L’état de « flow », ou comment atteindre les sommets de la concentration

24 mars 2021

5min

L’état de « flow », ou comment atteindre les sommets de la concentration
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

Qu’ont en commun un joueur d’échecs, un joggeur du dimanche, un manager plongé dans la rédaction d’un rapport et un serveur de bar en plein rush ? Tous sont susceptibles d’expérimenter le « flow », cet état pendant lequel le corps et l’esprit sont entièrement dans le moment présent, absorbés par une seule tâche. Une sensation de concentration intense, qui glisse sur le temps. En sortir, c’est comme remonter à la surface et se reconnecter au monde extérieur. Avec un sentiment de plénitude, de bonheur simple.

Comment et pourquoi se produit-il ? Que se passe-t-il dans le cerveau ? Peut-on le provoquer ? Chez Welcome to the Jungle, on a enquêté sur le sujet dans le documentaire Achieving flow disponible sur notre plateforme de contenus vidéos et audio premium : Welcome Originals, et on livre ici quelques pistes.

À la recherche du flow

Le psychologue hongrois Mihály Csíkszentmihályi (à vos souhaits) est connu comme l’architecte de la théorie du flow. Son intérêt pour le sujet est né dans les années 60, au cours de recherches sur le processus créatif. Il observe alors des artistes en plein travail et est intrigué par leur concentration extrême, leur persévérance malgré l’inconfort, la fatigue ou la faim, et l’état de bien-être qu’ils ressentent une fois leur tâche terminée. Tous décrivent ce qu’ils ressentent par une sensation de « fluidité ». Le chercheur baptise alors cet état le « flow ». Et depuis plus de vingt ans, il cherche à comprendre comment il peut être créé et contrôlé.

Aujourd’hui, son travail est souvent exploité par les coachs et experts en productivité avec l’ambition d’augmenter l’efficacité et la concentration. Et ça marche. Pourtant, ces états ne sont que des « effets secondaires » du flow. Et en réalité, les recherches de Mihály Csíkszentmihályi ont principalement pour objectif de comprendre le flow pour permettre aux individus d’être plus heureux et épanouis. « Les meilleurs moments de notre vie ne sont pas les moments passifs, réceptifs, relaxants… Les meilleurs moments se produisent généralement quand le corps ou l’esprit d’une personne est poussé à ses limites dans un effort volontaire pour accomplir quelque chose de difficile et qui en vaut la peine », écrit-il dans son livre Vivre la psychologie du bonheur (Éditions Léandre Bouffard).

Écrire des lignes de code, faire un footing, peindre un tableau… différents types d’activités sont donc susceptibles de provoquer le flow. Leur point commun ? Elles supposent de réaliser une tâche précise, avec un objectif clair, en obtenant un feedback direct. Les jeux vidéos sont, par exemple, conçus pour provoquer cet état. Ils augmentent progressivement le niveau de difficulté pour maintenir le joueur dans un équilibre entre concentration et satisfaction intense, jusqu’à ce que celui-ci ne voit plus passer les heures. Bref, le flow, c’est à la fois la fusion de l’action et de la conscience, une sensation de contrôle total, et l’altération de la perception du temps.

Que se passe-t-il dans le cerveau ?

« C’est l’exact opposé d’un état de conscience. On se perd tellement dans le travail que l’on ne réalise pas qu’on entre dans un état plus profond », nous a raconté Thomas Chatterton Williams - critique culturel et auteur américain - dans le cadre de notre documentaire. « J’avais l’impression que mon corps travaillait tout seul, je volais de table en table sans rien oublier, et sans voir le temps passer », partage avec nous Sarah, serveuse pendant ses années étudiantes. « C’est dans cet état que je rédige les meilleurs contenus, je n’ai même pas besoin de me relire, je sais que mon cerveau a trouvé les bons mots », ajoute Florent, auteur et formateur.

Mais que se passe-t-il réellement dans le cerveau d’une personne qui est dans un état de flow ? Le flow provoque des changements dans l’activité cérébrale. Les ondes du cerveau ralentissent, améliorant ainsi la concentration et la libre circulation des informations, ce qui entraîne un sentiment « d’exécution sans effort ». Le cortex préfrontal - qui abrite les prises de décision complexes et la conscience de soi - s’éteint pour laisser place à d’autres régions du cerveau permettant de nouvelles connexions créatives. En parallèle, un véritable cocktail d’hormones est libéré, contribuant au bien-être et à la concentration : dopamine, sérotonine, endorphine, etc.

Comment entrer dans l’état de flow ?

Le flow contribue au bien-être personnel, mais il est aussi clé dans le monde professionnel. Non seulement il permet d’être entièrement concentré sur une tâche et donc plus productif et plus habile, mais il permet aussi de générer des idées nouvelles, de sortir des sentiers battus : « La qualité de l’état de flow, c’est qu’il nous permet de prendre des risques et donc de sortir de la pensée conventionnelle, de perdre l’attachement au statu quo, au confort. Dans ces états, on a davantage accès à notre potentiel créatif », explique Samah Karaki, neuroscientifique et co-fondatrice du Social Brain Institute, également interrogée dans notre documentaire.

Mais alors, comment provoquer le flow ? S’il n’existe pas de formule magique, quelques conditions permettent de l’atteindre plus facilement.

  • Trouver le bon équilibre entre ses compétences et la difficulté de la tâche. Celle-ci doit être suffisamment difficile pour maintenir le cerveau engagé, avec un résultat suffisamment atteignable pour ne pas le frustrer ou le stresser. Même les tâches les plus rébarbatives peuvent provoquer l’état de flow si on y ajoute un défi : envoyer 20 CV en trouvant une nouvelle phrase d’accroche à chaque fois, trier une pile de vieux dossiers en moins de 3 minutes…

  • Habituer son cerveau à la tâche. Le flow demande un lâcher-prise que le cerveau ne peut atteindre que lorsqu’il a développé certains automatismes. À l’image des pratiquants d’arts martiaux qui répètent un mouvement des centaines de fois pour développer un réflexe inconscient, ces automatismes ne peuvent être atteints que par un véritable entraînement.

  • Se fixer des objectifs clairs. Le cerveau doit chercher à atteindre un résultat spécifique, permettant à l’attention de se concentrer entièrement sur la tâche en cours.

  • Avoir un feedback direct et immédiat. Des objectifs clairs guident l’action, un feedback indique comment l’améliorer. Il permet ainsi de se maintenir dans le présent.

  • Éliminer les distractions. Car la plongée vers le flow est progressive. Toutes les distractions externes (notifications, bruit,…) ou internes (stress, faim,…) peuvent couper court à cette progression.

  • Ecouter de la musique, mais pas n’importe laquelle. La musique a le pouvoir de moduler les états émotionnels. Si elle peut rendre joyeux ou triste, elle peut aussi contribuer à atteindre le flow. Plusieurs critères permettent de construire une playlist « spéciale flow » : des musiques répétitives (type techno, lounge, classique,…), sans paroles ET familières.

  • S’accorder sur son horloge biologique. Chaque individu a un rythme différent, avec des temps plus ou moins propices à la concentration. Les connaître permet de mieux en tirer parti.

  • Trouver une motivation intrinsèque à la tâche. La motivation extrinsèque (extérieure) peut être comparée à l’approche « carotte ou bâton ». Au contraire, la motivation intrinsèque (intérieure) est un engagement volontaire et plaisant. Il faut avoir envie de réaliser la tâche simplement parce qu’elle nous intéresse.

L’état de flow permet de rendre son quotidien et ses activités plus agréables. Non seulement en améliorant ses performances, mais surtout en contribuant au bien-être. Mais le flow reste une expérience capricieuse, difficile à atteindre volontairement lorsqu’on en connaît mal les contours… Heureusement, la capacité à l’atteindre s’améliore avec de la pratique et une meilleure connaissance de soi. « C’est comme un orgasme, raconte Johanna, rédactrice web, avant de l’avoir vécu on ne sait pas vraiment ce que c’est. Mais une fois qu’on l’a expérimenté, on SAIT que c’était ça et on a envie de le vivre à nouveau ». Alors, prêt pour le 7ème ciel ? (Et en plus, celui-ci est Covid-friendly)

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Photo by WTTJ

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