« Le management m’a tuer » : ils racontent leur retour à l'opérationnel

01 août 2023

4min

« Le management m’a tuer » : ils racontent leur retour à l'opérationnel
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Manque de tâches opérationnelles, difficulté à gérer une équipe, besoin de prendre du temps pour soi… Ils et elles ont décidé d’arrêter de manager pour revenir à l’essence de leur métier. Témoignages.


66 % des salariés ne souhaitent pas devenir managers, selon une étude Cegos (2018). D’autres s’y sont essayés, persuadés que c’était la suite logique de leur carrière… et en sont revenus. Qu’est-ce qui explique ce rétropédalage ? Trop de gestion humaine, mauvais timing, envie de retourner à des tâches opérationnelles… Écoutons ces managers repentis pour mieux comprendre leur retour aux sources.

« J’ai appris, mais c’est du temps que je n’ai pas passé à développer mon expertise »

Marie a arrêté de manager en 2022. Elle avait envie de retourner à des missions plus créatives. Aujourd’hui, elle ne se consacre plus qu’à la gestion des projets au long cours de l’ancienne équipe qu’elle supervisait. Pour le plus grand bonheur de son âme artistique.

« Quand je suis arrivée il y a 5 ans et demi, on était peu et à ce moment-là, mon rôle était de développer un média. Il fallait construire la ligne éditoriale, l’équipe et la stratégie de A à Z. Dès le départ, je manageais 3-4 personnes, mais on était à un stade de la boîte où tout le monde mettait la main à la pâte : je ne faisais pas que du management. Puis l’équipe s’est agrandie et ce pourquoi j’avais été recrutée a pris beaucoup moins de place par rapport au reste. Soudain, il s’agissait de mettre en place des process, de prendre la parole, de traiter de nombreux sujets RH… J’en suis arrivée à un stade où c’était compliqué de bien gérer tous les aspects de mon travail.
On a discuté avec mon N+1 et on a conclu que c’était plus pertinent de séparer l’aspect créatif du management. Un nouveau poste a été créé, me permettant de délaisser la gestion humaine. Attention je ne regrette pas mon expérience ! J’ai apprécié travailler avec l’équipe et voir les gens évoluer professionnellement. C’est hyper intéressant de te demander comment tu peux impliquer tes collaborateurs dans leur travail et les faire grandir. Ça m’a vachement intéressée, j’ai appris, mais c’est du temps que je n’ai pas passé à développer mon expertise, ce qui était frustrant. Peut-être qu’au début j’étais faite pour manager une équipe en développement et aujourd’hui, je ne suis pas la plus efficace ni la plus pertinente pour une équipe de plus grande taille. D’ailleurs, une personne a été recrutée pour assumer cette partie managériale. On a des profils complémentaires. Je peux lui donner des conseils, je connais bien l’équipe, mais je fais en sorte que l’on ne se marche pas dessus. »

« Repasser au management est un objectif à moyen-long terme »

En parallèle de ses tâches managériales, Valentine occupait des fonctions opérationnelles dans la vente pour une plateforme de recrutement. Le Covid et des problèmes personnels sont venus bouleverser la vision de son poste. À l’avenir, elle ne s’interdit pas de redevenir manageuse.

« Ça fait 5 ans que je travaille au sein de l’équipe business de mon entreprise. J’étais la première à être recrutée, c’était les débuts de ce département. De septembre 2018 à décembre 2019, j’étais en charge du suivi de nos clients. Recrutement après recrutement, chacun s’est spécialisé. J’ai choisi la partie “suivi des grands comptes”, c’est-à-dire la relation avec nos grosses entreprises clientes. À partir de janvier 2020, je suis devenue “team lead” de cette équipe spécialisée dans les grands comptes. J’ai obtenu ce rôle de management en pleine période du Covid et ce jusqu’en octobre 2021. L’impact de la crise a duré jusqu’à la fin de ma mission : beaucoup d’entreprises nous quittaient. C’était très challengeant, je devais gérer l’équipe et les comptes qui ne renouvelaient pas leurs contrats. C’est ce qui n’était pas évident. La structure n’était pas adaptée. Mon rôle de manager s’additionnait au travail de terrain avec les clients. J’étais à 50 % sur mes deux missions.
Après le Covid, j’ai changé d’équipe et de poste. La première raison ? Au bout de 3 ans, j’avais fait le tour des tâches opérationnelles, j’avais besoin de développer d’autres compétences. La deuxième raison, c’est que j’ai vécu un événement personnel très difficile en 2021. Je n’avais plus la force de m’occuper de l’humain, il fallait que je prenne du temps pour moi. En réunissant tous ces éléments, j’ai eu une discussion avec mon manager : je voulais ne faire plus que de l’opérationnel. Aujourd’hui, j’ai encore besoin de consolider des compétences sur mon nouveau poste, et revenir au management est un objectif… mais à moyen-long terme. J’ai vraiment apprécié l’aspect humain et j’ai aussi beaucoup appris sur moi dans la manière de communiquer avec les autres. Je peux même dire que je serais très contente de refaire du management un jour, mais sans les tâches opérationnelles parce que ce n’est pas viable de faire les deux.
»

« J’ai envie que l’on me regarde comme un expert dans mon domaine »

Responsable de la communication pendant 5 ans, Jacques en a eu assez de déléguer. Il s’est rendu compte que le management ne lui convenait pas. Pour lui, la gestion humaine s’est révélée compliquée et il n’est pas certain d’y retourner.

« Quand j’étais manager, j’étais dans une position de management vis-à-vis de tout le monde : stagiaires, alternants, freelances… J’en ai eu marre de piloter et d’être éloigné des projets. Je voulais être autonome dans leur gestion. En manageant des collaborateurs, vous avez une idée très claire de la stratégie que vous voulez mettre en place, mais le résultat n’est pas forcément au rendez-vous. Le temps que j’ai passé à expliquer ce que je voulais, j’aurais pu l’utiliser pour faire le projet moi-même. Je voulais un périmètre plus restreint sans avoir à gérer autre chose. Au départ, j’avais envie d’avoir des gens pour m’accompagner et c’était même la suite logique pour moi dans l’entreprise, enfin c’est ce que je croyais – on se dit souvent que l’évolution professionnelle, c’est de devenir manager. Au final, le temps avançait et je me rendais compte que ça ne me plaisait pas tant que ça de superviser une équipe. J’en ai parlé avec mon supérieur hiérarchique, expliquant que j’avais envie de retrouver mon cœur de métier. J’ai posé mes conditions et il a accepté que je ne m’occupe plus de personne, même si ça a été une organisation à trouver avec les autres services de l’entreprise. L’expérience a été enrichissante malgré mon changement de poste et ma maigre attirance pour le management, on a malgré tout réussi à mettre en place des projets que je n’aurais pas pu faire seul. Confronter son point de vue à celui des autres a aussi été très formateur : cela donne des pistes de réflexion lorsque l’on est dans le flou. Pour autant, je ne regrette pas de ne plus manager, j’ai eu du plaisir à redevenir créatif et je ne pense pas reprendre un jour un poste dans l’encadrement. Je crois que j’ai envie que l’on me regarde comme un expert dans mon domaine. »


Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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