Ergophobie : la phobie du travail existe... Mais elle se soigne !

02. 2. 2023

7 min.

Ergophobie : la phobie du travail existe... Mais elle se soigne !
autor
Aurélie Cerffond

Journaliste @Welcome to the jungle

Quand le travail fait… peur. Cela pourrait faire sourire et pourtant, la phobie du travail, ou ergophobie, est bien réelle. Cette terreur qui empêche de travailler, de se rendre au bureau et parfois même de chercher un emploi est cause de grandes souffrances pour les personnes qui y sont sujettes. Zoom sur ce mal qui ravage des carrières.

« Une peur exacerbée et incontrôlable à l’égard du monde du travail, qui paralyse et handicap l’accès à la sphère professionnelle. » C’est ainsi que la psychologue clinicienne Johanna Rozenblum, définit l’ergophobie. Une phobie du travail donc, dont on ignore précisément le nombre de personnes atteintes. Les données chiffrées manquent, car il n’est pas toujours aisé de la diagnostiquer. « J’avais la boule au ventre chaque matin. Le simple fait de songer à mon travail me provoquait la nausée, parfois même, je vomissais en arrivant dans les locaux… », raconte Farzad Felezzi, à l’époque employé dans l’industrie agroalimentaire et qui a dû jongler avec ces symptômes, tout au long de sa carrière. Mais le spectre de symptômes est assez large et varie en fonction de chaque personne, car avec l’ergophobie, toute la palette des réactions physiologiques peut s’enclencher : anxiété généralisée, maux de ventre, transpiration, tachycardie, contractions musculaires, pensées noires, troubles du sommeil… « Tout ce qui vient dans le champ de l’attaque de panique peut se manifester juste à l’idée d’aller travailler, ou oblige parfois à rentrer chez soi au milieu de la journée… Les manifestations de cette phobie peuvent être très violentes », précise la psychologue.

Une angoisse incontrôlable, parfois irrationnelle, qui met l’organisme dans une situation d’hyper vigilance, pour faire face à un danger potentiel. « Pour une personne souffrant d’ergophobie, le stimulus de danger est le travail, explique Johanna Rozenblum. Et le corps se met en alerte comme si son intégrité physique était menacée. » Et cela peut prendre de grandes proportions, comme pour Naomie, actuellement incapable de postuler à une offre d’emploi : « Cela fait maintenant deux ans que je suis inscrite à Pôle Emploi. C’est impossible pour moi de me projeter dans une recherche d’emploi ou même de mettre à jour un CV. La simple lecture d’une offre, me fait paniquer et me donne des sueurs. » Une réaction qui s’explique par une appréhension à revivre des symptômes douloureux. « On a peur que nos réactions physiologiques se déclenchent, donc on a peur d’avoir peur et on tombe dans l’évitement… », commente la psychologue. Un cercle vicieux s’installe, très douloureux à vivre pour les personnes concernées. Et pour arriver à comprendre ce qui peut provoquer ce mal-être, il faut revenir aux origines de son trouble.

Chaque phobie a son histoire

« Dans le cadre d’une phobie, juste soigner le symptôme “j’ai peur d’aller au travail” n’a aucun intérêt : il faut remonter à la source de cette peur pour comprendre d’où elle vient, et ce qu’elle cherche à exprimer. » Johanna Rozenblum est formelle, plus que la phobie en elle-même, c’est l’histoire de cette peur du travail qui est intéressante. Il faut alors se demander : « Est-ce que les angoisses précèdent ou sont consécutives à une situation spécifique ? » Il s’agit d’identifier si cette peur s’est installée tôt dans la vie pour empêcher ou contrarier le développement de la sphère professionnelle, ou si cette terreur fait suite à une situation à caractère traumatique, comme l’expérimentation d’un burn-out par exemple.

Si cela s’est produit tôt dans la vie d’une personne, avec un empêchement, un handicap d’accès à la sphère pro, il est nécessaire de retracer le fil de son existence personnelle « On peut imaginer un historique familial, un rapport au travail ou une perception du monde du travail comme quelque chose d’anxiogène, de mise en danger, qu’on aurait absorbé, digéré. Une angoisse transmise par nos parents ou notre entourage, détaille la psychologue. Une idée pathologique du travail qui se serait construite dans le temps. » Il s’agira alors de déconstruire une peur basée sur un fantasme, une idée préconçue ou une éducation.

En revanche, si la phobie naît d’un vrai dysfonctionnement ou d’une mauvaise expérience, l’appréhension vient illustrer une difficulté rencontrée concrètement dans le rapport que l’on entretient avec le travail. Comme pour Naomie : « J’ai tenu trois ans à un poste au sein d’une collectivité territoriale pour des raisons financières mais je le regrette. Les effets dévastateurs des relations toxiques que j’ai subies là-bas m’ont complètement mise à plat… » La solution dans ce cas ? “Se reprogrammer” à l’aide d’un thérapeuthe, pour pouvoir, malgré le vécu traumatique, envisager de réintégrer une vie professionnelle pérenne et surtout moins douloureuse à vivre.

Enfin, s’il n’existe pas un seul profil type de personne sujet à cette phobie, il y a tout de même un terrain favorable à son développement d’après la psychologue : « Les personnes souffrant du syndrome de l’imposteur, qui manquent de confiance, celles qui mettent un enjeu irrationnel ou exacerbé dans la reconnaissance au travail… Souvent, cela cache quelque chose de plus lourd. » Encore une fois, s’intéresser à l’histoire de la phobie, c’est la possibilité d’adresser les autres problématiques qui se jouent, au-delà de la peur de travailler.

Comment soigner son ergophobie ?

Une thérapie cognitivo-comportementale est recommandée pour le traitement des phobies. Une solution qui s’articule autour de deux axes de réflexion :

  • La sphère cognitive. Avec une réflexion intellectuelle à mener autour de l’histoire de sa phobie, pour lui donner du sens.

  • La partie comportementale. Un travail concret, actif, autour des comportements phobiques. C’est un travail de rationalisation, de rituels, avec des exercices qui vont permettre de dépasser ses limites, pour progressivement s’exposer à la sphère professionnelle.

Dans les cas les plus compliqués, si la souffrance est trop grande ou que la thérapie ne suffit pas, il peut être nécessaire de faire appel à un médecin psychiatre pour soigner les manifestations somatiques d’anxiété, avec des anxiolytiques ou des antidépresseurs. Le but est de permettre de rétablir un équilibre émotionnel pour que le patient puisse suivre une thérapie de façon pérenne et apaisée.

Dès lors que la phobie est installée, qu’elle handicape au quotidien, et qu’elle persiste plus de deux mois, il est conseillé de se faire aider. « L’ergophobie se traite bien, mais il faut être entouré par une équipe de soignants qui connaissent le fonctionnement phobique. Cela montre aussi à la personne qui en souffre qu’elle n’est pas seule, insiste la psychologue. Et c’est important qu’elle puisse exprimer ses angoisses et ses peurs sans se sentir ni stigmatisée ni isolée. » Une étape capitale pour restaurer progressivement son estime de soi, souvent mise à mal par cette situation douloureuse.

Un stigmate difficile à assumer

« Je n’aime pas le terme même de « phobie » qui est très médical et place dans la case « malade », ce qui est déjà stigmatisant. Assumer publiquement sa peur liée à la sphère pro revient à s’exposer encore plus aux moqueries et aux jugements négatifs de la société. C’est très difficile à vivre », confie Farzad, qui aujourd’hui affiche ouvertement son ergophobie, pour aider les autres à en parler. Pourtant, cette peur liée au travail ne signifie pas “que l’on n’aime pas travailler”, mais malheureusement les raccourcis vont vite. « Je ne peux pas dévoiler au tout venant, les vraies raisons pour lesquelles je ne postule pas à des offres d’emploi en ce moment. Certaines personnes ne sont pas enclines à l’entendre, elles préféreront dire que je suis feignante plutôt que de chercher à comprendre ma souffrance », exprime Naomie.

Notre experte confirme qu’il y a toujours des incompréhensions de la part de l’entourage dans ce type de situation, d’autant que cette phobie est peu documentée. Mais si la personne phobique a conscience de son trouble, qu’elle l’a bien identifié, elle sera alors capable de faire de la pédagogie pour bien l’expliquer à ses proches pour qui seront alors à même de le comprendre, ou a minima de l’accepter. « Et puis, parler de sa phobie, oblige à regarder les choses en face : accepter sa souffrance, la conscientiser, apprendre à verbaliser autour de sa problématique…, détaille la psychologue. Cette étape de reconnaissance du trouble est très importante, c’est le début du travail thérapeutique. A contrario, si on est dans le déni de sa souffrance, la solution thérapeutique n’est même pas possible. »

De là, a carrément le confier à son employeur ? Dans un monde idéal, on aimerait répondre que parler de ses difficultés à son boss est une évidence, surtout à l’heure où les organisations prétendent prendre de plus en plus en compte la santé mentale de leurs salariés. Mais dans les faits, ce n’est pas toujours possible. « Cela va beaucoup dépendre des sphères professionnelles dans lesquelles on évolue, et des employeurs eux-mêmes. Et surtout des relations qu’on entretient avec ses supérieurs. Si on a des liens solides et de confiance avec les membres de son équipe, évoquer son ergophobie est envisageable et peut même faire partie d’une étape du soin », conclut Johanna Rozenblum.

Comment (re)travailler avec cette phobie ?

« Je sais que j’aurais du mal à travailler de nouveau dans une organisation cadrée, hiérarchisée. Et si aujourd’hui je vais mieux, c’est parce que j’ai décidé de me faire confiance et de me lancer dans une activité indépendante accompagnée par une coach », témoigne Naomie qui subit désormais moins les effets de son ergophobie. Un processus sain pour notre experte : « Quand on a connu une difficulté en santé mentale, comme une phobie ou un burn-out, il y a souvent un enseignement à tirer de cet épisode douloureux. » Après avoir traversé ces difficultés, on peut prendre le temps de se poser la question : dans quel environnement de travail va-t-on pouvoir exercer tout en prenant soin de son équilibre émotionnel ? À l’issue de cette épreuve, on peut par exemple se rendre compte qu’on est plus adapté pour le freelancing, ou pour les entreprises familiales et moins les grands groupes. Ainsi, cette expérience aura servi à nous éclairer sur nos besoins et cela donne un petit peu de sens à la bataille qu’on a menée. Car retourner travailler dans les mêmes conditions que celles qui nous ont terrassés, c’est risquer de connaître de nouveau les mêmes conséquences. Dans cette même logique, Farzad a lui aussi créé son activité mais également changé de métier pour « supprimer toutes les situations qui génèrent de l’angoisse » et poursuivre sa carrière professionnelle.

Farzad a également développé des stratégies d’adaptation pour mieux vivre avec son trouble, comme l’autosuggestion ou encore l’hypnose, techniques qui l’aident à dompter son anxiété. Car traiter son ergophobie, ne signifie pas cesser d’être anxieux pour la vie. « On ne peut pas faire disparaître totalement une phobie, ne plus jamais avoir peur ou tourner le dos complètement à ses appréhensions, explique Johanna Rozenblum. Mais ce n’est pas grave, ce qui est important c’est qu’elles ne nous handicapent pas. » On peut ainsi très bien vivre avec un résidu d’appréhension à l’égard du travail avec lequel on compose, tant que l’on arrive à le rationaliser. «Quelque part, c’est la preuve des difficultés traversées. Tout le monde se lève le matin teinté par son histoire, ses peurs, ses angoisses… et c’est normal. On est des êtres humains. Ce qu’il faut, c’est apprendre à les réguler pour arriver à fonctionner au quotidien. »

Souffrir d’une phobie ou d’un trouble anxieux, finalement c’est être dépassé par une émotion (comme la peur, l’anxiété ou la colère), mais cela ne veut pas dire qu’il faut l’éliminer ! Au lieu de chercher à ne plus jamais avoir peur, apprenons plutôt à vivre avec.

Article édité par Manuel Avenel, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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