Cultures d'entreprise : connaissez-vous le secret des plus puissantes ?

Publié dans Le book club du taf

11 juin 2018

8min

Cultures d'entreprise : connaissez-vous le secret des plus puissantes ?
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

LE BOOK CLUB DU TAF - Dans cette jungle (encore une !) qu’est la littérature traitant de la thématique du travail, difficile d’identifier les ouvrages de référence. Autrice et conférencière sur le futur du travail, notre experte du Lab Laetitia Vitaud a une passion : lire les meilleurs bouquins sur le sujet, et vous en livrer la substantifique moelle. Découvrez chaque mois, son dernier livre de chevet pour vous inspirer.

Aujourd’hui, zoom sur The Culture Code : The Secrets of Highly Successful Groups de Daniel Coyle. Ou la perçée du “code culturel” commun à toutes les équipes performantes. Bref, un indispensable.*

Le code culturel des équipes performantes : sécurité psychologique et objectif commun

Qu’est-ce que les équipes performantes ont en commun ? À quoi ressemble la culture de ces équipes ? Existe-t-il une recette ou un modèle pouvant inspirer d’autres entreprises à faire mieux ?

Daniel Coyle, l’auteur du best-seller The Talent Code : Greatness isn’t born. It’s grown (2010), estime qu’il existe bien un «  code culturel » commun à toutes les équipes performantes. Dans The Culture Code : The Secrets of Highly Successful Groups (2018), il s’intéresse aux raisons pour lesquelles les équipes performantes de différentes organisations travaillent si bien ensemble. Il identifie notamment certains facteurs clés qui contribuent à la cohésion d’une équipe.

En règle générale, nous avons tendance à avoir une conception biaisée de la culture, considérant qu’il s’agit d’une caractéristique faisant partie intégrante de l’ADN d’un groupe. Mais elle ne tient en aucun cas au hasard. En réalité, la culture est construite de toutes pièces et nécessite un ensemble de compétences spécifiques. Les cultures des entreprises qui réussissent ont créé un environnement de sécurité affective dans lequel les gens peuvent partager leur vulnérabilité, tout en reposant sur un objectif clairement établi.

« Même si une culture performante peut sembler tenir de la magie, ce n’est absolument pas le cas. La culture est un ensemble de relations vivantes œuvrant vers un objectif commun. Ce n’est pas quelque chose que vous êtes. C’est quelque chose que vous faites ».
Daniel Coyle dans The Culture Code : The Secrets of Highly Successful Groups.

Créer un environnement de sécurité psychologique

L’entreprise, notre belle famille

« La sécurité ne se résume pas à un simple climat émotionnel il s’agit plutôt du fondement sur lequel repose une culture forte. » La plupart des équipes performantes qui se sentent suffisamment en sécurité pour collaborer efficacement utilisent le terme de «  famille  » pour définir les relations qui unissent les membres de leur équipe.

Lors de ses rencontres avec de nombreuses équipes fonctionnant bien ensemble dans différentes organisations, Coyle a identifié une structure d’interactions propre (dans les petits moments de lien social) que tous partagent : proximité physique, contact visuel intense, contact physique, brefs échanges énergétiques, haut niveau de mixité, peu d’interruptions, nombreuses questions, écoute active, éclats de rire et politesse bienveillante (remerciements, ouverture des portes…). Il qualifie le type d’alchimie dont il a été témoin de sentiment « physiquement addictif ».

Les scientifiques affirment que nos cerveaux sont en permanence à la recherche de tous les «  signaux d’appartenance » que le groupe peut offrir. Ces signaux sont pour nous synonymes d’un environnement sûr, ils sont le « pouls constant des interactions au sein d’un lien social », comme autant de messages qui disent « tu es en sécurité ici ». Ils ont trois qualités principales : l’énergie (dans chaque échange), l’individualisation (chaque personne est unique et valorisée) et l’orientation future (avec des signaux indiquant que la relation est pérenne). Ces signaux indiquent à nos cerveaux hypervigilants qu’ils n’ont plus à s’inquiéter et peuvent donc passer en mode de connexion. C’est ce que l’on nomme la sécurité psychologique.

L’importance des signaux d’appartenance

L’appartenance à des signaux joue un rôle important dans les performances d’une équipe. En réalité, leur importance est supérieure à celle du propos lui-même. Lors d’une étude menée à Harvard, les scientifiques ont analysé un concours au cours duquel des entrepreneurs ont présenté des idées de société à des dirigeants, les résultats ont révélé que l’ « on ne s’intéresse pas au contenu informatif des messages ; on regarde les modèles au moyen desquels le message est envoyé ». La cohésion n’est pas liée à l’intelligence des membres du groupe, mais à l’envoi de signaux stables d’une connexion sécurisée.

Pour illustrer l’importance des « signaux d’appartenance », Coyle explore un incroyable événement historique : la Trêve de Noël survenue pendant l’hiver 1914 au cours de la Première Guerre mondiale. Les historiens affirment que cette trêve a concerné des dizaines de milliers d’hommes des deux côtés des tranchées. Les interactions entre les soldats ennemis consistaient notamment à manger, boire, chanter, échanger des photos, jouer au football et à enterrer leurs morts. « Dans les annales de l’Histoire, rares sont les cas où la violence totale s’est aussi rapidement et complètement transformée en chaleur humaine ». La proximité des soldats ennemis dans les tranchées a facilité le développement d’une empathie entre des hommes qui étaient soumis à la même routine, la même vie quotidienne, aux mêmes rotations et réapprovisionnements. (Ces signes d’appartenance spontanés et ces expressions d’empathie inattendues n’ont évidemment pas plu aux généraux qui ont donc décidé de mettre fin à la fraternisation en ordonnant des raids et en relevant les troupes.)

Pour créer une appartenance, la proximité physique est la clé. Il y a un demi-siècle, Thomas Allen, professeur au MIT, avait étudié le modèle de « clusters of high communicators » (agrégats d’une communication efficace) et avait découvert que l’émergence d’une équipe performante devait moins à l’intelligence et à l’expérience qu’à la localisation des bureaux. Selon Allen, « Une chose aussi simple que le contact visuel est très, très important, plus important que vous ne le pensez ». À une distance inférieure à huit mètres, la fréquence des communications augmente rapidement. « Tout au long de la majeure partie de l’histoire de l’humanité, la proximité durable a été un indicateur d’appartenance – nous ne nous rapprochons pas systématiquement d’une personne à moins d’estimer mutuellement que la situation est sans danger ».

Les conseils pratiques de Coyle pour renforcer l’appartenance

  • 1. Soulignez votre écoute : adopter une posture adaptée (se pencher vers l’orateur) et ne pas l’interrompre sont de bons indicateurs de la performance d’un groupe uni.

  • 2. Acceptez le messager : il ne suffit pas de « ne pas tuer » le messager porteur de mauvaises nouvelles, il faut même le remercier !

  • 3. Ne soyez pas avare de remerciements : les mercis ne sont pas de simples expressions de gratitude, ce sont des signaux d’appartenance qui communiquent la sécurité et la connexion.

  • 4. Écartez les mauvais éléments : lorsque le ver est dans la pomme, les conséquences sur un groupe peuvent être terrifiantes. Une seule personne peut détruire la cohésion de tout un groupe. C’est pourquoi la sélection à l’embauche est essentielle : « No dickheads » (pas de têtes de nœud).

  • 5. Créez des espaces sûrs et riches d’échanges : toutes les équipes performantes ont à cœur de susciter la cohésion afin de l’utiliser comme levier de réussite. Certains se concentrent sur le partage de bons petits plats pour créer une synergie.

  • 6. Videz les poubelles : les dirigeants doivent développer une « culture de l’humilité », c’est-à-dire montrer un état d’esprit consistant à rechercher des moyens simples d’être utile au groupe (comme vider les poubelles).

Favoriser le partage des vulnérabilités

La boucle de vulnérabilité

« À un certain niveau, nous savons intuitivement que la vulnérabilité a tendance à susciter la coopération et la confiance ». Dr Jeff Polzer, professeur de gestion des ressources humaines à Harvard, souligne que la vulnérabilité impacte moins celui qui se confie que son interlocuteur. La «  vulnerability loop » (boucle de vulnérabilité) consiste en un échange d’ouverture à l’autre partagé.
Il s’agit de « la pierre angulaire de la coopération et de la confiance » :

  • La personne A envoie un signal de vulnérabilité.
  • La personne B détecte ce signal.
  • La personne B répond en partageant sa propre vulnérabilité.
  • La personne A détecte ce signal.
    Une norme est établie : la proximité et la confiance se développent.

Le lien entre vulnérabilité et coopération s’applique aussi bien aux groupes qu’aux individus. De plus, la boucle de vulnérabilité est contagieuse. « La science montre que lorsqu’il s’agit de favoriser la coopération, la vulnérabilité n’est pas un risque, mais une exigence psychologique ». Les échanges de vulnérabilité, que nous préférons généralement éviter, enclenchent le mécanisme du travail en équipe : en reconnaissant nos limites, nous signalons que nous sommes conscients d’avoir besoin des compétences complémentaires de l’équipe. Partager sa vulnérabilité est synonyme de « j’ai besoin de toi ».

Coyle décrit longuement le caractère unique de l’esprit d’équipe des Navy SEAL (Forces spéciales de la marine de guerre des États-Unis) où tous les gradés ont l’habitude de partager leurs vulnérabilités et de rester ouverts aux suggestions. Les SEALs peuvent donc fonctionner comme une ruche.

Nous sommes tous victimes de l’« authority bias », principe selon lequel la parole d’un supérieur hiérarchique aura plus de valeur que celle d’un subordonné. C’est un principe que tous les managers doivent connaître. Pour favoriser la coopération, ils doivent éviter de donner des ordres et au contraire poser beaucoup de questions. (« Même si les questions ne représentent que 6 % des interactions verbales, elles génèrent 60 % des discussions qui s’ensuivent. »)

Les questions ont souvent le mérite d’aider des idées novatrices à « émerger ». Les questions les plus pertinentes ont souvent un lien avec des émotions plus profondes (peur, ambition, motivation). Les capacités d’écoute d’un dirigeant sont essentielles. « Les moments les plus importants d’une conversation se produisent lorsqu’une personne écoute activement et intensément ».

Les conseils pratiques de Coyle pour développer des pratiques de partage de vulnérabilités

  • 1. Assurez-vous que le dirigeant évoque fréquemment et le premier ses vulnérabilités : aucun moment de vulnérabilité ne donne plus de pouvoir que le moment où un dirigeant avoue une vulnérabilité.
  • 2. Écoutez comme un trampoline : les auditeurs les plus efficaces réagissent comme des trampolines (ils font preuve de perspicacité et créent des moments de découverte mutuelle).
  • 3. Soyez franc, mais évitez l’honnêteté brutale : un retour d’information plus concis et plus ciblé sera moins jugeant et moins personnel (moins douloureux et plus efficace).
  • 4. Harmonisez votre discours et vos actes : de nombreux groupes performants en termes de coopération utilisent le langage pour renforcer leur interdépendance, ce qui renforcera également l’identité partagée du groupe.

Donner du sens au travail commun

L’incroyable pouvoir des histoires

Coyle insiste sur le fait que le pouvoir des histoires est presque sans limites. Les histoires ne sont pas seulement des histoires, elles conditionnent notre comportement.

« Le but n’est pas de puiser dans un disque dur interne mystique, mais plutôt de créer des balises simples qui focalisent l’attention et l’engagement des membres du groupe sur un objectif commun. Les cultures performantes cherchent sans relâche des moyens d’écrire, de raconter et transmettre leur histoire. Pour ce faire, ils établissent ce que nous appellerons un environnement hautement spécialisé ».

Adam Grant, auteur et spécialiste en psychologie organisationnelle à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie, en propose un bon exemple dans son travail. On lui a demandé de s’intéresser aux mauvaises performances d’employés d’un centre d’appel qui téléphonaient à d’anciens étudiants pour leur demander de donner de l’argent.

Il les a aidés à améliorer leur efficacité en créant un environnement propice à ces travailleurs : il leur a expliqué le but de leur travail en leur présentant des boursiers dont la vie avait été transformée par ces dons (les bourses d’études sont l’une des raisons de la collecte de fonds). Une simple histoire a contribué à « orienter la motivation comme un champ magnétique dirige l’aiguille d’une boussole vers le nord ».

Beaucoup d’équipes performantes ont forgé leurs cultures fortes dans des moments de crise, car ce sont ces périodes qui les aident à concrétiser leur objectif. « Aussi douloureux qu’ils soient, ces moments ont été le creuset qui a permis au groupe de découvrir ce qu’il pouvait devenir ».

Les conseils pratiques de Coyle pour donner du sens

  • 1. Nommez et hiérarchisez vos priorités : les groupes les plus performants ont une liste réduite de priorités et font des relations entre les membres du groupe (la façon dont ils se comportent entre eux) leur priorité numéro un. « Leur plus grand projet est de construire et de maintenir le groupe lui-même ».
  • 2. Soyez très clair sur vos priorités : la plupart des employés connaîtront les priorités de leur groupe uniquement si celles-ci peuvent être vues et entendues partout. Les slogans (ou autres phrases fétiches) peuvent être utiles.
  • 3. Mesurez ce qui compte vraiment : aux débuts de la société Zappos, les employés des centres d’appel étaient évalués sur le nombre d’appels qu’ils traitaient par heure, ce qui entraînait des comportements indésirables (précipitation et trop grande brièveté). Tony Hsieh a banni ces indicateurs.
  • 4. Utilisez des symboles qui ont du sens : objets, portraits, mascottes, modèles… sont souvent plus efficaces que des mots pour exprimer la mission d’une entreprise.

Articlé édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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