Les cagnottes en entreprise : comment survivre à ce fléau qui nous dépouille ?
27 juil. 2023
7min
Qu’est-ce qui dépouille tous les salariés de France et qui prolifère en entreprise plus vite qu’une IST dans un club libertin du Cap d'Agde ? On vous le donne en mille : les cagnottes. Pour les pots de départ, congés mat’ et autres anniversaires, il semble impossible de les éradiquer. Comment survivre à ce racket corporate ? Puisque personne n’ose exposer son fond de radinerie au grand jour (car les avares seraient la lie de la société), je vais rendre ce service à tout le monde.
C’est la fin du mois, et vous n’avez jamais été aussi proche de vos derniers (précieux) deniers. Vous n’avez plus d’autre choix que d’assumer votre pingrerie et de traquer vos dépenses tel Chri-chri, le comptable de votre boîte. Un resto avec la bande de copains ? Vous préférez réchauffer vos pâtes de la veille, que dis-je, ces spaghettis fossilisés que vous essayez d’oindre d’un fond d’huile d’olive allongé à l’eau. Une jolie paire de souliers vous fait de l’œil ? Vous vous contrôlez pour ne pas céder compulsivement aux pubs sponsorisées sur Instagram. Plus de cigarettes ? Vous grattez votre pot de miettes de tabac et partez à la chasse aux filtres au fond de votre sac. Votre niveau de consommation égale celui d’un frugaliste et vous vous découvrez des compétences en survivalisme. Cette galère, on l’a tous déjà expérimentée… et pour certains même, compter les sous fait partie du quotidien. Bref, vous jouez la carte de la responsabilité, jusqu’à ce qu’un mail pro vienne troubler cette discipline ascétique. L’objet ? « Pot de départ Michael », mais vous lisez « Tu vas raquer, mon pote. »
Comme bien souvent dans la vie, ce sont ces petites merdes qui s’accumulent plus vite que le flouz dans notre compte épargne qui finissent par nous égratigner. Les cagnottes d’entreprise sont soumises à cette loi de l’emmerdement maximum. Tout est horrifique à leur propos.
Elles se reproduisent à une vitesse !
À l’instar des cafards, les cagnottes se déplacent en bande : vous étiez tranquille pendant trois semaines, puis d’un coup, il faut fêter le pot de départ de Pierre qui est plus ou moins licencié, la vésicule biliaire de Paul qui se porte mieux et le mariage de Jacques qui a essayé de pecho Magalie il y a quelques mois… Tout ça va évidemment vous coûter une petite fortune, pour des gens avec lesquels vos discussions se résument à débriefer votre week-end à la machine à café. Le combo destructor, c’est quand tout tombe à la période de Noël ou pendant les vacances d’été. Vous vous demandez presque si vous n’allez pas devoir annuler votre trip en Sardaigne pour pouvoir offrir des smartboxs à vos collègues. Et il n’y a pas que le cadeau : il y a aussi la carte à acheter (pour laquelle personne n’est jamais inspiré), et surtout, tous les verres que vous allez devoir vous enfiler à la soirée où le fameux présent va être dévoilé.
Si on fait les calculs, vous en avez minimum pour cinq euros si vous optez pour le forfait « petite pince » (cinq euros pour le cadeau et pas de verre après), et quarante-cinq euros si vous osez le forfait « quand même, ça se fête… » (vingt-cinq euros pour le cadeau, le reste en alcool). Une fois de temps en temps, ça passe, me direz-vous. Mais trois fois par mois, cela vous revient entre quinze et cent trente-cinq euros ! Et je ne sais pas pour vous, mais avec une telle somme, j’ai bien d’autres ambitions. Je pourrais me faire épiler dans un vrai institut plutôt que de m’auto-torturer aux bandes de cire à la maison, ou bien me payer un abonnement dans une salle de sport de luxe, avec des serviettes offertes et des douches où l’on ne risque pas de choper de verrues.
Alors bien sûr, il y a l’option de ne pas donner autant à tout le monde. J’y viens.
Nos têtes sont mises à prix
Les cagnottes viennent sceller notre niveau de popularité en entreprise. Chaque individu qui en fait l’objet se transforme d’un coup en une boîte dans À prendre ou à laisser : attention attention, quel est le prix de la boîte « Michel » ? Michel a 34 ans, c’est un commercial redoutable mais qui a tendance à avoir une haleine de chacal en fin de journée, « combien vaut-il, combien vaut-il ? » Le comble de la tristesse, c’est lorsque la cagnotte est peu garnie, et que le collègue sur le départ est ainsi réduit à un projet de crowdfunding foireux.
D’ailleurs, la question n’a pas pu vous échapper : vous aussi, un jour, serez certainement le sujet de ce jugement dernier. Votre tête sera mise à prix et vos collègues se demanderont combien ils mettront pour vous. La réalisation vous étourdit lorsque vous comprenez que chaque action que vous menez peut faire monter ou baisser votre « prix ». Vous vous demandez alors si vous avez bien bossé, si vous êtes fun, si vous avez marqué les esprits, si le fait d’avoir un jour refusé un chewing-gum à Alex vous suivra jusque dans votre tombola.
Bref, l’exercice est désagréable, mais nous devons tous nous y soumettre et classer nos collègues pour déterminer combien nous allons investir. Il y a ceux auxquels on a juste parlé une ou deux fois en afterwork, et ceux qui nous ont vu ivre et en sanglots à 4h du matin un lundi. Il faut prioriser en fonction de la profondeur des moments que nous avons vécus avec les principaux concernés.
Mais les choses ne sont pas si simples, car à cette évaluation purement subjective, il faut ajouter l’influence de la pression sociale. Aujourd’hui, la plupart des outils pour faire des cagnottes comme Litchi ou Lydia affichent la quantité d’argent ajoutée par chaque participant. En un rapide coup d’œil, vous pouvez comparer les donations pour voir si vous visez juste. Et parfois, alors que vous comptiez mettre cinq euros, vous réalisez que vos collègues ont été bien plus généreux. Alors par conformisme et par peur de passer pour un radin, vous n’avez d’autre choix que de suivre la mise. Chiching !
C’est révélateur d’inégalités
Bon, venons-en au point principal : la tune. Je tiens à rappeler que les temps sont durs pour tout le monde : l’essence coûte une blinde, acheter les ingrédients pour vous cuisiner une quiche vous revient désormais à vingt balles, Secret Story n’a toujours pas fait son come-back à la télévision… N’avons-nous pas droit à un peu de répit ? Quid de ceux qui n’ont vraiment pas les moyens de participer aux cagnottes car trop à découvert ? Est-ce qu’ils passent pour des radins ? Il m’est déjà arrivé d’être dans cette situation et de ne pas pouvoir faire de virement sur Lydia car trop à sec. N’ayant plus que 15 euros en poche deux semaines avant la paie, j’ai dû me désolidariser du pot commun pour offrir un Kinder Bueno à ce collègue qui était grosso modo une star, histoire de participer. Un moment assez humiliant pour moi qui représentait pourtant un sacré sacrifice. Nous voilà donc entre le marteau et l’enclume, à devoir choisir entre passer pour un égoïste ou se faire plumer.
L’organisation chaotique
Dernier chef d’accusation à l’encontre des cagnottes : l’organisation. Voilà comment cela se passe généralement…
Dès le point de départ du braquage, c’est-à-dire la discussion groupée ayant pour but de déterminer le choix du cadeau, il y a une injustice. La gestion d’une cagnotte est aussi stressante que celle d’un mariage mais ne garantit en rien un amour éternel, ni même un iota de reconnaissance. C’est pourquoi ce sont toujours les mêmes collègues - les plus sages, vaillants, autrement dit : des femmes - qui s’y collent (d’ailleurs, vous avez intérêt à militer pour qu’elles aient une place au paradis ou au moins une augmentation en fin d’année !) Le contenu du message de groupe devrait ressembler de près ou de loin à ceci : « Hello à tous ! Vous n’êtes pas sans savoir que notre Michael national (inévitable) nous quitte bientôt. J’ouvre donc une cagnotte pour qu’on puisse fêter ça dignement ! D’ailleurs, vous n’auriez pas une idée de cadeau ? »
Pendant les jours qui suivent ce premier appel aux dons, la conversation devrait être aussi morte que vos DM Tinder. 5-6 émojis flamme, un « Excellente idée » en commentaire, et basta.
Et c’est bien normal, notre cervelle refoule l’idée de s’appauvrir un peu plus pour quelqu’un qu’on ne connaît pas plus que ça. La Cagnotte Manager commence alors à balancer quelques idées floppantes comme offrir des places pour le Puy du Fou en plein mois de décembre, et personne ne réagit, jusqu’à ce que les camarades les plus proches du salarié sur le départ ne se réveillent deux jours avant la clôture de la cagnotte pour proposer de meilleures idées. La personne chargée de récolter les fonds mène ensuite la bataille de sa vie : la relance. Elle vous relancera jusque dans votre suaire et tout en s’adaptant aux caprices de chacun : « Je n’ai pas Lydia, tu peux me filer ton RIB stp ? », « Mon compte Litchi est bloqué, tu peux mettre 50 euros pour moi et je te paie un coup en échange ? », « Je préfère passer par Western Union, c’est ok ? » Un véritable job à plein temps, non rémunéré.
Cela doit cesser
Pour mettre fin à cette tyrannie, je ne vous propose non pas des conseils mais un véritable programme politique. Mon but ? Disrupter la cagnotte, la remettre à sa juste place. Rien que ça.
Si vous êtes côté salarié cotisant :
Si vous ne pouvez pas donner, ne donnez pas beaucoup, ou pas du tout. Participer à un cadeau est évidemment une belle attention, et personne ne doute de votre générosité. Mais parfois, nos propres dépenses doivent passer en priorité. Un petit mot au Cagnotte Manager pour expliquer votre situation devrait vous tirer d’affaires. Savoir ce que l’on peut se permettre ou non est aussi une preuve de maturité. Déculpabilisez.
Ne vous forcez pas à donner à quelqu’un que vous connaissez à peine. Personne ne vous en voudra, il faut faire des choix dans la vie. D’une certaine manière, vous lui donnez peut-être déjà des sous via vos impôts ?
Proposez à vos équipes de fixer des règles. Par exemple : on fête les départs, mais pas les anniversaires.
Quelques mots valent bien plus qu’un cadeau. Ok, vous ne pouvez pas participer, mais un rapide discours personnalisé et intimiste à l’attention de la personne célébrée résonne parfois plus qu’un pack « Massage oriental ».
Faites un cadeau DIY : un montage photo ? Un bracelet concocté par vos soins ? Un joli dessin ? Un gâteau ? Mettez vos talents à profit.
Dernière option : ne vous faites pas d’amis dans votre entreprise.
Si vous êtes en charge de la cagnotte :
Premièrement, je vous souhaite bien du courage.
Pourquoi ne fixeriez-vous pas une somme maximale pour chaque participant afin d’éviter toute dérive financière ? Pourquoi ne pas choisir le cadeau en amont pour déterminer le montant à atteindre ?
Tenez-vous loin du digital et préférez faire un tour de chapeau au sein des bureaux pour récolter les fonds.
Idéalement, nous pourrions aussi faire la promesse collective d’en finir avec les cagnottes en entreprise et de se contenter d’aller boire un verre, même si cela implique de renoncer à notre propre pactole quand notre tour viendra. Mais bon, il faut bien un retour sur investissement de ces journées de labeur et de tout ce fric investi dans les cagnottes des autres.
Article édité par Manuel Avenel ; Photo par Thomas Decamps
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