Vacances ratées : « Elles deviennent un espace de pression comme les autres »
07 sept. 2023
6min
Alors qu’on les rêve lénifiantes et stimulantes à la fois, contre toute attente, les vacances ont parfois la fadeur propre au sentiment de ne pas avoir su pleinement en profiter. Un « ratage » pour certains, qui, plus qu’une simple carence en vitamine D, laisse les batteries à plat. Au point que dès la reprise, épuisé ou frustré, nous rêvons de prendre des vacances, de nos vacances.
À la période des congés estivaux, 78% des Français affichaient des intentions de départ en vacances entre juin et septembre. De la simple visite à la famille en Île-de-France, au week-end perdu à Quincampoix en passant par le road trip en Argentine, tous n’auront pas vécu les mêmes péripéties. Si les vacances constituent un temps essentiel de revigoration à forte dose de grâce mat’ et d’expériences inédites, que se passe-t-il lorsqu’elles ne prennent pas la tournure escomptée ?
Last train to London
Ce devait être le songe d’une nuit d’été, ce ne sera finalement qu’un mauvais rêve. Lorsque Gabrielle, salariée dans une start-up, décide de poser dix jours de congés pour se rendre à Londres, elle est en fin de cycle, essorée par le roulement de sa besogne quotidienne. Cette parenthèse doit lui donner un regain d’énergie qui lui permettra de relancer la machine. « À part trois semaines en été et une à Noël, je ne prends pas beaucoup de vacances. J’arrive donc à cette période passablement épuisée et pressée de partir. »
Alors, ce séjour dans sa ville préférée, avec comme point d’orgue, une formation en maquillage, elle l’attend fébrilement. « J’avais tout donné pour ces vacances et pendant un mois et demi je ne pensais qu’à ça le soir en me couchant, je me projetais. » Mais le jour du départ, rien ne se passe comme prévu. « J’ai bêtement loupé l’Eurostar. J’ai pu changer mon billet pour un autre train, seulement, Brexit oblige, un passeport était désormais nécessaire pour embarquer. Et comme je n’avais que ma carte d’identité sur moi, je me suis faite royalement refouler. »
« J’étais tellement dégoutée. Je suis rentrée chez moi en pleurant avec mon énorme valise. C’était vraiment une journée de merde. Le pire c’est que rien n’était remboursable et j’avais tout avancé pour moi et une amie. Donc en plus j’étais complètement détroussée ! » Un régime pour le porte-monnaie de la jeune femme qui voit le panorama de son été s’assombrir, contrainte finalement de voyager chichement dans sa famille. La déception est palpable. « Je m’étais investie comme une folle dans mon travail pour en récompense, des vacances pourries. » Le retour au bureau est plus pesant qu’à l’accoutumé, quand au coin café, elle écoute les récits d’aventure de ses collègues. De son côté, elle entretient le sentiment de ne pas avoir vraiment coupé et en fait les frais. « J’ai repris le taf en me disant, bon et bien maintenant il faut attendre jusqu’à l’année prochaine. Une année à enchaîner sans avoir pu faire ce que je voulais, c’est-à-dire, profiter, kiffer et me reposer. » Offrir de la tranquillité à son cerveau, prendre le large sur son quotidien, s’accomplir dans autre chose, se renouveler, ce sont les agréments qu’elle espérait tant arracher à ses vacances. Mais était-ce bien raisonnable ?
Hautes attentes, vains espoirs : les congés d’été, une aberration ?
On les a attendues. Plus longtemps qu’un uber en fin de soirée ou qu’un créneau chez le dermato. Et enfin elles sont arrivées. Les vacances. Si fortement espérées que nos attentes démesurées nous ont parfois laissé le goût amer de la déception en bouche. Train annulé, météo maussade, déferlante de bactéries E. coli dans les vagues finistériennes, tricount qui tourne à l’escroquerie… « On patiente toute l’année et on nourrit des attentes incroyablement fortes de ce court laps de temps qu’on appelle les vacances, explique Albert Moukheiber, neuropsychologue et expert du Lab Welcome to the Jungle. Comme notre cerveau est un organe prédictif, il peut être difficile de vivre ce décalage quelquefois énorme, entre ces attentes très positives et le réel. » Un des cas les plus extrêmes de cet état de discordance se nomme le syndrome de Paris. « Dans les années 1990-2000, les touristes japonais qui venaient à Paris en vacances, finissaient par être hospitalisés tant la réalité à laquelle ils étaient confrontés, ne correspondait pas avec l’image qu’ils se faisaient de la ville. Eux imaginaient Paris peuplé par des gens en bérets qui chantent du Edith Piaf toute la journée. À la place, ils se sont heurtés au RER B et aux odeurs et à la grisaille. Le décalage était tellement fort qu’ils avaient une sorte de crise nerveuse ou psychotique. »
Et ce fonctionnement ne concerne pas seulement les vacances. L’on peut ainsi ressentir le même décalage en fonction de nos attentes à propos d’un emploi rêvé ou d’une relation amoureuse idéalisée. À la seule différence que pour les vacances, l’intensité peut grimper en flèche, notamment en raison du temps imparti. « Ce qui est particulier avec les vacances, c’est que l’on se prive toute l’année et l’on se gave d’un coup de beaucoup de congés, et forcément, cela procure une indigestion », poursuit l’expert.
Injonctions contradictoires : des vacances pas de tout repos
Pour « réussir » ses vacances, on subit également une pression très forte et des injonctions contradictoires. Il faudrait dans l’idéal, vivre une aventure inattendue tout en programmant nos moindres déplacements à l’avance. Mener une vie à cent à l’heure, mais de préférence sur un tuk-tuk thaïlandais, le tout en trois semaines. Bref, tout faire, tout voir et en même temps se reposer. « On a tellement d’impératifs pendant ses vacances. Il faut profiter, mais surtout recharger ses batteries, voir une nouvelle destination pour ceux qui partent loin, explorer le monde si l’on est jeune car après ça ne sera plus possible. Quelque part c’est un programme voué à l’échec dès le début », commente Albert Moukheiber. Mais vouloir essorer le torchon jusqu’à la dernière goutte d’élixir de volupté n’est-il pas usant ? C’est cette vision productive des vacances que décrit la journaliste Clara Degiovanni dans Philosophie Magazine. Invoquant Jean Baudrillard, elle compare les vacances à un temps libre « qu’il faudrait rentabiliser » et rappelle que pour le philosophe, l’on retrouve « dans le loisirs et les vacances, le même acharnement moral et idéaliste d’accomplissement que dans la sphère du travail » ; ce qu’il nomme la « mobilité effarée », soit la volonté effrénée de vouloir tout faire, tout voir, au maximum. Selon son analyse, « la déception d’un temps de loisir raté est semblable à celle d’un travail mal fait : le piètre vacancier se vit comme un mauvais employé. »
« Alors, tu étais où cet été ? »
Il est d’autant plus difficile d’échapper à cette vision des vacances, performatives et injonctions contradictoires, qu’une pression sociale existe autour. Ce sont les fameux « tu étais où cet été ? » que l’on se lance entre collègues à la machine à café. « On a tous envie de répondre qu’on a vécu notre meilleure vie. Et les réseaux sociaux concourent à cela. C’est anecdotique mais chaque année, des gens meurent pour essayer de faire un selfie. Tout cela pour alimenter cette vie imaginaire », développe notre expert. Cette mise en scène de soi se joue pour les autres mais aussi pour soi-même. « On pense que les pages des réseaux sociaux sont faites pour les montrer aux gens. Mais en fait, on veut aussi se montrer à soi-même, à travers une galerie instagram bien fournie, que notre vie est bien remplie. »
D’un autre côté, l’immobilisme serait encore un peu mal perçu. À la question « Qu’est-ce que tu as fait cet été ? », si votre réponse ressemble à « Rien, je suis allé nulle part, je suis resté dans mon appartement et j’ai glandé », il y a fort à parier pour que la conversation n’aille pas plus loin. « Mais le récit commence à changer, ça peut être acceptable aujourd’hui de dire cela, ce qui n’était pendant longtemps pas le cas », poursuit l’expert.
Comment ne plus finir lessivé à la rentrée ?
Éviter ce que l’on appelle les comportements dirigés vers la performance ou les résultats
Plus qu’un conseil, une attitude. « Les vacances qui sont censées être un espace sans pression deviennent un espace de pression comme les autres, renchérit Albert Moukheiber. Et cette pression, de se réveiller à 5h du matin, pour aller voir un premier site touristique, un deuxième, manger à tel resto, puis à un autre, car il faut absolument essayer toute la nourriture locale et tout voir, c’est le meilleur moyen de revenir de congés en étant hyper fatigué. »Répartir le temps de repos sur toute l’année
Si à la rentrée, on est crevé au bout de dix minutes de travail, c’est parce qu’on n’a sans doute pas pu récupérer comme on le souhaitait. Mais le repos n’est pas l’apanage des vacances. « Il faudrait ne pas fonctionner tout le temps comme une cocotte-minute : attendre toute l’année et devoir tout lâcher en deux semaines, car c’est quasi impossible. » Pour le neuropsychologue, étaler ses moments de récupération en dehors des vacances, au quotidien, permettrait d’éviter cela. Par exemple en prenant l’habitude de dédier 20 minutes à ne rien faire, et sortir de la logique de to-do list.Composer avec les imprévus
Nous ne sommes pas aux manettes de tout pendant nos vacances. Composer avec les aléas, se montrer flexible, c’est aussi une manière de ne pas s’entêter dans un projet qui peut tomber à l’eau, lorsque tout ne se passe pas comme prévu. « Si en général, au taf je mène un projet qui ne se passe pas bien, c’est rarement une bonne chose. Mais en vacances, si ça ne se passe pas comme prévu et bien ça va, les conséquences sont à relativiser », illustre Albert Moukheiber. Si vous allez au Mexique, mais qu’une fois sur place, les plages sont envahies d’algues vertes, la baignade est interdite, c’est tout à fait regrettable. Mais vous pouvez profiter d’autres aspects pour peu que vous ne vous attardiez pas sur l’échec de votre plan initial.
Article édité par Romane Ganneval, photo par Thomas Decamps.
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