Turnover : anticiper les démissions grâce à l’IA, c’est possible ?

29. 11. 2023

4 min.

Turnover : anticiper les démissions grâce à l’IA, c’est possible ?
autor
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

prispievatel

Dans un monde professionnel en mutation, l'IA s'impose comme un allié inédit dans la gestion RH. Grâce à des technologies prédictives, il serait même possible d’anticiper les démissions, révolutionnant ainsi la manière de piloter le turnover.

Le turnover reste un enjeu central pour les entreprises eu égard aux coûts multiples qu’un départ génère. En fonction du poste occupé par le salarié démissionnaire, de son niveau de rémunération, de son expérience ou encore de ses responsabilités, les conséquences financières ne sont pas négligeables. Le cabinet Hays chiffre le coût d’un mauvais recrutement (départ avant 12 mois), en moyenne, entre 45 000 euros et 100 000 euros de pertes. À ces sommes, il faut ajouter les effets collatéraux sur le collectif, les compétences et la perte de productivité.

L’IA prédictive apparaît comme le “deus ex machina” des équipes RH désarmées face au quiet, quick ou encore conscious quitting. La promesse ? Limiter voire éviter les départs inattendus. C’est en tout cas la volonté de la start-up T.O.P. (Team opportunity prediction), une plateforme SaaS basée sur une IA qui préviendrait les démissions, créée par Maxime Cariou. L’algorithme s’appuie sur des données quantitatives internes et externes afin d’établir des prédictions fiables. Parmi les indicateurs analysés par l’IA, on retrouve de grands classiques : ancienneté, expérience, dernières formations réalisées, manager, temps passé avec ce dernier, taux de démission dans l’équipe… Mais comment les RH peuvent-ils s’en saisir ? Peut-on envisager un triptyque IA-RH-manager vertueux ? Quid de l’éthique ?

Anticiper les démissions : mythe ou réalité ?

Si cet outil semble être une bénédiction à l’heure du désengagement massif – 7 % en France en 2022 –, il convient de décrypter son fonctionnement : « Nous récupérons trois ans d’historique de données professionnelles autorisées par le RGPD, que l’on va enrichir avec des data externes issues de l’écosystème : Insee, Pôle emploi… », explique Maxime Cariou. Cette agrégation permet une prise en compte multifactorielle du turnover, en fonction des régions ou encore des secteurs d’activité. Sous la forme de tableaux de bord, une restitution permet d’anticiper les départs au niveau global sur le trimestre à venir, avec également une granularité par équipe et par collaborateur. « On peut disposer du temps de collaboration maximal estimé par salarié. L’outil fournit aussi les facteurs de risque de départ afin de comprendre les raisons et agir dessus au bon moment. » Côté résultats ? « On se situe entre 80 et 90 % de capacité de prédiction de la démission. De manière plus macro, pour ce qui est des références scientifiques en termes d’IA et de prédictivité, l’université de New York vient de publier une étude qui atteste de sa pertinence dans le domaine », affirme Maxime Cariou.

Manager, RH et IA : des usages vertueux à imaginer

L’IA marque une avancée significative dans le renforcement de la posture managériale et RH selon Carine Fotso, Lead Data & Analytics au sein du cabinet Julhiet Sterwen : « L’IA prédictive “augmente” le manager et le DRH car, grâce aux données, elle leur permet d’améliorer la gestion de leurs équipes ». En effet, en détectant des signaux parfois imperceptibles pour les observateurs humains, l’IA agit comme un radar précoce, capable d’identifier des risques implicites ou émergents. Cette capacité de prévision offre aux managers une longueur d’avance. Alertés en amont, ceux-là sont plus à même de mettre en œuvre des stratégies proactives pour atténuer les risques et, ainsi, favoriser un environnement de travail plus serein. L’outil T.O.P. répond au besoin d’individualisation et de renfort de l’accompagnement managérial : « Pour limiter les risques du départ, le DRH ou le manager dispose également de propositions d’action adaptées à chaque personne identifiée grâce au machine learning », explique Maxime Cariou.

Mais comment créer un trio organisationnel vertueux entre managers, RH et IA ? Et garantir des usages et un cadre efficaces sans (trop) d’ingérence ? « L’IA ne remplace pas les compétences humaines, mais les complète. En ce sens, il faut que les RH et les managers se forment pour interpréter les données afin de les considérer comme des outils d’aide à la décision plutôt que des substituts. Cela signifie que l’IA doit être intégrée dans les processus décisionnels. Et non l’inverse », souligne Carine Fotso. Un cadre d’utilisation sain repose également sur la transparence : les collaborateurs doivent comprendre comment l’IA est utilisée, que c’est un outil d’amélioration, de prévention et d’échanges plutôt que de contrôle. Dans ces conditions, la relation entre humain et IA participe à la mise en place de relations de travail fructueuses.

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IA prédictive et démission : trois points d’attention

Du sens et de la transparence

Avant d’intégrer une IA, quelle qu’elle soit, Carine Fotso souligne l’importance de lui donner une trajectoire. « On ne peut pas intégrer des outils d’intelligence artificielle sans se poser la question “pourquoi”. Quel sens veut-on donner à ces données pour conduire ou transformer une organisation ? C’est un prérequis pour que l’utilisation soit efficace, éthique et bordée. » En ce sens, la formation des managers devrait inclure une compréhension approfondie des limites de l’IA, ainsi que des conseils sur la manière d’en tirer le meilleur parti afin d’éviter les dérives.

Les biais potentiels et la confidentialité en ligne de mire

Les modèles d’IA peuvent être influencés par des biais présents dans les données d’entraînement tout comme dans le code en lui-même. « La solution T.O.P. permet de mieux comprendre ces biais contenus dans les données via une vue d’analyse dédiée, mais ne prend pas en compte les enquêtes de satisfaction, qui sont déclaratives ou sujettes à trop d’interprétation. Les data sont uniquement fondées sur des indicateurs quantifiables issus des systèmes d’information », explique Maxime Cariou. Autre volet sensible : la protection de la vie privée. L’utilisation de données personnelles soulève des préoccupations en matière de confidentialité. Il est donc crucial de garantir que ces informations soient traitées de manière sécurisée et conformes aux normes de protection de la vie privée : « Nous sommes en phase avec les exigences RGPD, et nous travaillons pour nous aligner avec celles de l’IA act ».

L’Artificial Intelligence Act comme garde-fou RH

L’Artificial Intelligence Act ? Il s’agit d’une proposition de règlement européen afin d’encadrer l’usage et la commercialisation des IA. Ce dernier donne un cadre à l’innovation en garantissant la sécurité et les droits des utilisateurs. L’objectif principal est de s’assurer que les systèmes d’IA introduits sur le marché européen garantissent la sécurité tout en respectant pleinement les droits fondamentaux des citoyens et les valeurs de l’Union européenne. En parallèle, il est question de renforcer la gouvernance et de mettre en œuvre de manière effective la législation existante en matière de droits fondamentaux et de normes de sécurité applicables aux systèmes d’IA.


Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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