Télébullshit : votre future entreprise est-elle si ouverte que ça au télétravail ?

23 ene 2024

6 min

Télébullshit : votre future entreprise est-elle si ouverte que ça au télétravail ?
autorcolaborador

Depuis la crise du covid 19, le télétravail n’est plus un joker qu’on sortait de notre poche quand on était patraque ou qu’on avait un impératif. C’est une nouvelle définition du travail sur laquelle il faut désormais compter. Il y a eu les confinements, l’arrivée de technologies dédiées et la mondialisation des échanges professionnels. Autant de facteurs qui ont modifié notre perception du travail, du quand et comment il se pratique. Les entreprises sont nombreuses à avoir ouvert les traditionnels quatre murs du bureau pour encourager la collaboration par écran (e-mails, chats, outils de gestion) interposé(s).

Cette petite révolution ne s’est pas faite sans quelques défis, notamment celui de savoir ce que « télétravail » veut dire exactement. Parce qu’il y a les promesses, et la réalité. Doit-on rester dans la même ville que sa boîte ou peut-on vivre en digital nomad ? Y a-t-il un rythme à respecter ou peut-on venir au bureau quand bon nous semble ? Malheureusement en process de recrutement, certaines entreprises nous vendent la possibilité de télétravailler… sans rien garantir derrière, juste pour nous attirer. Alors comment savoir si c’est un appât  ? En d’autres termes, est-ce que ça ne sentirait pas un peu le « télébullshit » ?

Qu’est-ce que le « télébullshit » ?

Derrière ce néologisme franglais s’entassent toutes les exagérations, petits flous et gros bobards dont certaines entreprises habillent leur politique de télétravail pour attirer les profils dont elles ont besoin. Un miel qui peut sentir mauvais une fois le contrat signé : « Ah oui mais non, ça ne va finalement pas se passer comme annoncé pour ton super poste à distance. »

Alors comment repérer le télébullshit dès la phase d’entretien ? Nadia Harris, qui a fondé remoteworkadvocate.com, un blog et site de formation pour trouver un job en télétravail, est une fervente défenseure du télétravail depuis de longues années. Elle creuse, fouille, pour savoir si les politiques mises en place dans les entreprises sont justifiées pour interroger la définition du télétravail et informer sur les questions à poser en entretien.

Une boîte à distance, ça veut dire quoi ?

« À distance » est une expression ambiguë. Par exemple, certaines entreprises annoncent que chez elles c’est télétravail d’abord, mais exigent de leurs salariés qu’ils restent dans le pays. Pour d’autres, « à distance » veut bel et bien dire depuis n’importe où dans le monde. Pour Nadia Harris, la définition est simple : « Normalement dans le travail à distance, peu importe où chaque personne est basée. Ce qui compte, c’est que les salariés mènent à bien leur travail de façon optimale. Les attentes sur les résultats sont à définir avec l’entreprise. »

Selon Nadia Harris, les employeurs qui se disent ouverts au full remote mais continuent de vouloir des collaborateurs connectés aux horaires habituels de bureau ne permettent pas de pousser l’expérience du télétravail au maximum de son potentiel. « Travailler depuis chez soi est une forme de télétravail, mais il s’agit de deux concepts différents. »

C’est un premier critère qui doit vous faire tiquer, selon la spécialiste. Elle cite ainsi des pratiques qui réclament de la vigilance dès la phase d’entretien. Vous pouvez ainsi questionner l’entreprise sur ces points :

  • Les horaires sont-ils imposés (avec éventuellement suivi des mouvements de la souris ou outils de suivi du même genre) ?
  • Les pauses doivent-elles être signalées et/ou enregistrées ?
  • Y a-t-il une politique de travail globale ? Ou est-il autorisé à certains profils/métiers en particulier ?
  • Peut-on travailler ailleurs que chez soi ?
  • L’entreprise a-t-elle mis en place une charte de télétravail à laquelle se référer ?

« En fonction des réponses, ces éléments peuvent clairement indiquer si l’entreprise pratique le télébullshit », explique l’experte.

Quelles questions poser en entretien ?

Si le sujet du télétravail est un peu flou dans ce que vous avez lu ou découvert de l’entreprise, vous allez devoir le clarifier en posant des questions. Si l’annonce parle d’un poste avant tout en télétravail, ne partez pas pour autant du principe que vous et votre employeur potentiel en avez la même définition. Vérifiez, auprès des RH ou du management, ce qu’ils entendent par « télétravail ». Nadia Harris est claire sur le sujet : « Les candidats ont droit à une pleine transparence. Une entreprise ne peut pas publier une offre en full remote quand en réalité on vous parle d’une “possibilité” de travailler depuis chez vous ou qu’on vous demande de “venir au bureau de temps à autre”. »

Pour décrypter la politique de télétravail réellement appliquée par l’entreprise, Nadia Harris propose les approches suivantes :

  • Renseignez-vous sur l’équipe. Où est-elle basée ? Dans la même ville ? Dans le pays ? Aux quatre coins de la planète ? L’entreprise privilégie-t-elle le salariat ou la sous-traitance ? Comment facilite-t-elle la collaboration asynchrone ?
  • Abordez la question des horaires. Les heures sont-elles pointées ? Si oui, pourquoi ? Y a-t-il une plage horaire quotidienne imposée ?
  • Posez des questions sur l’organisation au quotidien. Comment les salariés rendent-ils compte de leur travail ? Comment l’équipe communique-t-elle ?

Une fois que vous avez eu des réponses, demandez des « preuves » ou exemples. Selon Nadia Harris, une entreprise qui propose officiellement du télétravail doit avoir un référentiel consultable, où ces principes sont écrits noir sur blanc. « Il devrait y avoir un guide, des bonnes pratiques. Si ce n’est pas le cas, il y a le risque que l’employeur tombe dans ce qu’on appelle le biais de proximité, où on finit par checker la puce verte sur Slack, à savoir l’indicateur d’un salarié connecté. »

Les entreprises qui offrent un modèle de travail hybride peuvent être ouvertes à la discussion et entendre vos demandes, estime Nadia Harris. Celles qui annoncent que chez elles, c’est avant tout du présentiel, le seront beaucoup moins. « Ne perdez pas de temps à postuler, sauf si vous savez avec certitude que l’entreprise fait des exceptions. »

Préparez le terrain

Avec le full remote (ou presque), vous imaginez déjà vos journées avec ordi sous les cocotiers ? Avant d’écarter un job parce qu’on n’y propose pas du 100 % télétravail, demandez-vous si c’est là votre unique critère.

Comme le dit Nadia Harris, « le télétravail n’est pas un travail en soi, mais un travail qu’on peut faire à distance. Avant de chercher un poste en remote, faites le point sur vos compétences, votre expérience et vos envies professionnelles. Ne postulez pas uniquement parce que c’est du télétravail. »

S’il est clair et net pour vous que c’est télétravail ou rien, et que l’entreprise convoitée serait prête à vous l’accorder (tel que vous l’entendez), foncez, en adaptant votre candidature, c’est-à-dire en clarifiant votre définition du télétravail et en montrant votre capacité à gérer ce mode de travail. Et avant de signer, vérifiez que tout le monde est d’accord sur les conditions exactes de votre télétravail.

« La concurrence s’intensifie sur le marché du travail à distance, souligne Nadia Harris. Il faut donc vous présenter en vous démarquant et en valorisant votre profil. Si vous intégrez une équipe multiculturelle, précisez par exemple si vous fonctionnez davantage de manière implicite ou explicite (car cela varie selon les cultures) et comment travailler au mieux avec vous. Vous pouvez aussi échanger avec votre futur manager sur votre façon de travailler et ce que vous attendez idéalement en retour, pour voir si ça peut matcher. »

Pour finir, la spécialiste du sujet rappelle que l’un des aspects les plus importants pour réussir en télétravail est de se poser un certain cadre et se fixer des priorités. « C’est se donner toutes les chances de construire une relation de travail durable et épanouissante », souligne-t-elle.

Les tactiques à retenir pour repérer le télébullshit dès l’entretien :

Activez votre détecteur et passez au crible le discours de l’entreprise sur sa politique de travail à distance :

  • Demandez si vous devez venir au bureau de temps en temps. Si vous souhaitez un vrai full remote, assurez-vous qu’il n’y ait pas l’obligation de faire acte de présence à certains moments (dans les locaux ou ailleurs), sauf si bien sûr vous avez une certaine souplesse sur la question. Attention toutefois si vous comptez un jour partir bosser à l’autre bout du monde).
  • Posez bien la différence entre travailler de chez vous et travailler à distance. Une fois validé, le principe d’un 100 % remote (sans présentiel exigé), faites bien la distinction entre les deux. Si vous travaillez de chez vous, devez-vous être dans la même région ou le même pays que votre entreprise ? Si ce n’est pas le cas, renseignez-vous sur les éventuels aspects juridiques d’un départ hors des frontières.
  • Faites le point sur les méthodes de travail, de reporting et la manière dont vos rendus ou résultats seront évalués et mesurés. Le télétravail exige une communication claire et cohérente sur la durée. Définissez le périmètre de chacun, les dates clés des projets, à la fois avec vos collègues et votre (ou vos) N+1. Renseignez-vous sur les éventuelles réunions à heure fixe, les créneaux auxquels vous devez obligatoirement être en ligne, etc. Là aussi, vous pouvez demander un document/règlement de référence. Cela peut faire beaucoup d’informations à demander à l’entreprise, mais si vous expliquez que vous vous renseignez à ce sujet pour pouvoir travailler dans des conditions optimales, vos interlocuteurs devraient pouvoir vous donner la visibilité nécessaire.
  • Dessinez votre aventure ! Une fois que toutes ces choses sont claires, à vous de définir votre propre stratégie de télétravail. Observez et réfléchissez à la manière dont vous travaillez et le cadre qui vous convient le mieux.. Le télétravail ne convient pas à tout le monde. Il peut paraître génial de pouvoir bosser d’où l’on veut, mais projetez-vous à un peu plus long terme pour voir si cette méthode vous correspond vraiment.

Article traduit par Sophie Lecoq ; photo de Thomas Decamps

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