Pour être RH, faut-il nécessairement « aimer » les gens ?

23 abr 2024

4 min

Pour être RH, faut-il nécessairement « aimer » les gens ?
autor
Alix Mardon

Journaliste

colaborador

Dans l’imaginaire collectif, la vocation des ressources humaines va de pair avec l’amour de l’humain. Mais « aimer » est un terme fort. Comment se conjugue-t-il réellement dans le quotidien des RH ?

Dans l’idée que l’on se fait des professionnels RH, aimer les gens fait partie des prérequis pour être performant. Mais cette croyance se vérifie-t-elle ? Ce sentiment a-t-il sa place dans les relations nouées avec ses collaborateurs ou la direction ? Nous avons sondé le cœur de Karine Sacépé, responsable scientifique du programme « Future of People@Work » au sein de Capgemini et ancienne DRH, pour obtenir des éléments de réponse.

L’amour de l’humain plutôt que l’amour tout court

« Quand j’ai commencé, c’était pour aider les gens. Il y avait cette idée d’aimer, et presque de sauver. Puis j’ai été un peu échaudée parce que je me suis rendue compte que dans l’entreprise, ce n’était pas ce qu’on me demandait », se souvient Karine Sacépé. Pour l’experte, comme elle, de nombreux RH se lancent dans leur carrière avec l’amour de l’humain, mais se confrontent à la violence des enjeux qui pèsent sur l’organisation. « On comprend que la ressource humaine se gère, donc se compte. Rémunération, effectifs, performances, jours d’absence… Tout se mesure ! Alors est-ce possible d’avoir un vrai amour pour les gens dans ces conditions ? La question est plutôt de savoir comment garder l’humain à cœur. »

Dans ce monde de la mesure et du quantitatif, les RH traduisent d’abord leur amour de l’humain par la bienveillance. « Il y a une part d’inconditionnel. On part du principe que le salarié est honnête, qu’il veut bien faire, qu’il fait les choses de bonne foi. Si jamais il rate, c’est qu’il n’a peut-être pas su faire, mais en aucune manière on va le suspecter d’être paresseux, d’être saboteur. » Selon l’ancienne DRH, c’est ce qui ressemble le plus à l’amour : cette forme d’inconditionnalité mêlée à cette culture de la bienveillance.

RH : une relation avec l’entreprise qui impacte la relation avec les salariés

Depuis quelques années, on constate l’émergence de la fonction HRBP (Human Resources Business Partner). Au-delà de la responsabilité du personnel, le HRBP est clairement au service du business. Il peut ainsi se trouver écartelé entre son souci du bien-être du salarié, et son lien intrinsèque avec la direction. « La fonction RH tente de résoudre cette question en créant des rôles plus spécifiques comme “conseiller carrière” ou “responsable diversité”. Elle cherche à se tourner à nouveau vers l’employé et se différencier de cette seule notion de performance collective visée par les HRBP, explique Karine Sacepe. C’est d’ailleurs, entre autres, ce qui m’a fait quitter la fonction. L’étape d’après dans ma carrière était d’exercer dans la direction RH avec une forte composante de négociations sociales. Je voulais garder ce pont entre salariés et rapports sociaux. » Aujourd’hui, l’organisation et le souci du salarié semblent se rencontrer : « Dans nos projets de recherche, nous travaillons sur ce qu’on appelle le “servant leadership”. Cette idée traduit le fait que les managers peuvent se mettre au service de la réussite de leurs collaborateurs, tout en prenant en compte leur bien-être », ajoute l’experte.

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Les RH… elles-mêmes mal aimées ?

L’adage voudrait que l’on reçoive ce que l’on donne. Pourtant, les salariés attendent des RH empathie et bienveillance alors qu’eux-mêmes peuvent les qualifier de froides et déconnectées de la réalité. Pour Karine Sacepe, l’origine de ce désamour provient de la perception encore nébuleuse de ces métiers : « C’est une fonction très ingrate car les salariés ont l’impression que vous ne savez pas ce que vous faites, ou plutôt, ils pensent que vous ne savez pas ce qu’ils font réellement. Il y a beaucoup de frustrations. » Cette méconnaissance peut entraîner un sentiment d’ingratitude et de non-reconnaissance chez les RH. « Un salarié peut râler parce que son RH ne lui répond pas après trois semaines, mais il ne se rend absolument pas compte qu’il reçoit 250 mails par jour. On peut se sentir mal aimé, ou mal considéré, parce qu’on se sent invisible dans nos actions », poursuit-elle.

Ce désamour passe également par une grande méfiance. Face au lien étroit entre employeur et RH, les salariés développent une crainte quant à leur relation. La confiance peut vite se rompre. « Quand j’étais RH, il y avait un restaurant d’entreprise : un self avec des plateaux. Je me suis déjà installée à une table à laquelle il y avait deux ou trois personnes : elles se sont levées. Elles se sont mises ailleurs. C’était vraiment : “Attention, la RH c’est l’œil de Moscou ! Elle va nous espionner et on n’a pas envie de parler à côté d’elle”. Quand j’étais sympa, ils imaginaient que c’était pour les piéger », illustre-t-elle.

Émotions et RH : quel est le juste équilibre ?

Dans ce tourbillon d’émotions, difficile de garder un cap ancré dans la réalité. Les enjeux personnels se combinent aux enjeux professionnels, et ce mélange peut créer une vraie fatigue compassionnelle : « On peut se retrouver coincé car on va loin pour vouloir satisfaire. D’autant plus qu’il y a une guerre des talents qui ajoute une pression supplémentaire… On se bat pour avoir les jeunes diplômés. On va devoir les convaincre, puis satisfaire leurs attentes qui ont évolué, développe Karine Sacépé. Mais c’est aussi ça notre talent particulier, arriver à trouver cet ajustement. Être capable de dire ce qu’il faut aux salariés, notamment dans les moments difficiles, sans pour autant renier son rôle et sa responsabilité de représenter son employeur ». L’équilibre est donc périlleux, mais pour les RH, il ne s’agit pas d’être dans un rapport de satisfaction-punition souvent redouté par les salariés. Il ne faut ni chercher à être dans la contrainte, ni chercher à être dans la satisfaction à tout prix. Pour autant, il est essentiel que leur amour de l’humain soit exigeant et pas purement complaisant.

« Finalement, ce n’est pas de l’amour, c’est plus de la fidélité et de la loyauté. Mais le parallèle avec l’amour est important aujourd’hui d’un point de vue sociologique. Certaines personnes ne trouvent plus de liens affectifs dans la famille, la religion, la politique, etc. Et beaucoup vont les chercher en entreprise », conclut Karine Sacépé. L’entreprise est en effet l’un des rares endroits qui poursuit son évolution dans ce sens, par l’intermédiaire des RH, autour du bien-être et du cadre d’expression du salarié.


Article écrit par Alix Mardon, édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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