Managers : faut-il rester proche du terrain... pour rester proche de vos équipes ?

25. 3. 2024

5 min.

Managers : faut-il rester proche du terrain... pour rester proche de vos équipes ?
autor
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

přispěvatel

Les managers se retrouvent souvent à jongler entre deux impératifs : rester proches du terrain pour comprendre les réalités opérationnelles, et prendre de la hauteur pour engager le collectif. Comment établir l’équidistance optimale ?

Cette question fondamentale, celle de la distance entre le manager et le terrain, soulève des débats de fond sur le rôle managérial. Faut-il que les managers restent constamment immergés dans les missions quotidiennes pour être opérants voire légitimes ? Ou doivent-ils prendre du recul pour mieux guider et inspirer leurs équipes… au risque de se voir reprocher une attitude hors-sol digne des meilleurs contremaîtres fordistes ? Ce sempiternel questionnement sous-tend un point nodal : celui de l’engagement collaborateur qui, en France, ne dépasse que péniblement les 7 %, selon l’édition 2023 de l’étude Gallup, State of the Global Workplace. Or, les managers auraient un effet Pygmalion inédit sur leurs collaborateurs. Ils peuvent accroître leur productivité de 22 % grâce à une influence positive. Autre chiffre à prendre en considération : aux États-Unis, la qualité du management peut affecter jusqu’à 70 % l’engagement des collaborateurs. Alors comment instaurer une juste proximité à la fois qualitative et relationnelle avec ses équipes sans se laisser submerger par les tâches opérationnelles ou se substituer à elles ?

Le rôle managérial : quels contours ?

Il est primordial de définir ce que signifie « être proche du terrain », selon Jean-Étienne Joullié, professeur en management, leadership et relations au travail à l’école de management Léonard de Vinci. « Pour cela, intéressons-nous à la distinction entre pouvoir et autorité. Les managers ont un pouvoir de décision conféré par leur contrat de travail et leur place dans la hiérarchie. Il s’accompagne – ou pas – d’une autorité personnelle qui renforce leur légitimité tout comme leur pouvoir. Et non l’inverse. » Et cette autorité s’installe et se nourrit par la confiance et l’échange rendus possibles par une approche discursive avec les collaborateurs, et non l’appropriation d’une partie de leur travail. Pourtant, cette stratégie de la substitution est un écueil très courant. Afin de démontrer son utilité et sa pertinence, le réflexe quasi pavlovien du manager est de répondre fissa à la problématique opérationnelle à la place de son collaborateur. « En se positionnant en sachant ou en mentor, le manager risque d’infantiliser la personne. Or, son rôle est de l’aider à faire émerger une solution. Pour cela, il faut donc être à l’aise avec le fait de savoir dire “je ne sais pas” », explique Pierre Fournier, fondateur de la méthode WILL et auteur du premier roman de management éponyme en France.

On en revient au rôle managérial : attend-t-on de lui ou d’elle qu’il ou elle soit un expert ? Le management est-il un métier, un rôle ou une promotion dans l’entreprise ? « C’est très lié à la culture de l’entreprise, qui se traduit en une culture managériale. Quelle est sa posture dans l’organisation, quels sont ses objectifs ? Peu d’entreprises posent ce sujet primordial, or, il est déterminant pour les personnes qui endossent une position de manager. » Selon Pierre Fournier, la réponse est sans appel : l’expertise n’a rien à voir avec le management. Pour être proche de ses équipes, il vaut mieux parier sur l’art du management qui assure aux responsables d’équipe de ne pas passer à côté « des vraies problématiques humaines ou opérationnelles ».

Créer une proximité relationnelle : une affaire de confiance et de méthode

Dans un monde professionnel de plus en plus complexe, l’importance d’une proximité relationnelle accrue entre les managers et leurs équipes devient incontournable… bien plus qu’une transaction purement opérationnelle. Pour cela, il faut créer et entretenir un socle de confiance au sein de l’entreprise et de l’équipe. La méthode WILL met en avant des éléments structurants pour la bâtir : « Tout est fondé sur l’écoute active du manager qui permet d’abord de capter les problématiques possibles, pour ensuite aider le collaborateur à reformuler ses idées. C’est ainsi que les solutions émergent et que la confiance se crée de manière bilatérale », explique Pierre Fournier. Celle-ci grandit grâce à l’empathie managériale : « Écoutons les équipes sans empiéter sur leur travail : ce sont elles qui savent, alors le manager doit continuer à apprendre à leur contact », souligne Jean-Étienne Joullié. Comment ? Grâce à la délégation. Quelques basiques : identifier les forces et les compétences de chaque membre de l’équipe. En ciblant les talents et les intérêts individuels, le manager peut assigner des responsabilités qui correspondent le mieux aux capacités de chacun et chacune. Il doit aussi fournir un soutien, tout en permettant à ses collaborateurs de prendre leurs propres initiatives et des décisions autonomes. La mise en place de la délégation est indissociable du feedback. Le but est d’ouvrir des portes de dialogue constructives pour faire progresser l’autre et rester à l’écoute du terrain.

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On vous en dit plus ?

3 pratiques managériales pour rester connecté à l’opérationnel (et à sa place)

Organiser des temps réflexifs comme le Manager Sapiens

Cyril de Sousa Cardoso, coach, conférencier et co-auteur de Manager Sapiens, Le manager magnifique du XXIe siècle (De Boeck), propose dans son ouvrage un outil qui permet de mettre à profit le vécu individuel. Il s’agit de la rétrospective collective, à réaliser de manière régulière. « Une rétrospective ne s’intéresse pas au fond mais à la forme (la manière dont nous nous organisons pour conduire une mission ou porter un projet) », écrit l’auteur. Elle permet de récolter les ressentis, les points de vue, les freins et les obstacles qui affectent la performance individuelle et collective. Elle vise surtout à définir des actions communes avec l’aide du manager qui endosse le rôle de facilitateur. Comment cela fonctionne ? L’auteur propose de créer une matrice comme base de travail collaborative autour de quatre axes.

  • 1. Réduire : quelles sont les actions et les activités dans lesquelles vous investissez votre temps et qui doivent être réduites ?
  • 2. Renforcer : quelles sont les actions et activités dans lesquelles vous investissez votre temps et qui devraient être plus développées ?
  • 3. Éliminer : quelles sont les actions et activités dans lesquelles vous investissez votre temps et qui devraient être éliminées ?
  • 4. Créer : quelles sont les actions et activités dans lesquelles vous devriez investir votre temps et que vous ne faites pas actuellement ?

L’équipe peut s’appuyer sur cette trame pour questionner l’efficacité d’un projet, d’une mission ou d’une organisation, etc. Cet espace de dialogue permet au manager de prendre la température et d’identifier des points d’amélioration en s’appuyant sur le vécu opérationnel des équipes.

Réaliser des marches Gemba

Également connue sous le nom de Gemba walk, cette pratique fait partie des cartes suggérées dans la méthode WILL. Il s’agit d’un terme japonais dérivé du concept de Kaizen qui signifie littéralement « l’endroit réel ». Le manager réalise « cette marche » afin de comprendre les processus de l’entreprise, d’identifier les problèmes éventuels afin de trouver, avec son équipe, les moyens de les améliorer. « Son objectif est d’observer avec un regard neutre voire candide les fonctionnements, et d’échanger avec les collaborateurs pour mieux comprendre leurs activités », souligne Pierre Fournier. Cette immersion permet de voir comment les produits sont assemblés, ou comment les interactions se font entre les services ou personnes, les points d’achoppement… C’est une méthode largement utilisée dans divers secteurs pour acquérir de nouvelles connaissances, améliorer les processus et promouvoir une culture d’amélioration continue sur le lieu de travail. Pour un manager, c’est donc un rituel à entretenir pour obtenir une vision complète de l’organisation.

Travailler sur le standard

Le standard, issu de l’univers du Lean, est un outil qui vise à guider les membres d’une équipe dans l’exécution de leurs tâches de manière la plus efficace possible. En effet, dans chaque métier, il est essentiel de se référer à un standard, autrement dit, la meilleure façon de réaliser une activité tout en optimisant la Sécurité, la Qualité, le Délai et le Coût (SQDC). Le rôle du manager est d’aider ses équipes à prendre du recul sur leur environnement de travail pour créer ce fameux standard. « Le manager peut donc l’utiliser pour questionner l’organisation et comprendre comment celle-ci fonctionne ou devrait mieux fonctionner, en s’appuyant sur les expertises de l’équipe », explique Pierre Fournier. Ça en fait une méthode plutôt habile pour garder une connexion métier, tout en maintenant une posture méta ou de coach. Cela permet aussi d’asseoir la fameuse autorité managériale, puisque cela concourt à instaurer une culture d’excellence opérationnelle au sein de l’organisation.


Article écrit par Laure Girardot, édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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