l’occasion de mettre en avant les métiers et le secteur d’activité auprès de candidats ciblés.

Les contraintes à prendre en compte

  • Attention à « l’artificialité temporelle » : « Une journée d’immersion reste une séquence limitée dans le temps : toutes les facettes de l’entreprise et du poste ne peuvent être appréhendées, faussant parfois la perception des candidats », explique notamment Céline Méchain.

  • Une pratique réservée à certains profils : « Cette pratique est plus utile pour des profils juniors », soutient Céline Méchain. Une position qui n’est pas défendue par Léo Bernard qui préconise justement l’immersion pour des postes clés (C-level, direction), nécessitant du travail en équipe et/ou pénuriques. « Une étape à positionner à la fin du parcours candidat et qui doit rester optionnelle », insiste-t-il.

  • Des contraintes logistiques à appréhender : « L’organisation exige des ressources considérables, tant en termes de temps que de logistique. La sélection des candidats pour cette phase doit être particulièrement rigoureuse afin de justifier les efforts investis », explique Céline Méchain.

  • À réserver aux entreprises « office first » : l’immersion en 100 % remote est déconseillée par Léo Bernard qui alerte sur l’effet déceptif d’une journée entière en distancielle. Néanmoins, « *il est possible de convier la personne lors d’un moment présentiel clé qui est organisé par l’entreprise : lors d’un déjeuner ou d’un dîner d’équipe ou encore lors d’un rassemblement tel qu’une conférence. Attention, il faut que ça reste organisé et calibré en amont : jamais d’improvisation » !


Article édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ