L’Allemagne teste la semaine de 4 jours: « Le temps libre a une valeur inestimable »

02. 5. 2024

5 min.

L’Allemagne teste la semaine de 4 jours: « Le temps libre a une valeur inestimable »
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En février, plus de 30 entreprises allemandes ont entamé un test de la semaine de 4 jours auprès de plus d’un millier de salariés. L’initiative est menée par l’ONG 4 Day Week Global et le cabinet de conseil RH Intraprenör, en partenariat avec l’université de Münster. Décryptage à mi-parcours de la plus grande expérience européenne de ce type.


« J’ai toujours été fan de science-fiction. Quand j’étais enfant, je regardais le capitaine Kirk voler dans un vaisseau spatial. On évoque toujours l’aspect technique de la S-F, mais elle décrit aussi des avancées sociales qu’il est temps de réaliser. » Tom Jaeger a autant d’étoiles dans les yeux en parlant de Star Trek que des prothèses médicales que fabrique son entreprise, Jaeger Orthopedics, qui compte une trentaine d’employés. Il en est le PDG, et derrière ses envolées lyriques se cache une réalité plus crue : la difficulté de son secteur à recruter, surtout les profils techniques comme ingénieur ou agent de maîtrise. « Depuis 4 ou 5 ans, je n’ai plus de candidatures sur mes offres d’emploi. Nous devons intervenir sans relâche auprès des écoles pour nous vendre en tant qu’employeur », expose le chef d’entreprise.

La semaine de 4 jours, un espoir pour l’économie allemande

Début 2024, l’institut de sondage IFO chiffrait à plus de 36% les entreprises allemandes ayant une pénurie de travailleurs qualifiés. Entrée en récession en 2023, la locomotive économique de l’Europe cherche des solutions pour rendre l’emploi plus attractif, notamment dans l’industrie, secteur dans lequel le pays excelle historiquement. C’est pourquoi Intraprenör, un petit cabinet de conseil RH, est allé toquer à la porte de l’ONG 4 Day Week Global, dont le succès du test sur 60 entreprises au Royaume-Uni a fait beaucoup de bruit l’année dernière. « Notre entreprise travaille déjà 4 jours par semaine depuis 8 ans, on sait de l’intérieur que c’est faisable », explique le directeur de la recherche d’Intraprenör, Jan Bühren. « On sentait que c’était le bon moment pour lancer un test en Allemagne. La situation économique provoque de l’inquiétude. Travailler moins peut sembler contradictoire, mais notre position est d’expérimenter, et de prendre des décisions une fois que les résultats sont là. »

En filigrane se joue aussi la décroissance du nombre de jeunes sur le marché du travail allemand. Le nombre de seniors (plus de 65 ans) est passé de 15 % en 1991 à 22 % de la population en 2020. De quoi donner du poids à la nouvelle génération, qui porte un autre rapport à l’emploi. « Je suis né en 1964. Mon éducation, c’était : travaille, travaille, travaille », témoigne Tom Jaeger. « La nouvelle génération n’a pas cette pression, les jeunes veulent plus d’équilibre avec leur vie personnelle. Il faut s’y adapter. »

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Une réduction progressive du temps de travail

Depuis février, une trentaine d’entreprises allemandes se sont donc lancées dans l’aventure un peu folle de la semaine de 4 jours. Soit plus d’un millier de salarié·e·s et, à date, le plus grand test de ce type mené dans le monde après le Royaume-Uni. Chaque organisation volontaire est venue se manifester à Intraprenör, qui a lancé en octobre dernier un appel public et n’a refusé aucune demande.

La recette théorique de l’expérience de 4DWG est toujours la même : le 100-80-100, soit 100% du salaire, 80% du temps, pour 100% de productivité. « Il est très difficile de démarrer immédiatement à 80 % du temps », tempère Jan Bühren, responsable du test. « De nombreuses entreprises procèdent par étapes, avec des modèles différents : un vendredi sur deux de libre, ou bien une augmentation des congés payés… La plupart sont aujourd’hui (à mi-avril, ndlr.) descendue à 36 heures par semaine en moyenne [versus les 40 heures de base légale allemande], ce qui est déjà une belle avancée. » Plus du quart de l’échantillon concerne des entreprises industrielles ou de service à la personne, au sein duquel les gains de productivité sont les plus durs à réaliser.

Chez Finnholz, une entreprise de BTP de la Hesse (autour de Francfort), on a par exemple choisi d’allonger d’une heure les quatre premières journées de la semaine, pour libérer le vendredi. Une organisation décidée collectivement, mais qui ne plaît pas à tout le monde. « Certains de mes collègues ne sont pas pour, car ils préfèrent avoir une heure de libre chaque soir, et répartir la charge de travail sur la semaine » explique Léon Schott, jeune charpentier de l’entreprise. Pour sa part, il ne s’en plaint pas, au contraire : « Avoir un week-end de trois jours, c’est vraiment un rêve. Ça me laisse du temps pour voyager à Berlin ou Hambourg et faire de la photo, ou voir des amis », conclut le vingtenaire avec enthousiasme.

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Produire autant en moins de temps, le casse-tête industriel

Chez Eurolam, qui construit des fenêtres à volet, on compte trois quarts de cols bleus (production, maintenance) pour un quart de cols blancs, sur 46 personnes au total. Pas d’utopie du travail dans la bouche du directeur général Henning Röper, plutôt un calcul clair : « On s’est demandé : comment embaucher, et garder nos employés ? Il y a beaucoup de grandes usines qui travaillent le verre dans la région : Siemens, Zeiss, Jenoptik… Je dois débaucher pour trouver du monde. La concurrence de recrutement est acharnée. »

Tout devient alors une question d’optimisation. « Au lieu de passer une demi-heure par jour à nettoyer leur plan de travail, les ouvriers délèguent à une autre équipe spécialisée là-dedans, qui le fait donc plus rapidement. On gagne déjà 2 heures par semaine pour ces ouvriers », explique le chef d’entreprise, qui compte « sur la réduction des arrêts maladies pour compenser les deux heures restantes. » D’autres, comme Sven Kirchner, le co-directeur général de Finnholz, s’appuient sur de nouveaux outils numériques. « On a un nouveau logiciel, où les tâches sont distribuées de manière plus fluide » témoigne-t-il, avant de sortir la carte joker de sa nouvelle organisation : « on fait davantage de réunions juste avant la pause déjeuner. Curieusement, plus on s’approche de midi, plus elles sont efficaces » lance-t-il en souriant.

Étude haut de gamme pour résultats béton

L’université de Münster, partie prenante du projet, prépare en parallèle une étude dont les résultats sont prévus pour octobre 2024, à la fin de six mois d’expérimentation. « Notre but est de mesurer l’évolution de la productivité et du bien-être au cours de l’expérience, expose la directrice de l’étude, le Dr. Julia Backmann. Pour la productivité, nous nous appuyons sur des centaines d’entretiens individuels, sur un gros volume de questionnaires ainsi que des chiffres fournis par les entreprises. » Pour mesurer le bien-être, l’équipe de recherche se base sur des données physiologiques, pour objectiver au maximum les résultats. « Certains volontaires portent des montres connectées qui mesurent leur fréquence cardiaque, la qualité de leur sommeil. Nous faisons également des prélèvements de cheveux pour évaluer la quantité de cortisol dans l’organisme, l’hormone du stress », poursuit la chercheuse.

« Au final, c’est la décision de maintenir la journée de 4 jours qui indiquera si le test est réussi, conclut-elle. Cela montrera si le changement est viable sur le plan économique. »
Au Royaume-Uni, l’année dernière, 92% des entreprises ont déclaré vouloir l’adopter à long terme. Mais contrairement à l’Allemagne, les participants avaient en écrasante majorité des métiers de bureau.

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L’enthousiasme n’efface pas les difficultés

Dix semaines après le lancement de l’expérimentation, certains patrons perçoivent les limites de l’expérience. Car non, la semaine de 4 jours n’est pas un remède miracle à tout. « Dans notre équipe de 30 personnes, 4 ont démissionné depuis le début du test, pour des raisons privées qui n’ont rien à voir avec la semaine de 4 jours. Je ne sais pas comment on va tenir le rythme, s’inquiète Tom Jaeger, le PDG de Jaeger Orthopedics. On a déjà perdu 5% de chiffre d’affaires depuis février. » Il montre, amer, le bracelet connecté qu’il a accepté de porter pour l’étude.

Coup du sort ou problème structurel ? Le DG de Finnholz Sven Kirchner note au contraire sa soudaine facilité à recruter, et la motivation accrue dans ses équipes. Un constat que partage sa chargée de communication Freya Mefus, 23 ans : « J’ai pas mal d’amies qui bossent dans l’assurance ou étudient encore. Quand je leur explique que je travaille 4 jours par semaine, elles sont hyper enthousiastes. Certaines sont carrément jalouses… »

Les résultats officiels sont attendus pour octobre 2024. D’ici la fin de l’année, de nombreux pays d’Europe vont emboîter le pas et tenter l’expérience, toujours menés par 4 Day Week Global : l’Italie, la Norvège, la Belgique, la Croatie, et la France. De quoi élargir le panel à d’autres cultures du travail, et d’autres secteurs encore sous les radars de l’ONG. « Le temps libre a une valeur inestimable. Ma génération est très chanceuse de vivre ces changements », juge Léon, charpentier chez Finnholz. Il croise chaque jour les doigts pour que ce test devienne la future norme.


Article écrit par Matéo Parent et edité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ

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