Pourquoi promouvoir un salarié ne suffit pas à le retenir

11 ene 2024

4 min

Pourquoi promouvoir un salarié ne suffit pas à le retenir
autor
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

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La promotion est souvent perçue comme le levier majeur de fidélisation des talents en entreprise. Or, une étude récente prouve que l’équation ne fonctionne pas à tous les coups : une évolution pourrait paradoxalement provoquer des départs prématurés, notamment des salariés les plus engagés. Nos experts Céline Méchain et Ludovic Girodon nous aident à lever le voile sur ce phénomène contre-intuitif, mais pourtant bien réel !

Promotion = fidélisation ? L’équation magique semble, aujourd’hui, dysfonctionner. Une récente étude d’ADP constate que, si les salariés engagés sont les plus susceptibles d’obtenir une promotion, il existe un plus grand risque de démission de leur part une fois celle-ci obtenue. Le mois qui suit s’avère particulièrement critique : 29 % des promus démissionnent dans ce laps de temps, alors même que 18 % affirment que, sans cette évolution, ils n’auraient pas pris cette décision.

Céline Méchain, DRH et experte du Lab, corrobore cet étrange paradoxe. Selon elle, il faut appréhender deux facettes : « Côté entreprise, le risque est de voir le collaborateur en question convoité par d’autres structures. En effet, la promotion, symbole de réussite, lui confère une meilleure visibilité sur le marché du travail, le rendant particulièrement attractif. De plus, le salarié fraîchement augmenté reste tout de même sur une fourchette basse : l’entreprise chasseuse pourra facilement renchérir son offre. » Et côté salarié ? « Il existe un risque de désillusion concernant les nouvelles responsabilités. Celles-ci peuvent être mal appréhendées ou la personne peut ne pas se sentir soutenue et accompagnée. Pire, certaines promotions arrivent parfois trop tard et la démotivation est déjà bien installée. » Mais alors comment y remédier ?

Promotion : quelques évidences à challenger

Christian Verhague, directeur du conseil SIRH & QVCT au sein du cabinet international Ayming, a vécu l’une de ces promotions ratées concernant l’un de ses collaborateurs dans son ancienne entreprise. « À l’époque, j’étais responsable de l’équipe IT dans le secteur bancaire composée de six managers, et je cherchais activement un bras droit pour m’assister dans mes fonctions. J’ai opté pour une personne au sein de mon équipe, avec laquelle la collaboration était fluide Cependant, ce choix a déclenché une série de problèmes relationnels avec les anciens collègues, marquant une rupture inévitable. »

Une situation d’apprentissage managérial, selon lui : « L’erreur que j’ai commise est d’avoir concentré toute mon attention sur les compétences métier de la personne, sans anticiper son rôle futur et en négligeant les aptitudes transversales, les soft skills. » Autre retour d’expérience : les RH, à l’époque peu impliquées dans les mobilités, n’ont pas été partie prenante de la décision :
« En impliquant les RH, collectivement, il est possible de constituer un triptyque décisionnel pour éviter les écueils. »

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On vous en dit plus ?

Pour éviter des situations RH infructueuses, Ludovic Girodon, expert du Lab et auteur du best-seller Dream Team (2019), met le doigt sur la terminologie et le sens du mot « promotion ». D’abord, le vocabulaire d’entreprise (et son imaginaire collectif) est à revoir : « Je préfère le mot d’évolution, car un parcours ne doit pas être linéaire, ni même une ascension à tout prix, mais un zigzag en lien avec les opportunités professionnelles et les aspirations personnelles. » Ceci enjoint les entreprises à revoir leurs critères de réussite : « Réussir, c’est être au bon endroit, au bon moment, ainsi qu’être aligné à 100 % avec ce qu’on fait. Avec cette approche, les salariés évitent de foncer tête baissée vers le prochain poste à responsabilités. »

« Réussir, c’est être au bon endroit, au bon moment, ainsi qu’être aligné à 100 % avec ce qu’on fait. »

Pour aller un cran plus loin, il s’agit aussi d’oser questionner le pourquoi, la raison d’être, de cette promotion. « Une sorte d’antichambre peut être créée afin de rencontrer individuellement des personnes qui occupent le poste visé pour mieux le comprendre, passer une demi-journée dans l’équipe ou encore présenter, pourquoi pas, son projet professionnel à un comité. Le but est de garantir que cette évolution est pertinente de part et d’autre », ajoute l’expert en management.

Déjouer le cycle infernal de la promotion avortée : 4 pistes à explorer

Conseil n°1 : s’intéresser aux aspirations des collaborateurs

Les chiffres ADP mettent en évidence qu’il faut repenser l’approche des carrières, les évolutions en particulier. Comment ? « Grâce à une gestion attentive des aspirations professionnelles individuelles. Ceci exige de prendre en compte les attentes réelles des salariés et d’anticiper les éventuelles conséquences de cette évolution professionnelle », souligne Céline Méchain. Pour cela, il faut repenser la culture d’entreprise et la manière dont la gestion des carrières est perçue et pilotée : « Il est important de créer un environnement où l’ascension professionnelle est alignée sur les ambitions individuelles, soutenue par un encadrement solide et évaluée avec rigueur. En repensant la manière dont nous promouvons les talents, nous pouvons non seulement retenir les collaborateurs, mais également les inciter à exceller dans leurs nouvelles fonctions, contribuant ainsi à la prospérité globale de l’entreprise. »

Conseil n°2 : utiliser la période probatoire à bon escient

Et si la promotion était un essai, une tentative, décomplexée et encadrée sans grands enjeux pour sa carrière ? Cette approche est possible en instaurant un outil RH : la période probatoire. Sa vocation est d’évaluer comment le ou la salarié·e s’adapte à son nouveau rôle ou environnement de travail. Il est crucial que les conditions de la période probatoire soient clairement définies dans le cadre de la mobilité professionnelle, afin d’assurer une transition fluide et d’éviter tout malentendu entre les parties. Cela peut inclure des critères d’évaluation spécifiques liés au nouveau poste ainsi que des modalités de résiliation éventuelle pendant cette période.
Ça, c’est dans la théorie. « Dans les faits, celle-ci est difficile à mettre en place car l’échec est moins vécu comme une chance d’explorer de nouveaux horizons que subi comme une rétrogradation », alerte Céline Méchain. La culture d’entreprise a donc son rôle à jouer pour contrecarrer les représentations négatives liées à l’échec d’une prise de poste : si le droit à l’erreur est instauré et vécu comme valeur vivante, peut-être que les périodes probatoires seraient davantage exploitées et la démission ne serait pas l’unique échappatoire ? Par exemple, des témoignages de salariés ayant vécu des expériences de promotion peu probantes, avec des rebonds professionnels internes significatifs, restent des moyens de véhiculer d’autres archétypes autour d’évolutions professionnelles à la fois plus circulaires et atypiques.

Conseil n°3 : établir un plan d’accompagnement pré-promotion

« Un plan d’action peut mettre en exergue les compétences et les expériences à acquérir pour réussir la prise de poste. De même, l’entreprise doit proposer des moyens pour aider les périodes de transition internes », explique Céline Méchain. Dans cette optique, la promotion devient alors la conclusion d’une évolution professionnelle programmée et la suite logique d’une série d’étapes sur lesquelles la société et le collaborateur se sont mis d’accord. Concrètement ? Du coaching, des assessments, des formations ciblées peuvent jalonner la préparation d’une prise de poste sereine.

Conseil n°4 : imaginer un ré-onboarding pour les évolutions professionnelles

« On part du principe que, parce que la personne est déjà dans l’entreprise ou qu’elle est promue, elle n’a pas besoin d’aide. C’est faux ! », insiste Ludovic Girodon. Selon lui, pour créer les conditions favorables d’une promotion, il faut bâtir un onboarding structuré pour maximiser les chances de réussite. Et pour cela, aucune grande innovation n’est nécessaire : s’appuyer et adapter les bonnes pratiques de l’onboarding est amplement suffisant. À savoir ? Un planning ultra clair des premières semaines, le « buddy » (parrain), un manager disponible, de la formation, une présentation de l’équipe et son fonctionnement, de l’informel (déjeuner, café, jeux…), un rapport d’étonnement et un RH présent pour assurer le bon déroulé de ce parcours à haut risque.

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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