Le multimanagement : un modèle innovant à prendre avec des pincettes
09 sept. 2024
5min
Face au désengagement des équipes, le multimanagement émerge comme une alternative. En répartissant les responsabilités entre plusieurs managers, cette approche vise à améliorer la prise de décision et à favoriser l'innovation.
Dans un monde professionnel en constante évolution, les entreprises cherchent des leviers pour optimiser leur gestion interne. Le multimanagement, ou management collaboratif, apparaît comme une réponse potentielle à cet enjeu. Cette méthode repose sur le partage des responsabilités managériales entre plusieurs managers ou leaders au sein d’une même équipe. L’objectif ? Diversifier les points de vue, enrichir le processus décisionnel et créer un environnement de travail où l’innovation et l’engagement des employés sont au cœur des préoccupations.
Toutefois, l’adoption du multimanagement n’est pas sans poser quelques défis. La cohabitation de plusieurs leaders peut générer des tensions, des ambiguïtés, voire une dilution des responsabilités. Bref, c’est la porte ouverte à l’usine à gaz organisationnelle ! Pour certaines entreprises, surtout celles avec une structure hiérarchique traditionnelle bien ancrée, cette transition est-elle pertinente ? À quelles conditions ? Comment éviter l’imbroglio hiérarchique ? Décryptage des principaux bénéfices et des potentiels écueils.
Radioscopie du multimanagement : le cas Airplum
Airplum fabricant de chaussons made in France situé dans le Périgord, a mis en place le multimanagement au poste de Responsable de Production / Atelier. Cette initiative, introduite par Hervé Accart, Président de SAS NAMATA Finances, la maison mère, s’inscrit dans la volonté de moderniser le management et les RH après la reprise de l’entreprise en 2023. Le poste est occupé conjointement par Louis, qui a été recruté récemment, et Christophe, plus expérimenté, « permettant une vision diversifiée des missions. » En effet, comme l’explique le PDG, le poste est stratégique pour Airplum : « Cette organisation en binôme managérial facilite le transfert de savoir-faire, essentiel dans un métier technique, et assure un backup constant. »
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En termes de fonctionnement, les missions sont réparties selon les expertises : l’un se concentre davantage sur le produit et l’autre sur les méthodes. « Cette complémentarité permet d’innover en confrontant la théorie aux réalités du terrain. » Pour Hervé Accart, le multimanagement permet aussi un passage de relais sans couture, assurant une continuité intergénérationnelle : « La gestion partagée des productions renforce la complémentarité et l’efficacité. » Cependant, cette organisation peut parfois causer quelques tensions ou divergences, exigeant une communication fluide et une certaine humilité de la part des managers.
Multimanagement : pourquoi avec deux managers, c’est mieux ?
Un assainissement de la relation manager-managé
Ludovic Girodon, expert du Lab Welcome to the Jungle, expliquait dans un précédent article que le multimanagement était particulièrement bénéfique. En structurant la relation entre le manager et le managé sur une échelle temporelle, il permet un accompagnement à durée déterminée. « C’est bien connu, plus une ressource est illimitée, moins on va la respecter. Un accompagnement déterminé dans le temps permet non seulement de dessiner une trajectoire, mais aussi de rendre ce type de management rare, donc précieux », souligne-t-il dans l’article.
Boutayna Burkel, dirigeante de The Helpr, un cabinet d’innovation RH, va même plus loin en indiquant que le multimanagement crée une double loyauté : « Avoir plusieurs managers réduit l’attachement affectif parfois toxique qui peut se développer avec un seul supérieur hiérarchique. » Ancienne consultante, elle a elle-même expérimenté cette configuration avec un management interne et externe (client) : « Ce bi-management est plus fonctionnel et plus sain, évitant les conflits émotionnels et les dépendances excessives. »
Une diversité de visions qui dope l’innovation
L’association de managers ayant des visions et des expériences différentes permet une gestion diversifiée des missions, selon Hervé Accart. Cela stimule l’innovation et enrichit la prise de décision, offrant des perspectives variées et complémentaires face aux défis à relever. Un retour d’expérience partagé par Boutayna Burkel : « Le multimanagement conjugue des expertises plurielles, ce qui enrichit les compétences disponibles pour répondre aux besoins des clients. Ceci favorise une approche plus complète et nuancée des problématiques, apportant ainsi une valeur ajoutée significative aux clients. »
Plus d’entraide et de progression
Le multimanagement encourage à la fois l’entraide et le conseil mutuel entre les managers. « Le challenge constant entre les deux managers les pousse à progresser dans leurs tâches respectives, améliorant ainsi leur performance individuelle et collective », explique Hervé Accart. En effet, les divergences, souvent perçues comme des obstacles, peuvent en réalité être des catalyseurs puissants de nouvelles idées. Lorsqu’une dissension émerge, il force les individus à sortir de leur zone de confort et à reconsidérer leurs points de vue. Dans le cadre du multimanagement, cette dynamique est particulièrement accentuée, exhortant les managers à s’engager dans des débats constructifs et à remettre en question les processus établis. La direction en tandem se présente aussi comme une solution face à la solitude du dirigeant, selon Boutayna Burkel : « Lors de prises de décision importantes, cela réduit les risques d’erreurs grâce à un faisceau d’informations enrichi. »
La polyvalence au service de la continuité
L’autre avantage du multimanagement est la polyvalence. Hervé Accart le souligne particulièrement pour ce poste stratégique : « En cas d’absence de l’un des managers, l’autre peut immédiatement prendre le relais, assurant ainsi la continuité des opérations sans interruption. » Cette capacité de remplacement instantané évite les retards dans les projets et maintient une productivité optimale.
Management collaboratif : 4 commandements pour éviter la machine infernale
Certains secteurs ont déjà développé ce modèle de manière inhérente via des approches dites logiques matricielles, avec une ligne fonctionnelle (finance, marketing…) couplée à une ligne plus géographique ou produit. « Dans de grandes entreprises, qui ont soit une grande diversité de produits soit une large présence géographique, c’est assez courant. Dans le conseil également, pour garder une cohérence opérationnelle, cette logique de décentralisation s’instaure naturellement », explique Boutayna Burkel. Pour les autres entreprises ou secteurs, comment mettre en place ce modèle ? Quels sont les points de vigilance et comment les contourner ?
- Formalisation de l’organisation : sans une formalisation adéquate de l’organisation, le multimanagement peut devenir un véritable maquis ! « Les rôles et responsabilités de chaque manager doivent être clairement définis pour que les collaborateurs sachent précisément à qui s’adresser pour chaque question ou problème », souligne Boutayna Burkel.
- Communication transparente : une communication régulière entre les managers est cruciale. Ils doivent se parler pour partager les informations et éviter une asymétrie pouvant mener à des conflits. Chez Airplum, les deux managers ont ainsi établi des points formels fréquents pour s’aligner et maintenir cette transparence.
- Complémentarité des tâches : il est impératif d’éviter les redondances entre les tâches. Les managers doivent se coordonner pour que leurs efforts soient complémentaires, évitant ainsi la duplication inutile des efforts. Ceci implique une répartition équilibrée de la charge de travail entre eux pour éviter la surcharge de l’un par rapport à l’autre. « Cette division a vocation à alléger le travail individuel, afin d’améliorer la productivité et le bien-être collectif », insiste Boutayna Burkel.
- Esprit d’équipe et bonne entente : le succès du multimanagement repose aussi sur une bonne entente et un esprit d’équipe solide entre les managers et les managés. En ce sens, selon Ludovic Girodon, la personne bénéficiaire de l’accompagnement doit aussi jouer un rôle actif en rythmant la collaboration et, pourquoi pas, en choisissant elle-même ses managers ? Cette coresponsabilité permet de dynamiser et personnaliser la relation de management pour atteindre les objectifs communs.
Et si on tentait le multimanagement élargi ?
Pierre Fournier, fondateur de la méthode WILL et auteur du premier roman de management éponyme en France, envisage le multimanagement sous une forme différente, en intégrant des comités de pairs et des managers-coachs. En effet, face aux effets potentiellement délétères d’une ligne hiérarchique dédoublée, comme la complexification des échanges ou le maintien d’un pouvoir concentré, il propose une autre organisation, moins personnifiée : « Pour favoriser une ambiance de travail plus collaborative et égalitaire, on pourrait imaginer une répartition des rôles entre un manager-coach et un comité de pairs. Ce processus décisionnel augmente la légitimité des décisions prises, car elles sont validées par un groupe. Cette méthode rend les décisions plus audibles et acceptables pour tous les membres de l’équipe », insiste-t-il.
Dans cette configuration, les prérogatives régaliennes du management ne sont donc plus centralisées au sein d’un tandem. Au contraire, elles sont exercées par un collectif, à l’instar des entreprises libérées dont parle Frédéric Laloux dans son ouvrage Reinventing organizations. « Cela signifie que des pairs peuvent valider les promotions par exemple et que le manager, sans lien hiérarchique direct, endosse le rôle de coach », explique Pierre Fournier. Le manager-coach organise les activités et agit comme un guide pour l’équipe. Il ou elle ne détient pas les pouvoirs traditionnels de gestion hiérarchique : on lui confère un rôle de facilitateur, aidant les membres de l’équipe à atteindre leurs objectifs.
Article écrit par Laure Girardot, édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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