Burnout : les salariés ne devraient pas avoir à démissionner pour sauver leur peau

30 jun 2023

5 min

Burnout : les salariés ne devraient pas avoir à démissionner pour sauver leur peau
autor
Lorraine Posthuma

Freelance translator and journalist

colaboradores

« Burnout ». Le terme, désignant un stress chronique et des symptômes tels que l’épuisement, un cynisme exacerbé et le sentiment de ne plus être à sa place professionnellement parlant, semble désormais pouvoir toucher n’importe qui, n’importe où. En face, une pluie de conseils pour en guérir. Mais peut-on vraiment (s’)en sortir par soi-même ?

Jessica Rector est une conférencière américaine. Son domaine : la santé mentale et le burnout. « Traiter le burnout, ça se fait à deux : la personne concernée et son entreprise. » À titre individuel, on peut entreprendre une démarche pour aller mieux, mais si l’employeur ne prend pas sa part du fardeau, le burnout va persister.

Jessica Rector l’a elle-même vécu. À la fin des années 1990, elle travaille comme commerciale pour une très grosse boîte, explose ses objectifs, rafle toutes les distinctions et finit… sur les rotules. Elle se tourne vers sa direction, mais l ’entreprise n’a aucune solution en place pour accompagner les salarié·es en burnout. « _Deux ans plus tard, je démissionnais. Je suis allée travailler dans une boîte qui offrait davantage de flexibilité à ses équipes._»

Le burnout ne part pas comme il est venu, précise Jessica Rector. « Déjà, il faudrait plus de proactivité de la part des directions. » Parmi les causes évoquées dans les envies de changer d’entreprise, on retrouve souvent la peur ou le risque imminent d’un burnout. Sally Clarke, auteure, conférencière et coach spécialiste de la question, estime elle qu’on « ne met pas suffisamment de choses en place pour prévenir les risques de burnout ».

Honte et culpabilité

Sally Clarke aussi a traversé un épisode de burnout. Cette Australienne partie travailler à Amsterdam dans un prestigieux cabinet d’avocats en banque et finance alignait facilement 80 heures de travail par semaine. Après trois années à ce rythme difficilement tenable, elle s’envole direction Nantes pour rendre visite à des proches. À l’aéroport, son corps lâche, elle perd connaissance. Elle est alors forcée de s’avouer à elle-même que ça ne va plus, d’admettre qu’elle était en plein déni de burnout. Viennent, comme bien souvent malheureusement, les sentiments de honte, d’échec personnel. « Alors que c’est tout sauf ça, commente rétrospectivement Sally. On ne peut jamais imputer un burnout à une quelconque faiblesse personnelle. »

Le burnout n’a certainement pas pour cause le manque d’efforts, d’investissement ou d’intelligence de la part d’un individu. Et c’est précisément pour cette raison que l ’entreprise à un rôle à jouer. Il lui incombe d’aider tout·e salarié·e en burnout à se remettre sur pied. Sally prend l’exemple d’un poisson dont l’eau du lac deviendrait toxique : l’idée ne serait pas de sortir le poisson de son habitat naturel, mais bien de dépolluer l’eau afin qu’il puisse y vivre sans risque et y retrouver toute sa vigueur. Les salarié·es ne devraient pas avoir à démissionner pour sauver leur peau : à l’entreprise de s’emparer du sujet, de dire non aux environnements de travail toxiques. « Neuf fois sur dix, c’est un peu la traversée du désert, c’est à la personne en plein burnout de trouver elle-même la ressource interne pour s’en sortir, dénonce Sally Clarke. _Alors que clairement, il revient à la direction et aux managers de créer une culture d’entreprise favorable. _»

Infinite Potential, think tank à but non lucratif œuvrant autour des problématiques sur le lieu de travail, a publié son The State of Workplace Burnout 2023, pour lequel 2 000 actifs de 40 pays ont été interrogés. Plus d’un tiers (38 %) a confié avoir déjà fait un burnout, avec une majorité des cas chez les personnes en télétravail à 80 % ou plus. Sally Clarke, qui a collaboré à cette étude, rappelle que « le télétravail a fait sauter nos barrières ». Accompagner les salarié·es dans ces nouvelles façons de de travailler, c’est, pour les directions d’entreprise, prendre position et mettre en place des stratégies de prévention du burnout. « Sans top management un peu courageux, on ne peut pas imaginer des méthodes et un cadre de travail propices au bien-être humain, annonce Sally Clarke. Sans ça, c’est la porte ouverte aux burnouts. »

Il est tout aussi crucial de favoriser le dialogue. « Les employeurs doivent créer des conditions dans lesquelles chaque personne peut s’ouvrir et se confier en toute sécurité, ajoute Jessica Rector. C’est une condition sine qua non pour enrayer les burnouts. » Si elle ne conseille pas systématiquement aux personnes concernées de quitter le navire, elle alerte : si personne ne vous tend la main, que la direction ne cherche à trouver des solutions avec vous, ne renoncez pas à vos aspirations. Consacrez du temps à la recherche d’une nouvelle entreprise dont les valeurs vous correspondront mieux. « Quand on fait un burnout, sauter sur la première occasion qui se présente pour quitter son poste peut ne rien changer à la situation, prévient Jessica Rector. _Vous risquez de repartir sur les mêmes bases dans votre nouveau job, à moins de partir mieux armé·e et outillé·e.

Le bien-être par le sport

Pour certain, c’est le changement de voie qui sera salutaire. « Mon employeur n’a rien fait pour empêcher le stress structurel qui a causé mon burnout, confie-t-elle. Mais quand la médecine du travail a confirmé que j’étais en burnout, j’ai bénéficié de séances de coaching et eu droit à une journée off par semaine pendant trois mois._» Pas assez pour la sortir de l’ornière : elle décide de quitter l’entreprise. « _S’il y avait vraiment eu une volonté de changement et des actes concrets pour faire baisser la pression au sein du cabinet, je serais sûrement restée. » Mais cela n’a pas été le cas. En 18 mois, Sally Clarke a quitté sa robe d’avocate dans la finance et l’a troquée contre une tenue de professeure de yoga et une casquette d’entrepreneure. Il lui a fallu deux ans au total pour opérer une progressive mue et se remettre de son burnout. Sa vie d’aujourd’hui lui apporte davantage d’épanouissement et d’équilibre.

Une fois la décision prise de chercher à vous en sortir, avec ou sans l’aide de votre employeur, le chemin ne sera pas sans embûches. Sandrine Isoard Gautheur, maîtresse de conférences et chercheuse en psychologie sociale de la santé à l’université Grenoble Alpes, rappelle que « le burnout est un problème complexe, qui se traite sous divers angles à la fois ». S’il n’existe pas de pilule miracle pour se débarrasser d’un burnout, bouger son corps est un excellent point de départ. De nombreuses études montrent en effet que l’activité physique est un très bon moyen de prévenir et de soulager une situation de burnout.

Sandrine Isoard Gautheur et ses collègues ont publié, dans l’une des revues de l’Association internationale de psychologie appliquée, « What did you do this weekend? » (« T’as fait quoi ce week-end ? »), un article sur le rapport entre activité physique et burnout. Marcher ou pratiquer un sport d’équipe favorise le bien-être et prémunit davantage du burnout. Clément Ginoux, maître de conférences et chercheur en psychologie du sport, confirme : se détacher du travail et se détendre le week-end réduit, et c’est prouvé, le risque de burnout. Il cite l’exemple d’un soignant qui échange avec ses patients à longueur de journée et sur qui pèse la crainte de devoir gérer des personnes mécontentes. Le week-end, il part randonner en montagne, dans le parfum des fleurs et un beau cadre naturel, qu’il savoure pleinement. C’est tout simple, mais efficace : une sortie au grand air lui permet de débrancher, de ne plus penser au travail et de recharger ses batteries émotionnelles. Le lundi, il peut retourner au travail plus joyeux et moins stressé. « Les bienfaits des activités du week-end, sans aucun lien avec le travail, se prolongent durant la semaine », explique Clément Ginoux.

Apprendre à prendre soin de soi

Le maître de conférence évoque la part d’autoresponsabilisation. Pour lui, chacun peut et doit être acteur de sa guérison face au burnout, quand les entreprises se doivent elles d’être en parfait second rôle. Ainsi, les travaileurs doivent apprendre à prendre soin d’eux, avec le soutien de leur entreprise, mais s’ils ne sont pas accompagnés, mieux vaut partir. « Les bonnes entreprises agissent et proposent des solutions face au burnout », affirme Clément Ginoux. Parmi elles, citons la sensibilisation au burnout et la formation, l’organisation d’événements plus créatifs au travail ou encore les cours de yoga proposés en interne. « Les mauvais employeurs, eux, exploitent leurs salariés. Comment se remettre d’un burnout dans un tel contexte ? C’est impossible ! » affirme l’universitaire.

Partout dans le monde, des travailleurs et travailleuses souffrent, mentalement, émotionnellement et physiquement. Face à cette épidémie, Clément Ginoux estime que tout le monde doit être sensibilisé, informé. Il est important de comprendre ce qu’est le burnout, ce qui le provoque et la manière dont il se manifeste. « Mieux vaut expliquer en amont que de dire aux gens quoi faire après coup, parce qu’il n’y a pas une seule bonne manière de gérer un burnout – chacun·e doit identifier et faire ce qui lui convient le mieux. »

Traduit de l’anglais par Sophie Lecoq et édité par Clémence Lesacq ; Photo Thomas Decamps pour WTTJ

Las temáticas de este artículo