SOS Managers en détresse : « Oups, j’ai craqué devant mon équipe »

17. 1. 2024

7 min.

SOS Managers en détresse : « Oups, j’ai craqué devant mon équipe »
autor
Pauline Allione

Journaliste independante.

prispievatel

Quand vous avez été promu·e manager, vous étiez (avouez-le) loin d’imaginer ce que diriger une équipe impliquait vraiment. Car trouver le juste équilibre entre leadership, bienveillance et équité, entre autres choses, relève souvent du parcours du combattant. Dans cette série, notre expert du Lab Ludovic Girodon vous offre enfin les clés pour sortir la tête de l’eau face à vos problématiques du quotidien. Managers, suivez le guide !

Vos yeux s’embuent, votre gorge se noue… Vous êtes au beau milieu de l’open space, mais il est déjà trop tard pour retenir vos larmes. Que ce soit pour un problème personnel, des frustrations au travail ou une divergence d’opinion avec un collaborateur, aucun manager n’est à l’abri de se voir confronté à un risque de « craquage ». Et quand les vannes sont ouvertes, il est parfois difficile de gérer cette sortie de route humide. Mais comment anticiper au mieux de tels épisodes, voire éviter qu’ils ne se reproduisent trop souvent ? Juliette, Mayliss et Alice nous racontent la fois où leurs émotions ont débordées… face à leurs équipes.

« Ça n’allait plus dans ma famille depuis quelques mois, on pouvait le voir sur mon visage »

Quelques années en arrière, Juliette gère une équipe de quatre personnes dans le domaine du recrutement, dans un open space parisien. Préoccupée par un problème d’ordre familial, elle tente malgré tout de faire bonne figure au travail. « Ça faisait quelques mois que ça n’allait plus trop dans ma vie perso, j’étais à bout. Ce jour-là, on pouvait voir sur mon visage que j’étais contrariée. On m’a conseillé de rentrer chez moi, mais comme les larmes montaient, on s’est isolés dans une petite pièce avec deux collaborateurs, rembobine-t-elle. Ils savaient qu’un problème me pesait depuis quelque temps. L’une des collègues avec qui j’ai discuté a 20 ans de plus que moi. J’ai beau être sa manager au travail, dans le privé, c’est elle qui m’a conseillé et m’a partagé son expérience. »

À partir de cet épisode, la transparence s’impose définitivement au sein de l’équipe pour les salariés comme la manager : « On a tous eu des moments difficiles cette année-là. Quand l’un d’entre nous avait une passe un peu compliquée, on s’arrangeait pour faire passer le mot discrètement aux autres. » Son craquage a finalement permis à Juliette de relâcher la pression quant à la façade du manager infaillible : « Aujourd’hui, je n’essaie plus de cacher mes émotions, cela fait partie de la vie de l’entreprise. S’autoriser à craquer est le signe que les collaborateurs peuvent également le faire. Une fois, une collaboratrice m’a dit que ça faisait du bien de voir que parfois je n’allais pas bien. De voir, que moi aussi, j’étais sujette au stress, à la fatigue, à la pression. »

L’œil de l’expert

« Ne pas vouloir évoquer certains sujets d’ordre personnel au travail a une limite : vous n’êtes pas une personne dans la vie pro et une autre dans la vie perso. On a beau porter un masque sur son lieu de travail, parfois celui-ci devient trop lourd », constate l’expert en management Ludovic Girodon. L’idéal du manager superman ou superwoman est simplement inatteignable : « On pense que l’authenticité et l’humilité sont des caractéristiques qui vont nous faire perdre en légitimité et en leadership, mais c’est une idée erronée. Plus un manager va s’ouvrir, plus il sera compris, et plus son équipe aura envie de le suivre. » Rétrospectivement, Juliette aurait pu prendre un moment pour confier ses problèmes à l’ensemble de ses collaborateurs, sans forcément rentrer dans les détails. Ces discussions permettent d’anticiper d’éventuels impacts sur le travail – absence de dernière minute, agenda décalé… – et d’œuvrer à plus de compréhension et de confiance au sein de l’équipe. « Se livrer renforce les liens entre les collaborateurs et c’est ce que cette manager aurait gagné à faire », insiste Ludovic Girodon.

« J’essayais d’assumer mes nouvelles fonctions, d’endosser le boulot des autres, tout en continuant à faire mes propres missions »

Efficace dans ses fonctions de consultante en relations presse, Mayliss est promue manager au sein du cabinet où elle travaille depuis quelques mois. Seule ombre au tableau : n’étant pas formée, elle ne sait comment s’y prendre avec sa nouvelle équipe. « À mon sens, je n’avais aucune crédibilité. Les juniors que je manageais n’avaient pas réellement envie de faire ce boulot, ni de rester dans l’entreprise. Et comme si ça ne suffisait pas, je n’avais aucune affinité avec eux. J’essayais d’assumer mes nouvelles fonctions, d’endosser le boulot qu’ils ne faisaient pas, tout en continuant à faire mes propres missions, mais ça n’a pas tenu longtemps. J’ai complètement craqué au bout de trois mois et ce jour-là, impossible d’arrêter les vannes. Pendant une semaine j’étais à fleur de peau, les larmes montaient très vite », retrace la Parisienne.

Compréhensifs vis-à-vis de leur N+1 qu’ils voient surmenée depuis quelques mois, les membres de son équipe comprennent plus difficilement le manque d’accompagnement de leur direction. « Ces gens sortaient de l’école. Ils avaient pris leur poste en attendant de trouver mieux. Cet épisode les a confortés dans l’idée de ne pas rester », commente Mayliss. Au fil des semaines, ces jeunes recrues quittent progressivement la boîte pour d’autres horizons. « J’ai finalement eu une nouvelle équipe. J’ai retenu qu’il ne fallait pas faire le travail des autres et j’ai appris à me séparer des personnes avec qui ça ne le faisait pas », résume encore la consultante, qui est finalement restée manager plusieurs années.

L’œil de l’expert

L’erreur de Mayliss ? Avoir endossé la charge de travail de ses collaborateurs. « Il y a clairement un problème de cadre, les règles du jeu ne sont pas suffisamment claires. Un manager ne peut pas être à la fois le contributeur et le manager. La principale difficulté rencontrée dans ce poste est la course contre le temps, parce qu’en général il y a deux casquettes : celle de manager et celle d’opérationnel, observe l’expert en management. Ici, la casquette opérationnelle a pris toute la place au point de rendre l’équation irrésolvable. » Pour l’expert, la problématique remonte même plus haut, au management de la manager : « Si son propre management ne comprend pas ces difficultés et ne change pas les choses en profondeur, il faut envisager de quitter l’entreprise pour se préserver. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les collaborateurs. »

Être à l’écoute de vos émotions et des signaux envoyés par votre corps pour agir en conséquence est également un bon moyen de vous prémunir des craquages en public : « Quand ça ne va pas, un manager doit savoir quitter son équipe pour mieux la retrouver. L’image du masque à oxygène est assez éloquente : dans l’avion, il faut mettre son propre masque avant de s’occuper des gens autour de soi. Au travail, c’est pareil : quand vous sentez que vous avez moins d’énergie et que vous êtes moins investi, il faut savoir dire stop. Poser des jours de congés, reporter des réunions et rester chez soi… La Terre ne s’arrêtera pas de
tourner.
»

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On vous en dit plus ?

« Avec la colère, j’ai tout lâché… dont des choses sur mon boss dont je ne suis pas fière »

Dans l’organisme de formations où elle travaille, à Lyon, Alice mise sur un management de proximité. « Nous sommes des êtres humains et il serait hypocrite de dire que nos émotions restent à la porte du boulot. C’est faux. Dans mon management, je parle des choses qui m’irritent ou qui m’affectent, mais aussi des choses positives. Je n’ai pas cette barrière rigide du “manager”, et cela permet de créer un climat où les membres de mon équipe se sentent libres de parler de ce qui les touche », détaille la directrice de formation.

Si les épisodes de craquages sont autorisés, compris, voire anticipés, Alice estime qu’une fois, elle est allée trop loin. Face à un N+1 de type « coach sportif », qui se montre plus directif qu’empathique, elle finit par vriller : « Lors d’une discussion, j’ai eu l’impression que mon manager me demandait uniquement de faire du chiffre et d’être sur le dos de mon équipe alors que je n’étais pas là pour ça. » Alice quitte alors son lieu de travail au bord des larmes. En route, elle croise un membre de son équipe et se livre à cœur ouvert. « Avec l’émotion, je lui lâche tout, dont des choses sur mon manager, qui est aussi le fondateur de la boîte. Partager ses frustrations, c’est une chose. Mais déverser sa colère avec des propos comme : “Si c’est comme ça, ce boulot ne m’intéresse pas”, c’en est une autre… Je l’ai vraiment regretté, je n’en suis pas fière », reconnaît-elle. Après un point avec son N+1, Alice tente de ravaler les mots qui lui ont échappé auprès de son équipe : « Je leur ai dit que la discussion avait été constructive, que j’avais été entendue… J’ai vraiment mis en avant mon manager pour éviter que son image n’en pâtisse. Mais comme dans chaque entreprise, tout le monde a son appréciation du boss et mes paroles ont malheureusement alimenté certaines frustrations. »

L’œil de l’expert

« Cette personne a craqué alors qu’elle aurait mieux fait de rester sur la réserve. On peut parler de sujets personnels à son équipe, mais en respectant une limite. Ces discussions doivent servir, non pas à expliciter un problème, mais à expliquer l’impact de ce problème à l’avenir, afin d’inviter son équipe à réagir de manière adéquate », pose Ludovic Girodon. L’expert ose un parallèle entre le métier de manager et celui d’équilibriste : un manager tombe, se trompe, perd l’équilibre, se redresse… « Très peu de managers sont dans leur zone de confort, tout l’enjeu est de parvenir à retenir la pression et protéger son équipe. Parfois, quand ça ne va pas, une petite goutte fait déborder le vase. Il n’y a alors rien de pire que de déverser des choses négatives vis-à-vis de ses collègues ou pire, de son management. » Décridibisantes pour tous les protagonistes impliqués, ces paroles doivent être contenues grâce à un savant exercice de manager « tampon », quitte à ce que celui-ci s’éloigne temporairement du travail s’il se sent flancher. « Ce n’est pas une fuite, au contraire : c’est la capacité à gérer les temps forts comme les temps faibles », affirme Ludovic Girodon.

S’il arrive de laisser aller sa tristesse au fond de son lit, les larmes peuvent aussi débarquer en pleine journée, sur son lieu de travail. En tant que manager, vous n’êtes pas une super-version de notre espèce blindée face aux émotions négatives. Vous pouvez également vous montrer fatigué, vulnérable, désemparé. Et en post-craquage, alors ? Pas de panique, se montrer vulnérable et les yeux bouffis n’a rien de dramatique. Une fois les émotions évacuées et à tête reposée, prenez les choses en main et revenez sur cet épisode avec votre équipe :
« Décryptez ce qui a pu se passer et projetez-vous avec vos collaborateurs : si un événement similaire se reproduit dans le futur, comment voulez-vous le gérer ? Des règles collectives, établies ensemble, permettront d’anticiper ce genre d’événement, afin que la personne qui se sent mal puisse le vivre du mieux possible. »

Certains prénoms ont été modifiés.

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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