Et si l’IA rendait la fonction RH plus « humaine » ?

19 mar 2024

6 min

Et si l’IA rendait la fonction RH plus « humaine » ?
autor
Samuel Durand Lab expert

Auteur et confériencier sur le futur du travail, spécialiste du sens et de la reconnaissance au travail

colaborador

Depuis que l’intelligence artificielle a vu le jour, le débat sur la prise de pouvoir de la machine sur l’homme a le vent en poupe. Pourtant, pour notre expert Samuel Durand, la montée en puissance des technologies d’IA générative pourrait bien humaniser davantage certaines professions, à commencer par les ressources humaines. Démonstration.

Lorsqu’en 2022, le grand public s’approprie plus globalement l’intelligence artificielle avec l’arrivée en fanfare de ChatGPT, le cheminement de chacun semble être le même. D’abord, il y a la peur d’être remplacé dans son métier, rapidement balayée par le test des premiers outils. On se rend compte que ceux-ci ne sont pas totalement au point. Que le plus souvent, nous sommes encore meilleurs qu’eux. Deux options s’imposent alors : soit on les laisse tomber au risque de passer à côté d’une technologie qui pourrait devenir indispensable, soit on tente de les intégrer intelligemment dans son quotidien professionnel, pour gagner notamment en productivité.

Si un département est particulièrement concerné par ce choix cornélien au sujet de l’IA, c’est bien celui des ressources humaines. D’abord, parce que de nombreux cas d’usages commencent à transformer le quotidien de ces professionnels, créant de fait de la valeur pour ce département. Mais aussi et surtout, parce que ce dernier se voit chargé de guider la transformation des autres départements de l’entreprise. Et le challenge est de taille !

Selon une étude d’IBM d’août 2023, les dirigeants interrogés estiment que 40 % de leurs effectifs devront se reconvertir au cours des trois prochaines années, suite à l’intégration de technologies d’automatisation. 87 % d’entre eux pensent néanmoins que les rôles des employés seront plus susceptibles d’être augmentés que remplacés par l’IA générative. Comment alors faire du service des ressources humaines le moteur, si ce n’est le premier laboratoire, de cette transformation de fond ? Et en quoi cette mutation pourrait permettre à la fonction RH, comme tant d’autres, de s’humaniser encore davantage ?

L’impact de l’IA sur les métiers et les tâches

Généralement, on a tendance à résumer l’impact de l’intelligence artificielle sur le travail de quatre façons :

  • Les métiers menacés de remplacement : en raison des nombreuses tâches standardisées qu’ils comportent, reposant sur des transferts de données qui peuvent facilement être effectuées par des IA. On parle « d’emploi à probabilité élevée d’automatisation » quand plus de 70 % des tâches peuvent être adressées à performance et à efficience égale par une machine.
  • Les métiers augmentés : lorsque l’intelligence artificielle offre des gains notables en précision et en efficacité sur certaines tâches, permettant l’accomplissement de nouvelles choses.
  • Les métiers protégés : dans le cas de figure où l’IA n’est pas capable d’effectuer une large majorité des tâches de la personne. On pense aisément à tous les métiers du care en premier lieu, mais ils sont loin d’être les seuls !
  • Les nouveaux métiers : évidemment, il ne faut pas oublier les métiers directement créés par l’intelligence artificielle. C’est le cas notamment du prompt engineer (la personne qui rédige les requêtes et trouve des cas d’usage), du responsable éthique en IA ou encore du data scientist.

Si un tel classement peut s’avérer efficace pour résumer l’impact de l’IA sur le travail, et ainsi mieux comprendre les différentes forces en présence qui s’opposent, il est trop simpliste dans une dimension RH. Difficile, en effet, de classer les différents métiers d’une structure dans de telles cases ! Cela nécessite un découpage bien plus fin : pour comprendre l’exposition d’un métier à l’IA, il faut d’abord le décomposer en tâches. Une fois la liste de ces tâches quotidiennes dressée, il s’agit de comprendre quelles sont celles qui sont menacées et celles qui sont protégées.

Distinguer les tâches menacées et protégées

Pour parvenir à opérer ce distinguo, voici une liste (non exhaustive) de questions à se poser :

  • La tâche est-elle routinière ? : dit autrement, est-ce qu’elle est répétitive et décomposable en un système ?
  • La tâche repose-t-elle sur beaucoup de données ? : si elle repose sur le traitement d’une grande quantité de données, il y a alors de fortes chances que l’IA soit plus efficace que l’humain dans la gestion de cette tâche.
  • Quel est le degré d’interaction humaine, de créativité, de dextérité ? : si le degré d’interaction, de créativité ou de dextérité est fort, il y a alors de fortes chances que l’humain soit plus efficace que l’IA dans la gestion de cette tâche, et inversement.
  • Quelle est la part de réflexion par rapport à l’exécution dans la réalisation de cette tâche ? : si la part de réflexion l’emporte sur l’exécution, il y a alors de fortes chances que l’humain soit plus efficace que l’IA dans la gestion de cette tâche, et inversement.
  • Il y a-t-il des risques associés à la mauvaise exécution de la tâche ? : si dans 99 % des cas, l’IA nous permet d’obtenir un résultat satisfaisant, on peut être tentés de penser que pour le 1 % restant, on est prêts à accepter cette marge d’erreur. Mais ce n’est pas la même chose s’il s’agit d’une IA qui génère des sous-titres sous une vidéo ou une IA qui pilote une voiture autonome ! Si l’échec de la tâche entraîne des risques que l’on veut à tout prix éviter, même si le taux d’échec est très faible, la tâche n’est pas menacée de remplacement.

L’objectif derrière est simple : dans la fonction RH comme dans n’importe quel métier, il s’agit de minimiser les tâches menacées et de maximiser celles qui sont augmentées ou protégées ! Mais comment s’y prendre concrètement pour trouver le « bon » équilibre ? Les tâches menacées doivent-elles forcément être mises de côté ou présentent-elles aussi des vertus à ne pas négliger ?

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Trouver le juste équilibre entre tâches remplaçables et essentielles

Dans les métiers des ressources humaines, certaines tâches administratives répétitives n’apportent pas le plus de valeur, bien qu’elles soient essentielles au bon fonctionnement de la société :

  • Répondre aux problématiques RH quotidiennes : il s’agit des questions liées à la paie, aux congés, aux absences… Déjà aujourd’hui, des IA entraînées sur des bases de données spécifiques aux entreprises sont capables de répondre à la plupart des questions des collaborateurs. Chez IBM, par exemple, plus de 90 % des questions RH quotidiennes sont traitées grâce à un chatbot. Et ce, à la fois avec une réponse juste sur le fond et propre à l’entreprise sur la forme. Seules les questions n’ayant pas obtenu satisfaction remontent aux RH en chair et en os. Autant de cas particuliers qui nécessitent du jugement et de l’intuition, autrement dit des compétences humaines irremplaçables.
  • Rédiger une offre d’emploi : à partir d’une base existante faisant place à certains passages standardisés, l’IA offre un gain de temps en adaptant l’offre d’emploi de manière à ce que le collaborateur RH aux manettes se départisse d’une partie de cette tâche rébarbative, pour s’en tenir à sa correction, sa relecture et son amélioration pour la rendre plus attractive encore.
  • Créer du contenu marque employeur : une fois qu’une bonne expérience collaborateur a été créée, il faut le faire savoir ! Depuis quelques années, la création de contenu est un levier stratégique de cette stratégie marque employeur. Articles de blog, podcasts, vidéos… autant de formats dans lesquels l’IA peut venir appuyer tout ou partie de la création par les RH qui ne sont pas nécessairement formés au marketing !

S’il est plaisant de voir que les tâches les plus menacées de remplacement ne sont généralement pas les plus enthousiasmantes, il s’agit de les déléguer mais pas de s’en débarrasser totalement. Pour les encadrer, encore faut-il trouver les bons outils, faire de la veille constante, rédiger le bon prompt, faire preuve d’esprit critique sur les réponses… Dit autrement, recourir à des personnes de terrain qui en conservent la responsabilité.

Sans compter que ces tâches routinières agissent comme des bulles d’air au fil de la journée, là où il n’est pas possible d’effectuer uniquement des tâches à haute intensité intellectuelle. Et surtout, elles font partie de la courbe d’apprentissage : il faut être capable par moments de
« débrancher la machine » pour effectuer soi-même la tâche, afin d’éviter le risque de perte de compétences. Comme les mathématiques à l’école, on apprend d’abord à poser des divisions à la main, avant de passer à la calculette !

La fonction RH : au coeur de l’évolution d’un métier augmenté

En fin de compte, l’avantage de l’IA c’est qu’en déléguant certaines tâches parmi les plus laborieuses, elle permet de libérer du temps pour en réaliser d’autres, plus stimulantes. C’est pourquoi on parle le plus souvent de professions « augmentées ». Car si l’IA nous permet de réaliser des gains substantiels de productivité, c’est aussi la bonne occasion de se rappeler que nous ne sommes pas recrutés au sein d’une entreprise uniquement pour effectuer une fiche de poste. Notre personnalité comme notre expérience nous permettent d’apporter beaucoup plus.

Côté RH notamment, cela rime le plus souvent avec :

  • Un meilleur accompagnement des managers : afin de les épauler dans leurs problématiques quotidiennes. Un temps qualitatif qui va permettre de faire preuve d’un jugement plus fin, de lancer de nouvelles initiatives adaptées aux besoins du terrain et de renforcer la position des RH comme un service stratégique et non pas une fonction support.
  • Un regard plus pointu sur le développement des équipes : via le pilotage des recrutements, le lancement des programmes de formation, le suivi des plans de gestion compétences… permettant un mapping plus précis des compétences à leur disposition, des formations nécessaires et des envies de chacun. Autant d’informations qui leur permettent d’atteindre leurs objectifs de façon plus précise, éclairée et efficace. Neobrain, startup française spécialiste de la question, a partagé que 40 % des compétences intégrées par les salariés dans leurs profils sur l’application proviennent de recommandations faites par leur IA, sans quoi l’entreprise n’aurait connaissance qu’un peu plus de la moitié des compétences disponibles.
  • La mise en place de politiques RH ambitieuses et innovantes : gagner du temps c’est pouvoir en allouer à des sujets jusqu’ici laissés de côté ou en suspens, comme l’amélioration du processus d’onboarding ou de la stratégie Diversité & Inclusion de l’entreprise par exemple. Ou encore, il peut s’agir de se pencher sur des modes d’organisation du travail plus innovants à l’image de la semaine de quatre jours, en prenant le temps de faire des recherches et déployer un pilote.

En bref, le temps gagné permet de se défaire des tâches
« machinales », pour mieux saisir de nouveaux sujets, initier des conversations, se projeter, améliorer l’existant et se poser des questions. Une posture qui est certainement d’autant plus importante pour une fonction qui porte le terme « humain » dans son titre, non ?

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Article rédigé par Samuel Durand et édité par Mélissa Darré et Wendy Carré, photo par Thomas Decamps.

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